Si vous vous rendez à Marseille, suivez la Corniche et les bords de mer, bien au-delà de la Pointe Rouge, et dirigez-vous vers les Goudes. En chemin, arrêtez-vous à la Friche de l’Escalette. Le site a conservé les vestiges d’une ancienne usine métallurgique, spécialisée dans le plomb, active de 1851 à 1925. Nichée au bord d’une calanque à l’extrémité du huitième arrondissement, elle a survécu à l’exode de ses ouvriers enrôlés et morts sur le front de la Grande Guerre. Son petit port, qui brave encore les roches blanches et l’écume d’une mer turquoise, a permis de transporter des tonnes et des tonnes de lingots de plomb, alors nécessaires à l’étanchéité de nos toitures et aux travaux de plomberie qui ont, notamment, apporté à nos foyers le confort de l’eau courante et le réconfort d’une eau chaude dans nos baignoires.
Cachée en plein cœur du Parc National des Calanques, la Galerie 54 d’Éric Touchaleaume a investi les lieux, les restaurant, pour y vouer un culte à l’art, à l’architecture et au design. Pas surprenant d’y trouver – au détour des sculptures qui ont fait le bonheur des jardins du parc de Kykuit, le domaine familial des Rockefeller dans la vallée de l’Hudson, au nord de New York, L’Été de la Forêt de François Stahly – un cabanon.
Juché à quelques pas de l’impressionnant bois sacré du sculpteur, vertigineux assemblage de poutres de chêne et mystérieux croisement entre les hautes futaies suisses de son enfance et les vastes forêts de séquoias aux États-Unis. Une cabane stylée et contemporaine, mais pas n’importe laquelle. Il s’agit ici de l’ancêtre des tiny houses.
Une maison démontable, imaginée, créée et fabriquée en 1949 par le célèbre ferronnier, architecte et designer français, Jean Prouvé, qui considérait qu’il ne pouvait pas y avoir de différence entre la conception et la construction d’un meuble et d’un immeuble. Il a alors développé sa « pensée constructive » en se basant sur une logique de fabrication et de fonctionnalité sans précédents, et par une esthétique pragmatique, simplifiée et épurée. La double toiture, les murs « rideaux » en acier boulonné, avec une ventilation naturelle sur les côtés et au-dessus, et le sol élevé sur « pilotis » sont des exemples d’isolation active dont nous pourrions nous inspirer dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Jean Prouvé a conçu des baraquements démontables pour l’armée française. Dès la fin de la guerre, suite aux bombardements, le ministre de la Reconstruction lui commande des maisons en série, devant être fabriquées très rapidement, afin de faire face aux besoins urgents de nombreux logements. Les ateliers Jean Prouvé se lancent alors dans un programme de fabrication de maisons légères et brevetées avec le système de construction « à portiques ». Quatre cents maisons de 6 × 6 mètres et 6 × 9 mètres sont réalisées.
Jean Prouvé réutilise le principe de la structure « à portiques » en 1949 pour concevoir la maison dite « tropicale », une habitation pour le directeur de l’université de Niamey au Niger. Ses dimensions sont de 6 × 12 mètres et les pièces sont conçues pour être transportées par avion-cargo avant d’être montées sur place.
Si Jean Prouvé a été souvent décrié par ses contemporains, force est de constater qu’il nous a laissé un véritable patrimoine, un chef d’œuvre artistique et architectural unique, au design intelligent : personne ne reste indifférent s’il a la chance de déambuler dans les maisons démontables du Nancéien, ou de s’assoir sur son mobilier qui renaît dans nos salons. Je parle de la chaise populaire de type Standard « classique », avec ses jambes en acier aplati, sur laquelle de nombreux fessiers d’écoliers ont appris leurs leçons, de 1934 à nos jours.
Venez donc vivre dans l’art, à l’extrémité des roches qui bordent la cité phocéenne et qui surplombent les usines de plomb de la Friche de l’Escalette, en plein cœur du Parc National. Avec un peu de chance, c’est dans ce « cabanon » que vous pourrez passer une nuit, au calme et dans la nature, en regardant danser la mer, au milieu des étoiles qui fleurissent le ciel des calanques de Marseille.