Le regard sur la beauté est-il unidirectionnel ou peut-on voir dans plusieurs directions ? L'idée de beauté est-elle unique ou un miroir d'images multiples ? L'artiste devient-il multiple ou reste-t-il un rhapsode, incapable d'exercer pleinement l'une ou l'autre de ses fonctions ? Comment comprendre que près de 2500 ans plus tard, la théorie de l'art de Platon soit toujours d'actualité ?
L'esthétique et la question spécifique de la beauté constituent une discussion sans fin. L'idée de l'art et de l'artiste est également sujette à ce débat.
Dans La République, Platon évalue l'art en fonction de sa techné, selon qu'il est agréable ou dérangeant, et à partir de ce résultat, il évalue les types d'art que nous admettrons dans la cité. La techné s'oppose à l'épistémè, cette dernière étant la pensée pure qui se situe au-dessus et concerne le savoir du philosophe, celui qui "n'exprime que la réalité". C'est le philosophe qui régule toute la techné et, à travers elle, organise la cité.
Platon conclut que la vraie connaissance nécessite du temps, contrairement à l'innovation constante de l'époque et de la mode, qui conduit à la question : ce qui est aujourd'hui n'est pas demain ? Ce qui est beau n'est pas demain ? Ce n'est qu'alors qu'il est possible de comprendre que la beauté doit être identique à elle-même, et qu'elle est un concept immuable.
L'idée de beauté elle-même doit surmonter les époques et les mutations constantes du monde dans lequel nous vivons.
La beauté en tant qu'idée, ou même forme, apparaît comme un principe unificateur et réparateur du monde, et un artisan est spécialisé parce qu'il produit toujours en fonction d'une idée. Et ce "regard sur l'idée" se fonde sur un regard intellectuel et jamais physique, ce qui repose fermement sur sa théorie des idées : l'idée est le modèle, l'archétype ou le paradigme, puisque tout ce qui existe doit avoir un modèle et que tout ce qui existe en est un. Chez Platon, une imitation est bonne ou "plaisante" lorsqu'elle imite directement le modèle.
L'idée est donc le fondement interne, ce qui nous amène à nous demander : existe-t-il une idée de l'être humain ? S'il y a une idée du bien, qui n'est pas quelque chose de sensible, comme la justice, y a-t-il une idée de la beauté ? Il est important de noter que nous ne créons pas volontairement des idées ou des paradigmes, de sorte que l'idée est l'unité, et que ce n'est qu'ensuite qu'apparaissent les êtres sensibles et la multiplicité des choses qui ressemblent à l'idée.
Nous considérons l'apparence comme une multiplicité, des apparences d'idées (phainomena), dépourvues d'existence réelle en constituant des images diverses, ce que nous pouvons comprendre avec l'exemple du miroir.
Platon, le philosophe, place dans le personnage du rhapsode cette force de la pluralité, une force qui attire, qui domine et qui est capable d'exciter son public. La fascination se voit dans les regards et les oreilles par lesquels ils se connectent aux autres (regards et oreilles), par l'idée de beauté toujours présente dans ce qui est récité. À chaque représentation, on remarque l'attention du public grâce à cette force magnétique qui laisse toutes les oreilles suspendues et dépendantes de l'enchaînement des vers. Ce phénomène se produit également avec les yeux dans chaque interprétation imitative de la Rhapsodie, capable de captiver par l'embellissement de son propre corps.
Il en va de même dans les autres arts, lorsque, par exemple, l'artiste parvient à emprisonner le spectateur par le biais de la peinture, grâce aux multiples plans sur lesquels il est possible de capter l'attention. Cependant, en rendant la composition diverse et variée, l'artiste tente de maintenir l'unité, permettant ainsi à l'attention de ne pas se disperser.
La rhapsodie de Platon permet une immense réflexion sur le désir de l'artiste de concrétiser par les moyens les plus divers, même si cela implique souvent de ne pas réussir ou de ne pas atteindre l'idée unificatrice de l'art lui-même. Selon l'esthétique platonicienne, ce ne sont pas les mêmes personnes qui seraient capables d'imiter bien, et en même temps, deux arts mimétiques qui semblent proches l'un de l'autre.
Des siècles plus tard, cette rhapsodie sera presque défendue, exposée à de nombreuses tendances, en même temps qu'elle cherchera à rompre avec les modèles précédents.
La rupture se fait au-delà de l'intelligence, par la valeur de la sensibilité.