Jadis un pays puissant, la Suède perdit en 1709 la bataille de Poltava l’opposant à la Russie. Ce désastre militaire a entraîné une large perte d’influence et de territoires pour la couronne suédoise. Aussi, au cours du XIX° siècle, Stockholm chercha plusieurs moyens de reconstituer sa grandeur perdue. Naturellement l’architecture contribua à cet effort national.
En particulier, le concours de 1888 pour le Musée Nordique, remporté par Isak Gustaf Clason (1856-1930), dota la capitale d’un vaste équipement mémoriel de style néo-Renaissance suédois. Mais ce sont surtout les élèves de Clason qui développèrent au début du XX° siècle une veine romantique nationale, redonnant un nouveau souffle architectural au pays.
Toujours suite à un concours en 1905, le projet de Ragnar Östberg (1866-1945) pour le nouvel Hôtel de ville de Stockholm fut un grand pas en avant pour l’affirmation de ce style national. Même si l’édifice s’inspire entre autres du Palais des Doges de Venise, Östberg affina longtemps son œuvre – puisque l’édifice ne fut achevé qu’en 1923 ! Cette patiente maturation lui permit de retravailler nombre d’éléments, synthétisant mieux des sources médiévales et Renaissance suédoises.
Plus qu’un monument, cet Hôtel de ville a réorganisé en profondeur l’usage de son site : sa cour intérieure fonctionne comme celle d’un altier château gothique, tandis qu’une galerie ouverte offre une remarquable liaison spatiale et visuelle avec le lac bordant le terrain. La haute tour reprend la symbolique des beffrois municipaux du Moyen-âge, donnant au passage un point d’orgue monumental à l’édifice et au paysage urbain.
Même finesse de conception, pour les intérieurs. Une grande cour couverte, le Hall Bleu (servant depuis aux banquets de la remise des Prix Nobel) équilibre avec habileté de sobres volumes, des maçonneries de grande qualité, et une indéniable majesté d’ensemble. Or, l’apothéose est atteinte avec la grandiose Salle Dorée. Ici les mosaïques à dominante d’or, d’inspiration byzantine, résument l’histoire de la Suède ancienne – culminant dans l’imposante figure allégorique de la Reine du Lac Mälar.
Entre archaïsme volontaire et simplification abstraite, ce décor réinvente brillamment la tradition nationale. Östberg a réussi dans cette œuvre un parfait équilibre contrebalançant souvenirs historiques et modernisation progressive des formes.
Malgré son exigeant perfectionnisme, cet architecte fut loin d’être un bâtisseur isolé. Entre autres, Lars Israël Wahlman (1870-1952) et Ivar Tengbom (1878-1968) signèrent tous deux des bâtiments essentiels de la Stockholm du XX° siècle.
Par exemple, Wahlman remporta en 1906 le concours pour l’église Engelbrekt. Celle-ci mélange aussi avec éloquence des souvenirs byzantins et médiévaux, que l’architecte a su finement transformer selon un vocabulaire proche de l’Art Nouveau. Comme à l’Hôtel de ville, le résultat marque profondément son environnement. Avec son utilisation dramatique du site, ce lieu de culte est assurément un marqueur monumental. Alors qu’il n’avait eu que le second prix au concours pour l’église Engelbrekt, Ivar Tengbom fut plus heureux à la compétition pour l’église d’Högalid en 1911. Son projet synthétisa avec énergie les formes pures et massives des églises médiévales suédoises. Les deux tours se couvrent de clocher à bulbe dans un genre plus néo-baroque. Malgré ces références historiques, Tengbom sut simplifier son architecture, pour mettre d’abord en valeur les volumes. L’accent mis sur les grandes parois de briques sans ornement confère une dignité presque abstraite à l’ensemble, conforme aux préceptes luthériens.
Ces réalisations assirent la réputation de ces architectes, leur permettant de réaliser ensuite nombre d’œuvres poursuivant une logique similaire. Wahlman signa ainsi l’étonnante chapelle néo-romane Ansgars à Björkö en 1930. Tengbom bâtit lui aussi plusieurs sanctuaires se distinguant par leur sens des masses romano-gothiques simplifiées, comme la solide église d’Höganäs en 1934. Cela n’empêcha pas Tengbom de construire aussi dans le style néo-classique (notamment la Maison des Concerts de Stockholm en 1923), puis de s’adapter à la modernité (immeuble de la société Esselte en 1929).
Car la décennie 1920 amorça un net virage esthétique en Suède. Le style national fut peu à peu abandonné, au profit d’un néo-classicisme simplifié, tandis que de premières recherches modernes virent aussi le jour.
Gunnar Asplund (1885-1940) contribua beaucoup à cette évolution esthétique. Son œuvre la plus connue, la Bibliothèque publique de Stockholm en 1924 synthétisa ses réflexions sur le partage maximum des livres dans une société. Ici son néo-classicisme s’appuie sur l’héritage du palladianisme, continuant aussi les recherches du XVIII° siècle vers une plus grande abstraction formelle. Les volumes purs du bâtiment ont donc limité les citations historicistes au minimum symbolique, et abouti à une grande efficacité fonctionnelle.
Asplund développa cette approche dans son extension de l’Hôtel de ville de Gothenburg durant les années 1920-1930. Abandonnant l’idée d’un agrandissement imitant le bâtiment ancien, il bâtit en définitive un ajout moderne fonctionnaliste. Celui-ci est devenu un exemple de greffe contemporaine équilibrant bien innovation et adaptation à son environnement.
Souvent publié dans les livres d’auteurs variés, Asplund serait pourtant l’arbre qui cache la forêt des grands architectes suédois. Leur art combine à merveille charme historiciste, sobre dépouillement, qualité constructive, sens du renouvellement. Aussi serait-il sans doute utile de mener plus de recherches internationales sur l’architecture du XX° siècle en Suède ! En s’intéressant à tous les créateurs de valeur, les traditionnels comme les modernes.