Depuis le début de la transition politique au Mali, amorcée après le renversement du régime d'Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020 et renforcée par le second coup d’État de mai 2021, les partis politiques se retrouvent dans une situation paradoxale.

Longtemps considérés comme les piliers de la vie démocratique, ils peinent aujourd’hui à s’imposer face aux autorités de transition, qui mènent le pays selon une vision où les acteurs politiques traditionnels ont été relégués au second plan. Entre marginalisation, critique et velléités de participation aux réformes, leur avenir demeure incertain.

Les premières mesures prises par la junte militaire au pouvoir ont contribué à affaiblir les partis politiques, souvent accusés d’avoir failli dans leur mission de gouvernance et d’être responsables de la crise multidimensionnelle que traverse le Mali. La dissolution du Conseil national du dialogue politique et la mise en place d’institutions de transition largement dominées par des figures militaires ont marqué une rupture avec l’ordre politique établi. Pour de nombreux observateurs, cette transition est avant tout une période de recomposition, où le pouvoir militaire cherche à imposer une nouvelle manière de gouverner, éloignée des schémas partisans traditionnels.

L'affaiblissement des partis ne s'est pas seulement traduit par une perte d'influence institutionnelle, mais également par une rupture avec une partie de la population malienne, lassée des luttes de pouvoir et des querelles internes qui ont longtemps caractérisé la scène politique nationale.

De nombreux citoyens perçoivent les partis comme des structures déconnectées de leurs préoccupations quotidiennes, plus soucieuses d'accéder aux sphères du pouvoir que de répondre aux besoins fondamentaux du pays.

Cette crise de confiance est exacerbée par les défis sécuritaires, économiques et sociaux qui frappent le Mali, alimentant un rejet généralisé de la classe politique traditionnelle.

Malgré cet affaiblissement institutionnel, certains partis tentent de rester actifs. Les grandes formations politiques, bien que privées de leurs leviers habituels, continuent d’organiser des débats, de proposer des réformes et de s’exprimer publiquement sur l’avenir du pays.

« Nous ne pouvons pas rester silencieux face aux défis actuels. Notre rôle est d’être une force de proposition et de veiller à ce que la transition ne débouche pas sur une confiscation du pouvoir », affirme un responsable politique sous couvert d’anonymat.

Le débat autour de la nouvelle Constitution a été l’un des rares moments où les partis ont pu peser dans les discussions. Certains ont plaidé pour un retour rapide à un régime civil et une limitation du pouvoir militaire, tandis que d’autres ont soutenu certaines réformes institutionnelles jugées nécessaires pour stabiliser le pays. Cependant, leur impact réel sur les décisions prises reste limité.

Le contexte international joue également un rôle clé dans cette dynamique. Alors que les autorités de transition affirment leur volonté de renforcer la souveraineté nationale et de diversifier leurs alliances, notamment en s’éloignant des anciennes puissances coloniales, les partis politiques traditionnels, souvent perçus comme proches des institutions occidentales, peinent à trouver leur place dans cette nouvelle configuration.

Certains leaders politiques dénoncent une instrumentalisation du discours souverainiste pour justifier la marginalisation des partis et prolonger la transition. « Nous assistons à une confiscation du pouvoir par des acteurs qui veulent s’inscrire dans la durée, en écartant toute forme d’opposition organisée », s’indigne un dirigeant de parti.

En parallèle, la société civile et de nouveaux mouvements citoyens émergent comme des alternatives aux partis traditionnels, captant une partie de l’opinion publique déçue par la classe politique classique. Cette recomposition du paysage politique malien soulève une interrogation majeure : les partis historiques pourront-ils se réinventer pour répondre aux attentes des citoyens, ou seront-ils progressivement remplacés par d’autres formes d’engagement politique ?

L’un des défis majeurs pour ces partis sera de regagner la confiance de la population, largement désabusée par des décennies de gouvernance marquées par la corruption, l’instabilité et l’inefficacité administrative. La transition doit théoriquement mener à des élections, mais le calendrier électoral a été maintes fois réajusté, alimentant les craintes d’une prolongation indéfinie du pouvoir militaire. Dans ce contexte, les partis se préparent déjà à l’après-transition, multipliant les rencontres et les alliances en vue de reconquérir l’espace politique.

Un autre enjeu crucial réside dans la capacité des partis à proposer un projet politique crédible et en phase avec les aspirations du peuple malien. La question de la gouvernance locale, du développement économique, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme reste centrale.

Pour convaincre, les partis devront dépasser les querelles internes et les stratégies électoralistes de court terme pour offrir une véritable vision d’avenir. Certains appellent à un profond renouvellement des élites politiques, tandis que d’autres misent sur le retour des grandes figures de la scène politique pour structurer l’opposition.

Les partis doivent également composer avec un environnement institutionnel et sécuritaire fragile. Le Mali reste confronté à des attaques terroristes récurrentes et à des tensions internes qui compliquent toute projection sur le long terme.

Dans ce climat d’incertitude, les autorités de transition apparaissent aux yeux d’une partie de la population comme les seuls garants d’une relative stabilité, ce qui affaiblit encore davantage la position des partis politiques, perçus comme préoccupés par des considérations électoralistes plutôt que par les enjeux sécuritaires.

Au-delà des jeux d’influence, une question demeure : cette transition marquera-t-elle l’émergence d’un nouveau modèle politique au Mali, ou assistera-t-on simplement à un repositionnement des forces en présence, où les partis traditionnels retrouveront progressivement leur place ?

La réponse dépendra de l’évolution des rapports de force entre les militaires au pouvoir, les acteurs politiques et la société civile.

Pour certains analystes, les partis politiques pourraient bénéficier d’une éventuelle lassitude populaire face à la transition et de la pression internationale pour un retour à un régime civil. Pour d’autres, la transition a ouvert la voie à une nouvelle ère politique où les partis, tels qu’ils ont existé jusque-là, ne retrouveront jamais leur poids d’antan.

En attendant, les partis restent dans l’ombre, oscillant entre attente, contestation et espoir d’un retour à un jeu démocratique plus équilibré.

Ils savent que leur survie dépendra non seulement de leur capacité à s’adapter aux nouvelles réalités du pays, mais aussi de leur aptitude à convaincre une population malienne qui, plus que jamais, réclame un changement profond et durable.