À la fin de l’automne 1902, le jeune poète Franz Xaver Kappus décide d’écrire au poète confirmé Rainer Maria Rilke, afin de lui demander un avis objectif et expérimenté sur sa poésie. De là commence une relation épistolaire entre les deux hommes qui se terminera en 1908. Le livre est publié en 1929 et retrace dix des lettres que Rilke lui a envoyées au cours de cet échange ; soit un véritable cadeau pour ce jeune poète, qu’il décidera de partager avec le monde entier et influencera des milliers d’artistes à en devenir. Contre toute attente, Rainer Maria Rilke offre bien plus que des simples conseils pratiques ou théoriques, il invite le·a lecteur·rice à entrer en profondeur dans son intériorité à travers des leçons et des questionnements existentielles sur des grandes thématiques telles que l’amour ou la solitude, pour redéfinir notre rapport personnel à l’art et la création.
Personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n’existe qu’un seul moyen : plongez en vous-même, recherchez la raison qui vous enjoint d ’écrire ; examinez si cette raison étend ses racines jusqu’aux plus extrêmes profondeurs de votre cœur.
(Lettre 1, Paris, le 17 février 1903 )
Ce livre est d’une richesse et bienveillance incommensurables, et ces bienfaits n’ont pas fini de résonner dans le cœur et l’esprit des jeunes personnes, cent vingts ans plus tard. Au travers de cet article, nous découvrirons un petit nombre de leçons importantes que le poète développe avec amour et compassion dans ces lettres et qui vous donneront, je l’espère, envie d’en savoir plus.
Donnez-vous raison, à vous et votre sentiment, et si toutefois vous devez avoir tort, c’est la croissance naturelle de votre vie intérieur qui lentement et avec le temps vous conduira vers d’autres conceptions. [...] qui, comme tout progrès, doit avoir de profondes racines et n’être pressé par rien, ni accéléré.
(Lettre 3, Pise (Italie), le 23 avril 1903)
Dans cet extrait, Rilke explore trois concepts importants aussi bien pour la création, que pour la vie de manière générale. Le premier consiste à se faire confiance et surtout, à faire confiance à son cœur et à ses ressentis. C’est la seule manière de créer qui permettra à l’artiste d’être honnête et authentique, afin de donner forme à une œuvre profonde qui réussira à toucher et à transmettre un message, une pensée sensible.
Rilke introduit ensuite la notion d’échec, la bête noire qu’on redoute toustes à chaque instant, à chaque entreprise. Avec douceur, il nous invite à la recevoir avec humilité et à la chérir car, elle est le vecteur de notre croissance, de notre évolution, elle est la raison qui fait que nous devenons chaque jour meilleur·e ; et dont il est important de la coupler avec le troisième concept, celui du temps. Pour qu’un changement, une évolution s'imprègne durablement, elle doit être faite en respectant son temps. La brusquer, l’accélérer ne mènera qu’à des fondations instables qui ne dureront pas et seront destinées à s’écrouler un peu plus loin sur le chemin.
Il est bon d’être seul, car la solitude est difficile ; et le fait que quelque chose soit difficile doit nous être une raison supplémentaire de le faire. Aimer est aussi une bonne chose, car l’amour est difficile. [...] Nombreux sont, en effet, les jeunes gens qui aiment de manière fausse, c’est-à-dire qui s’en tiennent au seul abandon et refusent la solitude.
(Lettre 7, Rome, le 14 mai 1904)
Toute chose qui nous tient à cœur est difficile car les questions du cœur sont dépourvues de la logique naturelle et de la rationalité, d’où l’importance de la solitude. C’est dans ces heures creuses que nous apprenons à nous connaître réellement, loin des influences du monde extérieur. Dans une quête éternelle de qui nous sommes, de nos besoins, de nos désirs mais surtout d’un amour honnête et authentique envers notre personne puis, envers notre partenaire. Cela semble improbable à trouver si ce premier amour n’est pas au rendez-vous dès le commencement alors, il bascule et peut devenir trompeur, malhonnête et dépendant comme nous l’explique Rilke un peu plus loin dans sa lettre : “qu’ils (les jeunes gens) ne savent plus où sont leurs limites ni ne se distinguent plus eux-mêmes”.
Une solitude vitale et nécessaire à notre bien-être qui nous paraît pourtant de plus en plus difficile à accepter et à incorporer dans notre quotidien ; à l’ère du digital, de l’internet et des réseaux sociaux, nous sommes en constante connexion avec les autres mais qui semble, elle aussi, très solitaire ? Je scrolle dans mon lit, je rêve, j’envie, je jalouse et je réalise à quel point ma vie est différente, peut-être moins intéressante et définitivement pas aussi glamour. Cette solitude parallèle trop présente ne nous apporte, dans la finalité, rien de bon puisqu’elle offre du vide, de la superficialité et seulement peu de divertissements. La sagesse des lettres de Rilke m’a permis de mieux questionner mon quotidien et de faire des choix en conscience, rendant les choses un peu moins difficiles qu’elles ne l’étaient car je comprends leurs sources et aspire aux résultats qu’elles offrent. Et pour citer une autre sage personne que j’admire et qui prône les mêmes valeurs d’amour de soi “Si tu ne t’aimes pas toi-même, comment pourras-tu aimer quelqu’un d’autre ?1”.
Notes
1 Mama Ru (RuPaul) - Article Spirituellement drag.