Confier la résolution démocratique de nos problèmes sociétaux et de nos petites misères et abandonner la réalisation de nos espoirs aux élus du peuple sur base de promesses qui, la plupart du temps, ne sont pas toujours au rendez-vous, actualité oblige, n’est pas la tasse de thé des abstentionnistes. Ce faisant, croire que transférer constitutionnellement à une poignée de candidats, volontaires et enthousiastes, des pouvoirs pour y remédier, et satisfaire nos attentes, ne relèverait-il pas de l’illusion collective ?

Une fois en place, le plus souvent assise, nos édiles, armés d’un CDD face à nos diktats revendicateurs, votent une foultitude de lois 1 avant de trouver la bonne, ce qui est rare, diront certains fatalistes, suivies d’autres, rectificatives, enrichies (alourdies) de décrets et d’arrêtés, parfois contradictoires 2. Sans compter, la quantité hallucinante de codes spécifiques et de circulaires qu’on n’est pas censé ignorer ! Ainsi, les élus, faisant les nécessaires, mettent ainsi le nez dans nos affaires. Certains, faisant les désintéressés, et, par-dessus tout importuns, devraient-ils être congédiés, comme l’a écrit Jean de La Fontaine dans "Le coche et la mouche" 3 lorsqu’ils votent des textes inappropriés ou imbuvables ?

Moult de ces textes de loi, votés en chambre, viendront ensuite supplémenter les cours magistraux de nos apprenants et de nos sachants s’emploient à nos dépens à les mettre en œuvre et à les médiatiser : juristes, historiens, économistes, fiscalistes, notaires, comptables, commissaires aux comptes, journalistes et commentateurs, entre autres, … Histoire d’allonger également la durée des études dites supérieures. Après le Master bac+5, à quand le super master bac+7 et le doctorat en 10 ans, pour ingurgiter et digérer tout le galimatias administratif, pondu pour le bien vivre ensemble, en toute simplicité et en harmonie ?

Ces excès de directives et d’obligations, parfois entachées d’humeur ou de revanche, sont coûteux pour nos finances et notre santé neuronale. Ils ne résultent pas seulement de nos divisions sociétales entachées d’individualisme et de méfiance exacerbés 5, ni de nos hésitations existentialistes. En France, nous supportons au pouvoir et finançons plus d’un demi-million d’élus qui ont pour vocation, à nos frais, de légiférer à tout-va ou d’y concourir avec un zèle patriotique inégalé. Soit près d’un « a voté » par kilomètre carré, pour tenter d’alléger les cahiers de doléances dont la pagination augmente vertigineusement à chaque consultation. On est loin de l’ombrage serein du chêne de Louis, de la sagesse charismatique de Salomon ou de l’auguste clémence de César Auguste !

Or, mécaniquement, plus on sollicite d’avis et de conseils, plus le nombre de solutions contradictoires, d’opinions et de doutes sera élevé et plus la critique sera abondante et sujette à interprétation…

Ces conjectures citoyennes ne font que ralentir l’action, diront les empressés et exacerber les passions, argueront les simplificateurs. Ainsi, contrairement à ce qu’a écrit Philippe Bouvard 6, trop de choses se font en ce bas monde sans que l’on donne son avis ! La bourse des commentaires sur les réseaux sociaux, elle, ne tarit pas. Cela dit, certains bons esprits martèleront que ce faisant, on enrichit le débat national, petit et grand ! Cause toujours, tu ne m’intéresses plus, diront indifférents ou sourds à la communication médiatique. In fine, grâce à la pêche aux bulletins de vote, politicailler à tout propos, avant, pendant et depuis peu, après chaque dépouillement, est devenu un métier à plein temps… Certains caciques de la sphère publique vous convaincront que, dans ce contexte, on a la garantie de rendre les élus totalement inoffensifs pendant leur mandature pour notre bien à tous, plus occupés à envisager ce qu’il conviendrait de réformer plus tard, s’ils sont réélus, qu’à entreprendre au cours de leur mandature.

Servir l’État pour être asservi par ses représentants, ne relève-t-il pas alors de la plus cruelle des réalités sadomasochistes de notre capitulation citoyenne à les contrôler ? Si, comme l’affirmait Frédéric Bastiat, "L’État est une grande fiction sociale à travers laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépens de tous les autres", il n’y a plus alors aucune raison de douter que la politique est devenue la panacée des raseurs qui en vivent pour en tirer parti.

Pour nous soulager de l’échec de nos paris électoraux, ne faudrait-il point exiger d’exiger des candidats aux trônes de s’abstenir, une fois pour toutes, de nous embarrasser de problématiques et de chamailleries pour lesquelles ils n’ont pas de remède (4).

Ce faisant, nous serions enfin satisfaits de nos mandataires et assurés d’élire pour jouir de leur réussite et non pour souffrir de leurs échecs et de leurs caprices. Dans ce cas, « Tous pour l’urne, l’urne pour tous ».

PS. En 2017, l'abstention électorale lors de la présidentielle s'est élevée à 22,23 % le 23 avril (premier tour) et à 25,44 % le 7 mai (second tour), soit plus d'un électeur français sur quatre.

Notes

1 7 lois ont été promulguées et 17 885 amendements ont été déposés au cours de la session parlementaire 2021-2022.
2 Cf. Les conflits de normes de droit écrit.
3 Selon Statista (Opinion publique sur l'honnêteté des élus en France en 2019), il ressort que moins d'un quart des sondés pensaient que les élus étaient plutôt honnêtes, tandis que 64 % pensaient le contraire.
4 Près de 30 % des 24 textes promulgués en 2016-2017 ne sont pas encore entrés en vigueur. La faute, aussi, à un trop-plein d’articles – Le Parisien du 26 mai 2018.
5 Cf. site Lycos (Les cahiers de doléances) : « Néanmoins, le 8 mars 1789 a eu lieu à Saint-Martin-aux-Buneaux (76), comme dans toutes les communes de France, la rédaction des Cahiers de doléances qui devaient permettre au Roi de connaître les desiderata de son bon peuple ! (…). Dans certaines communes, les représentants des trois ordres avaient établi au préalable des cahiers que les habitants par le biais de leurs représentants signaient les yeux fermés. Dans d'autres communes, on peut voir des revendications plus ou moins curieuses, du genre "tuer tous les lapins de la commune, car ils mangent le colza et les bonnes herbes" ! ».
6 « Trop de choses se font en ce bas monde sans qu'on me demande mon avis. ». Journal 1992-1996 de Philippe Bouvard.