Depuis l’adoption, le 6 février 2025, d’une proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte, les débats font rage, relançant les discussions autour de la nationalité française.

La nationalité : explications

La nationalité est un lien unissant un individu à un État : de protection de la part de l’État, au niveau national comme international, d’allégeance de la part de l’individu. En droit international, l’État se sent concerné et se préoccupe de cet individu.

Selon les pays, l’obtention de ce lien peut être faite de manière différente : mais elle doit toujours l’être de manière objective.

Il y a en France deux manières d’avoir la nationalité française : par acquisition (la naturalisation) ou par attribution, le droit du sang - jus sanguinis (naissance en France ou à l’étranger d’au moins un parent français) et le droit du sol - jus soli.

Le droit du sol : description

Le droit du sol correspond à l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés en France. Il n’est pas absolu et plusieurs conditions doivent être remplies pour l’obtenir.

Naître en France ne suffit que si l’enfant a au moins un parent français : c’est ce qui s’appelle le double droit du sol. Des exceptions sont possibles : l’enfant a deux parents apatrides, ou ne pouvant lui transmettre leur nationalité par le sang. Refuser la nationalité française à l’enfant reviendrait à en faire un apatride, ce qui est interdit au regard du droit international, et il a donc la nationalité française. Ces situations sont bien évidemment extrêmement rares.

Avec deux parents étrangers, l’enfant n’est pas français à la naissance et doit attendre ses 16 ou 18 ans pour demander la nationalité française (ou ses parents peuvent faire la demande pour lui dès 13 ans). Pour l’obtenir, il devra justifier de sa résidence habituelle en France et, d’au moins, 5 ans d’une vie continue en territoire français.

La nationalité française n’est donc pas accordée à des bébés de femmes arrivées la veille accoucher en France. Elle est accordée à de jeunes adultes, ou à des adolescents, témoignant de liens forts avec la France, y ayant fait leur scolarité et probablement ne connaissant que ce seul pays.

Un peu d’histoire

Au Moyen Âge, un individu appartenait à celui à qui appartenait la terre où il est né : c’est l’application même du droit du sol. De nouveaux critères pour avoir la nationalité française ont été fixés au XVIème siècle : être né sur le sol français, avoir au moins un parent français et vivre en France.

Puis, la Révolution française a introduit la notion de citoyenneté : tout homme fidèle aux idées révolutionnaires est digne d’être citoyen, peu importe son origine. Par la suite, le Code civil (1804, Napoléon) a posé le principe de la double possibilité d’acquisition de la nationalité française : par droit du sang (filiation paternelle) ou par droit du sol (tout individu né en France d’un étranger pouvait, dans l’année suivant sa majorité et sous condition de résidence et de domiciliation, devenir français).

Une loi du 26 juin 1889 réduit la faculté de choisir sa nationalité dans les cas relevant du droit du sol et, en 1927, une loi intègre les 1,6 million d’étrangers venus travailler à la reconstruction de la France après la Première Guerre mondiale. La loi étend le droit du sol et consacre le principe d’indépendance de la femme mariée.

Toutes ces règles, datant de plusieurs époques, sont consacrées en 1945 : la nationalité française se transmet par filiation paternelle ou maternelle, légitime ou naturelle, et résulte de la naissance en France. Ces règles sont appliquées en 1953 dans les départements et territoires d’outre-mer, à l’exception de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, qui ne sont concernés qu’à partir de 1993.

Des limitations du droit du sol

Le droit du sol a été limité plusieurs fois en France. En 1940, le régime de Vichy suspend les naturalisations et retire la nationalité française à 15 000 personnes, pour la plupart juives.

En 1993, la loi Pasqua limite également le droit du sol et met fin à l’automaticité de la nationalité française. Un mineur né en France de parents étrangers doit ainsi signifier sa volonté d’obtenir la nationalité française avant ses 21 ans.

Le rapport Weil, en 1997, avait alerté que cette loi se heurtait : dans son application concrète à divers obstacles qui peuvent provenir du milieu social d’origine (pressions, méconnaissance des règles, rejet des démarches administratives). Cette loi est abrogée en 1998.

En 2024, une loi durcissant les conditions d’accès à l’acquisition de la nationalité française avait été censurée dans sa grande part par le Conseil constitutionnel et presque vidée d’une grande partie de ses articles.

Situation spécifique à Mayotte

Le droit du sol a déjà été restreint à Mayotte en 2018 : l’enfant, pour bénéficier à sa majorité du droit du sol, devait avoir au moins un parent qui résidait sur le sol français de manière régulière et ininterrompue depuis au moins 3 mois.

En 2025, de nouveau, une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale et en lecture au Sénat, modifie le droit du sol pour Mayotte exclusivement. L’obligation de séjour régulier à la date de la naissance s’étend aux deux parents, et passe maintenant à 3 ans, quand elle était de 3 mois.

À noter que le texte dans sa forme initiale prévoyait une ancienneté de séjour d’un an minimum. Contre l’avis du gouvernement et contre l’avis du groupe auteur de cette proposition de loi - Les Républicains - cette durée a été étendue à 3 ans sur amendement déposé par le groupe Union des droites pour la République.

La problématique de cette nouvelle loi

Notre Constitution établit dans son article 1 que la France [Elle] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Différencier les enfants nés à Mayotte des enfants nés dans un autre DOM TOM ou en métropole est donc anticonstitutionnel.

Des dérogations à cette règle sont possibles, considérant la situation spécifique et le particularisme culturel des DOM TOM. C’est ce qui s’était passé en 2018, justifiant d’un énorme flux migratoire venant des Comores à Mayotte.

Toutefois, cette fois, la différence de traitement entre les enfants nés en métropole et ceux nés à Mayotte est bien plus grande, entraînant un nécessaire questionnement sur l’inconstitutionnalité de cette loi. Un gros flux migratoire, suffit-il seul à la justifier, cette fois-ci ?

Supprimer le droit du sol à Mayotte peut avoir des conséquences bien plus larges : cela veut dire que naître sur le sol français ne signifie plus rien sur le plan juridique. Pour la plupart des Français, le double droit du sol est une preuve facile de nationalité.

On peut argumenter que d’autres pays se cantonnent au droit du sang : la Suède, par exemple. Il faut toutefois ajouter que ces pays ont une large politique de naturalisation - ce qui n'est pas le cas en France, ou la nationalité par acquisition est un long et difficile processus.