Les promesses des élus pour maîtriser les déficits publics n’engagent-elles que ceux qui les écoutent ? À force, les citoyens sont devenus insensibles aux conseils des bons pères de famille qui suggèrent de ne pas dépenser plus que ses revenus1 ? Cela dit, il y a de fortes chances pour que les mesures adoptées par les gouvernements successifs pour réduire les intérêts de la dette publique soient de peu de portée ou insuffisantes pour équilibrer les comptes. Faudra-t-il l’avènement prévisible d’une crise systémique qui nous pend au nez, quoi qu'il en coûte2 ?
Nombre de décisions de réductions des dépenses publiques, apparemment prometteuses d’efficacité, ne sont-elles qu’illusions ? Ainsi, en matière de santé, nombre de réformes esquissées depuis la création de la Sécurité sociale en 1970 n’ont jamais abouti. En sera-t-il de même de la convention nationale signée en 2024 entre les syndicats de médecins et l’Assurance maladie ? Contre des hausses de tarifs longtemps attendues, les généralistes et les spécialistes auront à réduire les prescriptions de médicaments, d’examens et d’arrêts de travail3.
On souhaite volontiers y croire dans l’intérêt de tous, sans pour autant remettre en cause la sincérité des signataires de l’accord ni l’efficience des remèdes et des solutions proposées pour atteindre ces objectifs ! Mais, à la longue, l’idée qui voudrait que les contreparties exigées dans ces deals politiques ne soient pas tenues alimente la défiance des contribuables quant à la compétence des élus à réduire les déficits. Cela est vrai non seulement pour la France, mais également pour toutes les économies mondiales confrontées à l’inflation et à la résorption de leurs dettes. Dans ce domaine, Bercy n’a pas manqué de cynisme quand il s’est réveillé en septembre 2024 pour tirer la sonnette d'alarme sur le déficit du budget 2024. Émanant d’un gouvernement démissionnaire, c’était plutôt savoureux, soulignèrent les partisans d’une politique incontournable d’austérité et de rigueur4 !
Les exemples d’impéritie en matière de gestion des fonds publics ne manquent pas. Le plus flagrant qui marque encore les esprits, me semble-t-il, n’est-il pas la décision du Conseil des ministres de l'UE, du gouvernement et du Parlement français de fixer le taux de TVA sur la restauration à 5,5 % en métropole et à 2,1 % dans le DOM (depuis le 1er juillet 2009) ? En contrepartie, le gouvernement avait exigé des restaurateurs des engagements de baisse significative des prix et de création d’emplois5. Beaucoup estiment que l'accord n'a pas été respecté malgré un passage du taux de TVA de 19,6 % à 5,5 % et que moult restaurateurs ont préféré accroître leurs marges au lieu de baisser les prix de leurs menus ou de recruter du personnel.
L’idée d’accorder la carotte, une hausse de tarif des consultations moyennant des prescriptions plus vertueuses en l’espèce, sans le bâton, est-elle la cause des dérapages budgétaires, conséquence de l’impuissance ou de la difficulté pour les professionnels concernés de modifier leurs pratiques ou leurs routines ?
Un pari de dupes parfois où chaque partie sait que rien ne changera fondamentalement, prétextant in fine un simple rattrapage anti-inflationniste ! Pour ne pas être Gros-Jean comme devant, beaucoup de décideurs savent qu’octroyer la carotte avec le bâton ou mieux intéresser les professionnels aux économies réalisées peut les motiver davantage à changer leurs routines. À cette fin, dans un souci d’efficacité, ne faudrait-il pas renverser la vapeur et n’accorder des avantages sonnants et trébuchants que lorsque les objectifs sont atteints ?
Si l’on croit aux vertus du donnant-donnant au travail, en matière d’éducation ou de gestion de projet et en matière de santé, toute convention signée entre l’État et les professionnels devrait comporter une clause coercitive d’atteinte des résultats attendus, favorisant le jeu de la motivation individuelle et collective. Ce faisant, on pourrait apprécier les politiciens sur leur capacité à motiver les acteurs pour les inciter à surmonter les obstacles et les difficultés et à persévérer dans leurs efforts, même lorsque le contexte est défavorable.
Dans cette perspective vertueuse, je suggère de créer un ministère de la Motivation ! Un ministre de la Motivation pourrait s'avérer opportun pour contribuer à surmonter les difficultés sociétales de la France. Il pourrait être chargé de concevoir et de mettre en œuvre des programmes et des initiatives visant à booster simultanément la motivation et la productivité des agents du service public et celle des professionnels concernés dans différents domaines tels que l'éducation, le travail, la santé, etc.6.
Ainsi, la politique du donnant-donnant mise en œuvre par des élus proactifs et intransigeants :
renforcerait les relations de confiance et la cohésion entre les parties impliquées dans une convention ou un contrat de service public.
réduirait les conflits et les malentendus.
créerait un environnement de travail plus positif susceptible d’améliorer la satisfaction des citoyens, des élus, des prestataires et des clients (usagers, patients, etc.).
Ce ne sont pas les méthodes et les outils de pilotage et de contrôle qui manquent pour mettre en œuvre progressivement une politique associant la carotte avec le bâton, ni les financements pour initier une culture du résultat7.
À notre sens, la question se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que les administrations publiques sont confrontées à une transition numérique qui va profondément modifier les organisations et à « promouvoir des modes de management sans doute plus horizontaux et valorisant davantage l’innovation et sa diffusion »8.
Notes
1 La dette publique de la France a augmenté de manière significative depuis 1974. Selon les données de l’INSEE, elle a atteint 3013 milliards d'euros au 1er trimestre de 2023, soit 44 300 € par Français. À cela s’ajoute, les taux d'intérêt qui ont nettement augmenté.
2 La charge de la dette prévue pour 2024 équivaut à 70 milliards d'euros. L’endettement paraît exponentiel depuis 1980…
3 L’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (Unocam) et 5 des 6 syndicats représentatifs des médecins libéraux – MG France, Avenir-Spé Le Bloc, la CSMF, la FMF et le SML – ont signé le 4 juin 2024 la nouvelle convention médicale pour la période 2024-2029.
Cette nouvelle convention médicale décline les 4 axes prioritaires définis par la lettre de cadrage du ministère de la Santé et de la prévention en novembre dernier et par le mandat donné par le Conseil de l’Uncam : améliorer l’accès aux soins, soutenir l’attractivité de la médecine libérale, renforcer la qualité et la pertinence des soins et faire évoluer les modes de rémunération des médecins libéraux.
4 Cf. Les Échos du 3 septembre 2024 - Budget 2024 : Bercy tire la sonnette d'alarme sur le déficit qui risque de déraper à 5,6 % du PIB.
5 À l'issue du conseil Écofin du 5 mai 2009, les pays membres de l'Union européenne ont obtenu le droit d'appliquer un taux réduit de TVA sur certains services à forte intensité de main d’œuvre, dont la restauration. En France, au 1er juillet 2009, le taux de TVA sur les ventes à consommer sur place était passé de 19,6 % à 5,5 % en métropole (puis à 7 % au 1er janvier 2012).
Les restaurateurs s'étaient engagés à utiliser l'intégralité des gains liés à la TVA pour baisser les prix, créer 40 000 emplois supplémentaires en deux ans, améliorer les conditions d'emploi des salariés et investir. C'était l'objet du contrat d'avenir qu'ont signé neuf organisations professionnelles le 28 avril 2009. Le comité de suivi du 15 décembre 2009, mis en place afin d'évaluer la mise en œuvre du dispositif, a publié un bilan des engagements pris dans le cadre du contrat d'avenir.
6 À cette fin, il serait intéressant de comprendre ce qui motive les agents du service public et les acteurs de l’économie à améliorer leur engagement et leur performance en vue d’atteindre des objectifs communs.
Il existe de nombreuses théories liées aux leviers de motivation au travail, avec des facteurs reconnus (rémunération, reconnaissance, responsabilité, autonomie). Des recherches menées dans plusieurs pays ont montré qu'il existe des facteurs de motivation très spécifiques aux services publics : on les rassemble dans le concept de Motivation de Service Public (MSP) développé par Perry et Wise à partir de 1990. Face au déclin de la confiance du public dans les institutions américaines constaté dans les années soixante, un mouvement pour la renaissance d’une éthique de service public, pour un engagement dans les valeurs associées au service gouvernemental, au sens du sacrifice personnel et au devoir pour l’intérêt public.
Ce mouvement vise à contrebalancer la conception des comportements humains issue des théories du choix public, selon laquelle seul l’intérêt personnel des individus guide leurs actions, ce qui légitime des pratiques de gestion s’appuyant essentiellement sur l’accroissement des incitations monétaires et des récompenses extrinsèques.
7 Des moyens considérables sont mis en œuvre par l’État, l’Europe et les régions pour atteindre leurs objectifs de développement économique, de décarbonation et d'innovation. À l’instar de France 2030, 54 milliards d’euros, les fonds européens de développement régional (FEDER) 2021-2027, 9 milliards d’euros, le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), 14 milliards, le budget de l’ADEME porté à 4,2 milliards d’euros.
8 Cf. Dossier documentaire et note de problématique « Les leviers de la motivation dans la fonction publique » du Conseil d'orientation des politiques de ressources humaines (2ème session du 9 novembre 2017).