Maintenant que l’hiver est derrière nous, au début de cette nouvelle année énergétique qui s’annonce plus lumineuse que 2023 qui, soyons honnêtes, a été dure et grise pour beaucoup de personnes. J’ai eu envie de créer une série d'articles qui butine des extraits de poèmes en tous genres, pour apporter un peu de légèreté et de fleurs dans notre quotidien.

Pour ce faire, je suis allée m’aventurer dans la section poésie de la médiathèque de ma ville. Je me suis plongée dans les livres de ce rayon, pour rêver le temps d’une après-midi, en me concentrant sur ces mots agencés sur le papier, qui forment des vers et donnent un sens, une sensibilité, un bout de réel et d’imaginaire.

J’ai vu défiler au fil des pages des noms d’auteurs·es que je ne connaissais pas ou que je ne connaissais que de loin et c’est ce qui m’a plu. Des personnes inconnues, dont je ne connais rien mais qui ont réussi à créer quelque chose qui m’a touché, qui m’a fait réfléchir et ressentir des choses à l’intérieur de moi. C’est une manière d’expérimenter une œuvre qui me rappelle les musées, à l’instar d’une balade qui m’amène face à un tableau ou une sculpture qui va me saisir. Sans contexte, sans explication, on me la donne à voir et je la prends telle qu’elle. Et lorsque la balade se termine, je ne garde avec moi que les formes et les couleurs qui m’ont marqué.

C’est une manière d’expérimenter la poésie et la création qu’on retrouve aussi énormément dans la rue et dans les lieux publics, lorsque nous sommes happé·es dans notre vie quotidienne. Comme un réveil furtif qui vient nous prendre et nous saisir en un regard. Je me balade dans la rue et je tombe sur une phrase qui m’interpelle, écrite au marqueur sur le mur. Je suis en club avec mes ami·es, je vais aux toilettes et ces mots sont gravés sur la porte qui ferme la cabine. Je suis dans les transports en commun, mon regard se perd dans mes pensées jusqu’à ce que je tombe sur ce mot, écrit sur le siège devant le mien. Des personnes inconnues, qui sont sortis de leur quotidien le temps d’un instant pour laisser leur trace, se libérer et peut-être, pour interpeller la personne qui passera sur leurs pas.

Et maintenant, bienvenue dans le premier article de cette nouvelle série et en route vers notre première balade florale :

Père1

dans la foule affamée palpitait la vie
aliénée de ta mort et de la mienne…
Bientôt, n’y aura-t-il plus de larmes
pour mouiller ton absence
ni de torche véhémente pour te sauver
de tant de neige obscure ?

(Enriqueta Ochoa)

Marine

L’Océan sonore
Palpite sous l’oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore

(Paul Verlaine)

Cet emploi2

J’ai quitté mon corps.
Le torrent des branches
qui m’appartient tout entier,
son canal de mots,
ses mots sans canal
devinettes
qui ne s’accomplissent pas
et qui se gâtent,
fureur de lunes indomptables.

(Ethel Krauze)

Ma sœur la Pluie

Sur des tapis de fleurs sonores,
De l’aurore jusqu’au soir,
Et du soir jusqu’à l’aurore,
Elle pleut et pleut encore,
Autant qu’elle peut pleuvoir.

Puis, vint le soleil qui essuie,
De ses cheveux d’or,
Les pieds de la pluie.

(Charles Van Lerberghe)

Chanson pour mon ombre

Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe,
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,
Implacable comme un remords.

(Renée Vivien)

À Yasmine

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

(Vénus Khoury-Ghata)

La lune3

La nuit noire est la mer,
le nuage est une coquille
la lune est une perle…

(José Juan Tablada)

Le vase brisé

Souvent aussi la main qu’on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit ;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n’y touchez pas.

(Sully Prudhomme)

La mort des amants

Un soir fait de rose et de bleu mystique
Nous échangeons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

(Charles Baudelaire)

Peu à peu mes poumons
se teignent de bleu –
voyage en mer

(Shinohara Hôsaku)4

Fleuve5

il y a un fleuve dans la pensée
où nous coulons
comme des cellules
d’un grand animal

un fleuve
où s’inventent les images
cristallisations instantanées
qui créent le présent
une tribu
éveillée dans la forêt
parmi l’écriture des arbres

(Manuel Ulacia)

Pour finir cette première balade poétique, j’aimerais jouer à un jeu littéraire et je vous incite à le faire également pour simplement vous divertir le temps de quelques minutes. J’ai toujours aimé créer en partant de choses déjà existantes, y compris en écriture à l’instar de puzzle. En grandissant, j’ai découvert les oulipo « l’ouvroir de la littérature potentielle » créé en 1960 ; un groupe de poètes qui aime créer à partir de contraintes. Il existe des contraintes hasardeuses et des contraintes créatives. Nous allons faire l’expérimentation des deux.

Contrainte hasardeuse : recréer un poème en utilisant chaque deuxième vers des poèmes présentés ci-dessus.

Aliénée de ta mort et de la mienne…
Palpite sous l’oeil
Le torrent des branches
De l’aurore jusqu’au soir

La trace de mes pas sur l’herbe,
mon île colorée en bleu
le nuage est une coquille
Effleurant le cœur, le meurtrit

Nous échangeons un éclair unique
se teignent de bleu –
où nous coulons

Contrainte créative : recréer un poème en utilisant seulement les vers des poèmes présentés ci-dessus.

Un soir fait de rose et de bleu mystique
parmi l’écriture des arbres
De la lune en deuil

J’ai quitté mon corps.
Sur des tapis de fleurs sonores
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe

Tu es mon point du jour
qui m’appartient tout entier,
Autant qu’elle peut pleuvoir.

Bientôt, n’y aura-t-il plus de larmes
La nuit noire est la mer,
Et palpite encore

il y a un fleuve dans la pensée
Vers l’allée où gîtent les morts
Puis le cœur se fend de lui même

Un soir fait de rose et de bleu mystique
J’ai quitté mon corps
Tu es mon point du jour

Notes

1 Traduction de Denise Boucher.
2 Traduction par Denys Bélanger.
3 Traduction de Émile Martel.
4 Traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu.
5 Traduction de Claude Beausoleil.