C’est le thème de Madame Butterfly, le célèbre opéra de Giacomo Puccini, mis en scène par Andrea Breth au théâtre de l’Archevêché à l’occasion du dernier festival d’Aix-en- Provence.
Après le succès de Tosca, Puccini recherche le sujet de son prochain opéra. L’été 1900, de voyage à Londres, il assiste à Madame Butterfly, a tragedy of Japan, la pièce de théâtre hyperréaliste de l’auteur américain alors en vogue, David Belasco. Même s’il ne parle pas un mot d’anglais, Puccini est touché par le jeu des acteurs et la mise en scène. Ils ont conquis et su émouvoir un public en larmes. Belasco s’est inspiré et a adapté la nouvelle de John Luther Long, Miss Cherry-Blossom of Tokyo, publiée cinq ans plus tôt.
Un officier de la marine américaine, B.F. Pinkerton, interprété par le ténor britannique Adam Smith, recherche une aventure avec une très jeune geisha, Cio-Cio-San, magistralement jouée par la charmante soprano italo-albanaise, Ermonela Jaho. Pour la conquérir, il va organiser une somptueuse fête de mariage. La jeune fille du pays du soleil levant tombe éperdument amoureuse de son époux occidental. Qui rentre rapidement au pays.
Elle va l’attendre. Trois longues années. Fidèle. Refusant les avances du prince Yamadori, le ténor Kristofer Lundin. Croyant encore et toujours au retour de son mari. Et lorsque le canon annonce enfin l’arrivée de B.F. Pinkerton, accompagné de Madame Kate Pinkerton, la lumineuse mezzo-soprano Albane Carrère, qu’il a épousée aux Etats-Unis, nous apprenons que Cio-Cio-San a donné naissance, voici deux ans, à un bébé. Leur petit métissé. Né des jeux amoureux entre l’officier et la jeune geisha. Alors, quand elle apprend que les Pinkerton veulent emmener son enfant aux États-Unis, la jeune maman se fait harakiri. Pudiquement, pour ne pas dire hypocritement, dissimulée derrière un paravent.
N’oublions pas que Puccini est italien et catholique. Et que l’Église préfère cacher la vérité à ses fidèles.
Cette tragédie orientaliste aux accents mélodramatiques prend tout son sens aujourd’hui, alors que le procès de Mazan déferle la chronique et que les horreurs dénoncées par le mouvement #MeToo sont devenues notre quotidien. Mais Puccini va plus loin, en donnant à la jeune demoiselle de quinze ans des allures de fillette de dix ans. Pas étonnant qu’en 1904, la première de Madame Butterfly se soit déroulée dans une atmosphère électrique à la Scala de Milan. L’échec de Puccini fut total. Plus que retentissant. Huées. Coups de sifflet. Le public imitait les cris des oiseaux utilisés pour le décor. L’œuvre fut immédiatement retirée de l’affiche. Mais Puccini, coutumier au fiasco des premières, se remet à l’ouvrage. Et la version remaniée en trois actes est ovationnée à Brescia. Par la suite, reconnue internationalement, pour notre plus grand bonheur.
Si, pour la metteuse en scène Andrea Breth, ceci n’est pas le Japon, mais un regard, au début du vingtième siècle, d’Occidentaux sur l’idée qu’ils se font du Japon dans lequel ils n’ont jamais mis les pieds, avec en écho, la vision imaginée d’une jeune Japonaise sur l’Occident, il se pourrait que Puccini et sa Madame Butterfly nous suggèrent, aux moyens d’images sonores justes et puissantes, que l’opéra n’est qu’artifice. Cette beauté intrigante, aux mille et une couleurs que suscite en nous le parfum enivrant des geishas, le regard à peine voilé derrière leur éventail, est magistralement orchestrée sous la Direction de Daniele Rustoni.
À nous la liberté d’interprétation. Au-delà de la relation entre l’Orient et l’Occident, entre une jeune fille naïve et un homme qui cherche à assouvir ses fantasmes, peut-être que Puccini nous autorise à pointer du doigt la manipulation au sein du couple. Avec en prime, l’innocence d’un enfant né de ces abus. Qui devra apprendre à vivre dans un pays étranger. Avec le bourreau de celle qui l’a porté. Une vie d’orphelin de sa mère suicidée.