Derrière l’agenda climatique, renchéri ces dernières années en « catastrophisme » climatique, se livre une véritable guerre géoéconomique pour le contrôle de l’énergie, de l’alimentation, voire du nomos mondial. Si la géopolitique a coutume d’analyser le dessein des puissances et la physionomie des rapports de force, elle a curieusement plus de difficultés à avouer la nature de cette guerre et à cerner les contours d’un nouvel impérialisme dont les manifestations sont plus subtiles et insidieuses. L’usage de la dimension immatérielle dans ce cadre conflictuel, en l’occurrence les perceptions, l’information, la connaissance et ses modes de construction, est central pour comprendre cet anachronisme.
Géoéconomie et géopolitique
La géopolitique et la stratégie se sont bâties en étudiant les pratiques développées par les nations pour s’approprier leur environnement et modeler l’ordre politique. Des conquêtes territoriales du Nouveau Monde à la politique de canonnière de la doctrine Monroe, en passant par le regime change et la dépendance financière, ces stratégies de guerre économique, allant du plus coercitif au moins coercitif, se ramifient jusqu’à nos jours.
Au début du siècle, le retrait du monopole de la puissance occidentale et la modification de l’environnement stratégique ont obligé à une révision de l’approche offensive. La croisade contre le terrorisme suite aux attentats de 2001 a alors servi de paravent pour dissimuler les arrière-pensées géoéconomiques, comme le fut d’une certaine manière la lutte anti-communiste (et anti-capitaliste) durant la Guerre froide. Un tel double écran, même s’il doit être manié avec précaution et ne doit pas être invoqué dogmatiquement dans les conflits, est visible en filigrane lorsque l’on observe les intérêts économiques investis actuellement dans la guerre russo-ukrainienne, tant du côté de la Russie que du côté des États-Unis.
Une forme parmi d’autres de globalisation offensive
La guerre climatique s’inscrit dans une telle physionomie. Elle est par essence singulière puisque l’enjeu ne relève pas de la compétition pour la maîtrise de l’espace atmosphérique (espace et domaine aérien) ou pour l’exploitation d’une ressource matérielle contenue dans l’atmosphère. Son dessein est surtout mental et politique dans la mesure où elle vise en premier lieu à modifier le rapport avec le milieu, c’est-à-dire à changer les règles de développement et d’usage de l’énergie fossile à travers la redéfinition morale, juridique et politique du rapport avec l’énergie et, ce faisant, avec la matrice sociotechnique.
Son but est donc à la fois géoéconomique et géopolitique, la modification de certaines variables de l’ordre mondial et du contrat social s’inscrivant dans ses finalités. Cette ossature fait de la guerre climatique un conflit systémique et l’une des modalités d’usage offensif de la mondialisation, au même titre que la globalisation contre-hégémonique du duo russo-chinois, le globalisme libéral anglo-saxon, le nationalisme expansif de l’Inde ou bien encore le prosélytisme du frérisme musulman.
Une arme cognitive
La stratégie de la guerre climatique s’appuie principalement sur un levier cognitif : la fabrication artificielle d’une menace climatique, entendue dans l’acception schmittienne et hobbesienne de fabrication de l’ennemi et de danger existentiel. Que celle-ci soit scientifiquement fondée ou non, réelle ou fictive, vécue ou perçue, elle doit dans tous les cas être étayée par un flux de perceptions et de connaissances produites dans le cadre d’une institutionnalité susceptible de légitimer la connaissance. Le GIEC, instance officielle d’expertise scientifique, en est le principal centre de gravité, sachant que ce maillage institutionnel s’est considérablement ramifié à un réseau d’acteurs propageant ce socle de connaissances validées.
Historiquement, une telle influence a pu se greffer sur le corps social grâce à la montée d’une nouvelle sensibilité culturelle liée à la critique de la société industrielle et de la relation entre l’humanité et la biosphère qui émergea dans les années 1960 au sein du monde occidental, avec des penseurs comme Lynn White, Arne Naess, Konrad Lorenz, Felix Guattari ou Hans Jonas.
De la menace climatique certifiée par consensus scientifique en amont découle en aval un agenda transformateur en matière de conduites individuelles et collectives, le premier terme de l’équation permettant de blanchir la finalité offensive du second. En 1996, le deuxième rapport du GIEC entérina clairement l’origine anthropique de l’évolution climatique, le postulat tendant à s’affirmer encore plus par la suite. Par ailleurs, une guerre de l’information est venue rapidement renforcer les prises de position en neutralisant les positions critiques ou dissidentes.
L’agenda global
Le deuxième moteur stratégique relève du maillage civil et politico-institutionnel requis pour créer un agenda réformateur du local au mondial. L’amorce de cet agenda remonte à l’année 1971, date à laquelle se prépare le rapport Limits to Growth du Club de Rome qui débouchera sur le premier Sommet de la Terre à Stockholm. La démarche est menée sous la houlette de l’influent Maurice Strong, au carrefour entre les milieux stratégiques et pétroliers nord-américains. Chemin faisant, cette conférence va structurer une politique environnementale au sein de l’ONU qui évoluera graduellement vers l’architecture de régulation climatique contemporaine.
Du côté civil, les organisations civiles Les Amis de la Terre et Greenpeace se mettent en place dans les mêmes années 1970. En parallèle, la micro-informatique émerge durant la même période, synthèse d’autres mouvements scientifiques combinant les mathématiques, la cybernétique, la communication et la psychologie comportementale. La révolution informatique, qui épaule rapidement les premières modélisations mathématiques du climat, porte en germe une troisième révolution industrielle. Le néolibéralisme voit aussi le jour au même moment, sur fond de projection offensive du nationalisme économique des États-Unis (Forum économique mondial en 1971, Commission trilatérale en 1973).
Le blanchiment du dessein conflictuel
Le succès considérable de ce projet cinquante ans après son démarrage renvoie à un aspect central des guerres livrées dans le champ cognitif. Pour perdurer, celui-ci doit effacer les marques de sa nature offensive et blanchir toute finalité non avouable derrière une optique opaque et déformante. La menace climatique doit ainsi être enveloppée du plus large consensus scientifique (ou pseudo-scientifique) possible, en fabriquant le cas échéant ses vérités scientifiques. Le climatisme offensif a précisément suivi cette feuille de route. Nous en soulignerons brièvement quelques points en rapport avec le contenu polémique et scientifique qui est officiellement exprimé.
Depuis 1970, les narratifs se sont enchainés tour à tour autour de versions relativement contradictoires. L’entrée dans une période de refroidissement climatique a donné suite successivement au risque majeur de pluies acides, puis au trou dans la couche d’ozone, enfin à l’entrée dans une période de réchauffement climatique. Depuis 2010, le narratif s’est polarisé vers l’idée d’un changement climatique lié essentiellement à l’exploitation du carbone fossile, pour évoluer une décennie plus tard vers un catastrophisme plus prononcé. Sur le plan scientifique, différents travaux, naturellement contredits et mêlés à une intense bataille polémique, rappellent plusieurs évidences. Le CO2 atmosphérique n’est pas un gaz à effet de serre significatif. Il n’existe pas de corrélation entre l’augmentation du CO2 atmosphérique et l’évolution de la température atmosphérique observée. Suivant les périodes d’étude, des tendances au réchauffement ou au refroidissement des températures moyennes ont pu être relevées, mais de manière non corrélée au décollage de l’activité industrielle au XIXe siècle ou aux activités humaines.
Les principaux indicateurs climatiques, à savoir les températures de surface terrestre et océanique, l’extension des calottes glaciaires, le niveau moyen des océans, les précipitations et la fréquence des événements extrêmes, ne montrent pas de statistiques anormales. Par ailleurs, il n’existe pas de véritable consensus scientifique sur le dérèglement climatique, encore moins sur leurs éventuelles causalités anthropiques et les modélisations. Le corollaire de ces observations est que l’effort colossal de décarbonation (L’ONU parlait en 2023 d’un investissement nécessaire de 15 % du PIB mondial) qui est entrepris dans le cadre de la transition éco-industrielle n’a pas d’efficacité positive sur le climat (bien qu’il puisse en avoir dans d’autres domaines tels que la consommation de matière).
Le garde-fou informationnel
Dans l’absolu, ces arguments scientifiques ne sont pas difficiles à démontrer. Ils le sont néanmoins dans la pratique vu les croyances et l’épaisseur de la dimension polémique et des mécanismes de contre-information qui l’entourent. De fait, les manœuvres offensives ou défensives sur le terrain informationnel fournissent d’autres indices sur la nature du projet conflictuel sous-jacent.
Depuis quelques années, à mesure que le narratif principal a échelonné vers le catastrophisme actuel, le niveau d’hostilité à l’égard des voix critiques sur le consensus climatique s’est aggravé. Le « climato-scepticisme » et le « négationnisme » sont devenus les stigmates d’une censure culturelle qui prend la forme préoccupante d’un véritable complexe de censure informationnelle. Celle-ci repose sur une exclusion plus systématique de l’information et des voix scientifiques dissidentes.
Elle est réalisée par un très large écosystème médiatique et par les acteurs scientifiques affidés au système ou au narratif onusien. On notera là aussi que la censure s’effectue habilement sous le couvert d’une menace informationnelle supérieure (la désinformation). Enfin, l’altération des données brutes émanant des agences climatiques internationales est devenue plus évidente ces dernières années. En 2001, la courbe de température en « crosse de hockey » avait déjà établi un précédent en termes de manipulation frauduleuse. Ce détournement se poursuit de plus belle avec l’altération des réseaux de mesure climatique et un establishment climatique qui produit un flux de connaissance relevant littéralement de la pseudo-science.
D’autres puissances contribuent à ce confinement informationnel. Malgré certaines oppositions des secteurs réalistes et souverainistes dans lequel s’inscrit une partie des producteurs agricoles de petite et moyenne échelle, l’Europe gravite dans la totale dépendance d’un européisme arrimé au projet atlantiste nord-américain. La Chine continue d’augmenter sa consommation de carbone fossile, tout en montrant son adhésion au projet d’une « communauté mondiale » en harmonie avec l’environnement.
Elle prend ainsi part aux négociations climatiques onusiennes, en jouant la carte de l’encerclement économique de la nouvelle matrice industrielle qui se développe dans le secteur des énergies renouvelables et des nouvelles technologies.
Train fantôme ou nouveau combat géopolitique ?
Le train fantôme lancé par l’horizon de la transition climatique rend-il impossible toute reconsidération ou marche arrière sur les réformes énergétiques ? Le néo-impérialisme d’un nouveau genre, qui vise aussi bien la matrice interne des pays occidentaux que celles de pays périphériques, a-t-il irréversiblement réussi son tour de passe-passe sur l’énergie et la réorientation de la matrice productive ? Bienheureux celui qui pourra y répondre. Toujours est-il que le contrôle de cette superstructure est loin d’être accompli pour l’instant et que certaines lignes de faille entament sérieusement son initiative.
D’abord, la prise de conscience de la supercherie climatique est grandissante, notamment grâce au dynamisme de la société civile dont une bonne partie se trompe de direction à l’heure de militer pour la justice socio-environnementale. Cette prise de conscience est plus nette aux États-Unis ou dans les pays en développement qui sont exposés à ses manifestations autoritaires (incendies criminels, accaparements de terre, corset financier des agences internationales, intromission des gouvernements, lobbies écologistes, etc.).
La montée globale de la censure reflète d’ailleurs une préoccupation grandissante pour museler les oppositions. Ensuite, il est logique de penser qu’il sera de plus en plus difficile de maintenir une réalité virtuelle en décalage avec l’évolution physico-biologique de l’environnement, sauf à créer artificiellement une destruction de la biosphère. Cette tentation existe et nous noterons que les frontières de la « guérilla » climatique et de l’éco-terrorisme sont en train d’évoluer.
En attendant, il est souhaitable de faire se rencontrer les écoles de pensée sur la géopolitique, la géoéconomie et la guerre cognitive, de manière à ne pas se laisser duper par une guerre qui ne veut pas dire son nom.