Le Festival d’Aix-en-Provence, qui célébrait son soixante-quinzième anniversaire, a fermé ses portes ce lundi 24 juillet 2023. Et la dernière de « Così fan tutte », le soir de la fête nationale belge, est de bon augure pour les manifestations et la programmation des années à venir.
Pour les afficionados de l’opéra, c’est toujours un régal d’assister à une représentation sous les étoiles du Théâtre de l’Archevêché. Mais pour les musiciens, habitués à l’acoustique des édifices construits pour transcender les notes, il est toujours périlleux de donner vie à Mozart en plein air. Sous la canicule de la nuit tardive, de vingt-et-une heures à près d’une heure du matin, maintenir le public en haleine est le défi qu’a relevé avec brio le talentueux chef d’orchestre, Thomas Hengelbrock. Il faut dire que les six artistes quinquagénaires, qui connaissaient le répertoire sur le bout de la langue, ont chanté en harmonie, dans le même registre et sur le même diapason. Leurs voix délicieuses se sont merveilleusement accordées aux instruments de l’orchestre dirigé par la baguette virtuose du violoniste baroque. Ils ont interprété ces rôles il y a quinze, vingt voire trente ans.
Dans les années quatre-vingt-dix, le ténor allemand Rainer Trost avait pu jouer de nombreuses fois Ferrando. Sa compatriote, la mezzo-soprano Claudia Mahnke, avait souvent chanté Dorabella. La belle suédoise, la chanteuse lyrique et soprano Agneta Eichenholz, avait déjà donné la réplique en jouant Fiordiligi. Et le baryton germano-canadien, Russel Braun, même s’il a interprété récemment Don Alfonso, est un Guglielmo de référence. Les rôles de Despina et de Don Alfonso ont été confiés respectivement à la plus jeune des six, la soprano américaine Nicole Chevalier, et au passionné baryton autrichien, Georg Nigl.
L’on retiendra surtout la mise en scène du moscovite Dmitri Tcherniakov, qui a revisité le livret de Lorenzo Da Ponte, en donnant au texte du poète vénitien, somme toute très machiste et misogyne, une interprétation contemporaine et post #MeToo, beaucoup plus crédible de nos jours. Les six chanteurs lyriques, qu’il connaît bien, se retrouvent en effet le temps d’un week-end, dans une villa moderne. On imagine une luxueuse datcha, perdue à la montagne, dans la « forêt » des jardins alpins de Courchevel. Ils ont la cinquantaine. Les quatre amants ne sont pas des jeunes premiers, promis à de futures noces, mais plutôt des maris et des femmes bien rôdés, de véritables partenaires de longue date, probablement déjà parents et grands-parents, qui se connaissent sur le bout des doigts, et qui rêvent d’échangisme pour pimenter leur vie de couple. On pense donc qu’il n’y a pas de tromperie. Et que les femmes, autant que les hommes, ont envie d’échanges sexuels et en jouent. L’on comprend mieux le décor donnant sur deux chambres à coucher, l’absence de déguisement, si ce ne sont les masques, habituellement usités lors des pratiques échangistes.
Don Alfonso et Despina apparaissent clairement comme les propriétaires du lieu. Ils accueillent les couples à cette fin. On a l’impression qu’ils le font très souvent. Et peut-être même que leurs activités sont lucratives. Tcherniakov semble s’être délibérément libéré de la bouffonnerie de Mozart. Seuls quelques coups de fusil viennent, sur la fin du second acte, réveiller les rares spectateurs trop âgés, endormis par la chaleur et la nuit avancée.
Mais pour Fiordiligi, Ferrando, Dorabella et Guglielmo, la ligne rouge est franchie. De nouveaux couples se constituent. La situation paraît même échapper à Despina qui ne les reconnaît plus. Et il faudra à Don Alfonso toute son expérience et sa dextérité pour remettre de l’ordre au terme de ce week-end de dépravation. Ouf. Il s’en est fallu de peu. Longue vie au mélangisme. Così fan tutte ? Non : così fan tutti !