Il y avait de l'espoir après la COP21 à Paris, en 2015. Un accord contraignant fut conclu pour limiter le réchauffement climatique, de préférence à 1,5 ° Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Toutes les nations étaient réunies pour une cause commune ! Six ans plus tard, lors de la COP 26 à Glasgow, cet espoir n'a pas été déçu, mais les devoirs ont dû être "réaffirmés" et l'écart entre les plans de réduction des émissions existants et ce qui est nécessaire pour réduire efficacement les émissions a été reconnu. Aujourd'hui, nous nous dirigeons vers la COP 27 à Sharm El Sheik, avec un nouvel espoir.
Nous avons survécu à une pandémie et à un été de canicules, d'incendies de forêt et de sécheresses. Nous sommes au milieu d'une guerre en Europe.
Malgré tous les espoirs, je me demande si nous allons dans la bonne direction pour arrêter le changement climatique. Ne sommes-nous pas en train de nous perdre dans les nombreux chemins de traverse et impasses, en regardant le passé plutôt que l'avenir ?
Nous savons ce qu'il faut faire, nous disposons de toutes les connaissances scientifiques et de toutes les données pour prendre de toute urgence les bonnes décisions. Alors pourquoi cela ne se produit-il pas ? Pourquoi ne faisons-nous que renouveler l'espoir, en attendant une percée réelle et positive qui pourrait arriver trop tard ?
Il est facile de blâmer nos organisations internationales et nos gouvernements nationaux impuissants. Les États sont entravés par des entreprises puissantes et intrépides et des citoyens craintifs et réticents. Entre les deux, se trouve un mouvement "vert", pleinement conscient des dangers qui nous guettent, mais qui se dirige trop souvent dans la mauvaise direction, en regardant principalement le passé. Je voudrais faire valoir que tous les plaidoyers en faveur de la décroissance et de la réduction de la consommation ne contribueront pas à sauver la planète. Je ne prétends pas que ces arguments sont faux, mais je pense qu'ils resteront sans effet tant qu'ils n'adopteront pas une approche positive de la prospérité, du bien-être et du progrès.
Mon premier argument est clair comme de l'eau de roche. Oui, la prise de conscience de la menace que représentent le changement climatique et la perte de biodiversité progresse. Mais beaucoup trop lentement. Et les citoyens des pays riches, les principaux pollueurs, ne sont pas prêts à renoncer à leurs voyages en ville (‘city-trips’), à leurs vacances sur les plages tropicales, à leurs voitures et à leurs sacs en plastique. La classe moyenne plutôt aisée ne représente qu'une petite partie de la population mondiale, mais ses habitudes de consommation jouent incontestablement un rôle dans les émissions globales de CO2. Il est pourtant extrêmement difficile de convaincre les gens de faire un pas en arrière, aussi nécessaire que cela puisse paraître, de promettre "plus de bonheur avec moins". La crise actuelle montre que plusieurs changements de comportement intervenus au cours de la dernière année de COVID s’inversent rapidement lorsque les prix des denrées alimentaires augmentent ou que les possibilités de voyage s'ouvrent à nouveau. Malgré des décennies de signaux d'alerte verts, le succès est extrêmement limité. La méthode qui consiste à demander aux gens de renoncer au confort et au luxe ne fonctionne pas.
Un deuxième argument va dans le même sens. Pourquoi se concentrer autant sur le "flygskam" (honte de prendre l’avion) et fermer les yeux sur les émissions plus importantes de l'ensemble du secteur numérique ? Pourquoi ne pas condamner les bitcoins énergivores ? Pourquoi ne pas insister sur la nécessité d'investir massivement dans les forêts, la "viande" végétale et des industries plus propres, pour l'acier ou le ciment, par exemple ?
Quant aux pays plus pauvres, pourquoi se concentrer autant sur l'"extractivisme", qui peut en effet être très dommageable pour l'environnement et la santé humaine, au lieu d'exiger des technologies plus propres et un contrôle strict de l'exploitation des ressources naturelles qui sont indispensables pour nos téléphones portables, nos ordinateurs et, surtout, pour l'énergie propre et verte ? En général, les mouvements verts se concentrent davantage sur la consommation que sur les modèles de production qui sont bien plus dangereux et dommageables. Dans de nombreux secteurs, comme l'exploitation minière, l'acier et le béton, la production peut être rendue plus propre. De nombreuses technologies sont disponibles ou peuvent être rapidement développées pour une énergie plus propre et une meilleure agriculture. Trop souvent, les militants écologistes ont peur d'être qualifiés d'"écomodernistes". Ils préfèrent défendre les pistes cyclables plutôt que de promouvoir les transports publics. C'est pourquoi ils se retrouvent constamment du côté des perdants.
Tant que les gens ne se verront pas offrir un réel progrès, plus de prospérité et plus de bien-être, au lieu d'être encouragés à "faire avec moins", il y aura peu de changements. Tant que les problèmes réels de l'exploitation minière, de l'industrie et de l'agriculture ne seront pas abordés, il y aura peu de changements. Tant que l'effort de guerre ne sera pas intégré dans la mesure des émissions, il y aura peu de changements.
En outre, il est clair que si notre système économique ne doit pas être exclusivement axé sur la croissance, la plupart des pays du Sud ont besoin de croissance pour offrir à leurs populations une vie meilleure, une protection sociale accrue, de meilleurs emplois, de meilleurs transports, des villes durables et vertes. Les inégalités mondiales doivent être combattues, certes, mais la redistribution seule ne peut suffire, la richesse doit être créée différemment et être répartie à l'échelle mondiale. La prospérité et le bien-être doivent être accessibles à tous. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons prendre soin de la nature et de l'environnement. Donc oui, nous avons besoin de croissance, mais pas d'une croissance aveugle et non spécifiée, et oui, les gens ont besoin de plus de prospérité. Le discours vert doit devenir une promesse de progrès et de vie meilleure s'il veut être pleinement accepté. Il devrait devenir positif au lieu d'être une condamnation constante de toutes les mauvaises pratiques. Pour sauver le monde, il faut plus de prospérité, surtout dans le Sud.
Cela signifie-t-il que nous devons adopter une certaine dose d'écomodernisme ? Oui, absolument, afin d'arrêter rapidement le changement climatique et la perte de biodiversité. Il doit s'agir d'un écomodernisme prudent, avec des précautions particulières en ce qui concerne le génie génétique, car il n'y a pas encore assez de recherches sur les éventuelles conséquences négatives. Cela ne signifie pas que nous devons promouvoir l'énergie nucléaire ou envisager la géo-ingénierie, car dans ce secteur, nous ne savons absolument rien de son impact à long terme. À l'heure actuelle, nous disposons déjà ou pouvons développer la plupart des technologies nécessaires pour arrêter le changement climatique et mettre un terme à la perte de biodiversité. Il faut investir massivement.
Qu'avons-nous d'autre à promouvoir ?
J'ai souvent cherché mais n'ai jamais trouvé de chiffres corrects sur les ressources nécessaires à l'industrie que nous voulons préserver. J'ai récemment entendu dire que 10 % seulement de tout l'or gagné sera utilisé par l'industrie. Si c'est vrai, nous pouvons facilement interdire 50 % des mines d'or, très polluantes. Pourquoi endommager l'environnement et la santé humaine pour les bijoux des riches ? Qu'en est-il des autres ressources ? Y a-t-il un risque d'épuisement de certaines ressources ? Le bois ? L'eau ? Avons-nous fait un bilan mondial et une évaluation de ce dont nous avons réellement besoin avec une population de 10 milliards d'habitants ? Est-il vrai que cela nécessitera une extension considérable des zones agricoles ? Ce sont des connaissances utiles lorsqu’il faut prendre des décisions dans certains secteurs, par exemple le bétail et la viande. De quelle quantité d'eau disposons-nous pour les besoins de 10 milliards de personnes ? Pouvons-nous la gaspiller pour des terrains de golf et des piscines privées ? Pour le bétail et le Coca-Cola ?
Avec la même préoccupation pour la préservation et le bon usage des ressources naturelles : peut-on concevoir un système de communs mondiaux ? Même si au 20e siècle de nombreux mécanismes ont été mis en place pour interférer dans les décisions économiques des pays souverains, ne pouvons-nous pas agir pareillement pour la gestion et la distribution des ressources ? Pourquoi cela devrait-il rester à l'intérieur des frontières nationales ? Si une région d'Espagne manque d'eau, il y aura sûrement une réflexion sur la façon de faire venir de l'eau d'une autre région. Mais pourquoi pas depuis ou vers le Portugal ? Ou de la France ? Ou du Maroc ? Les ressources naturelles sont prélevées sur notre planète Terre qui nous appartient à tous, alors pourquoi ne pas les partager entre nous tous ? Les frontières sont le résultat de décisions politiques et arbitraires, alors pourquoi les ressources devraient-elles être la propriété exclusive des États-nations ? De plus, puisque des systèmes pour les communs et les dividendes nationaux ont déjà été proposés, pourquoi la même idée ne pourrait-elle pas être appliquée aux communs mondiaux ? Que tous les habitants de la terre bénéficient des biens que fournit cette planète ! C'était l'idée de base de Thomas Paine sur laquelle se fondent (à tort) de nombreuses propositions actuelles relatives au revenu de base. Les communs mondiaux avec un dividende mondial pourraient devenir un système basé sur notre propriété commune, la solidarité et les droits, plus juste et meilleur que la redistribution biaisée et insuffisante des ressources que nous connaissons actuellement. Bien sûr, c’est fortement lié aux relations de pouvoir dans notre monde et ne sera pas facile à instaurer, mais cela peut devenir un mécanisme permettant d'éviter les conflits. Dans notre monde actuel, trop de conflits sont causés par la concurrence pour les ressources, il suffit de penser au gaz et au pétrole de la Russie sans lesquels les Européens risquent de passer un hiver froid sans chauffage.
Cela nous permettrait de nous diriger effectivement vers un changement de système plutôt que vers un changement climatique. De nombreuses petites mesures ont déjà été prises, comme la reconnaissance par les Nations unies du droit à une eau potable salubre et propre comme un droit fondamental. Récemment, un "environnement propre, sain et durable" a également été reconnu comme un droit de l'homme par l'Assemblée générale des Nations unies. Le Conseil des droits de l'homme travaille actuellement sur le droit au développement et proposera un nouveau traité avec de nombreuses idées novatrices et progressistes. Il ne s'agit pas de textes contraignants, contrairement à ce que contiennent quelques nouvelles constitutions de pays d'Amérique latine (comme la plurinationalité et les droits du "buen vivir"), mais ils peuvent devenir des outils très utiles entre les mains des mouvements sociaux mondiaux et des gouvernements nationaux ou locaux qui veulent faire de réels progrès. Les dernières décennies néolibérales ont profondément modifié nos systèmes politiques, économiques et sociaux par des privatisations et des dérégulations. En sortant l'économie du champ de la décision démocratique, nos démocraties se sont érodées. Alors que les résistances à cette situation se multiplient, la répression des mouvements sociaux s'est renforcée et nous nous trouvons dans une dangereuse spirale négative vers les autocraties et les dictatures. Il est temps d'inverser la situation, de restaurer et d'améliorer la démocratie, ces "valeurs" dont l'Occident est si fier, et de remettre l'économie entre les mains des citoyens et des pouvoirs publics. Les services publics, financés par les dividendes des communs mondiaux et des taxes équitables, sont l'outil le plus direct et le plus rapide pour faire accepter aux gens les changements positifs liés à l'arrêt du changement climatique.
La chose la plus importante à réaliser, en effet, est de faire un récit positif du progrès, de la prospérité et du bien-être, seule véritable condition pour convaincre les gens de suivre la voie verte. La justice sociale est le meilleur outil entre les mains des militants verts, promettant des maisons isolées, une énergie moins chère, des lieux de travail plus sains, de meilleurs transports publics, des soins de santé préventifs et, oui, une vie plus longue ! La justice sociale, dans toutes ses dimensions, ouvre la porte à un monde durable avec des sociétés durables. Les droits reproductifs pour notre planète, nos sociétés et nos populations sont plus importants que les droits productifs destructeurs. De nombreuses idées utiles peuvent être tirées de la pensée économique féministe qui, jusqu'à présent, a été largement négligée.
Et enfin, à ne jamais oublier : les mouvements sociaux doivent s'organiser et s'exprimer. Aujourd'hui, nous assistons à un sérieux revers pour les mouvements sociaux qui sont redevenus nationaux et locaux, alors que plus que jamais des mouvements et des actions globales sont nécessaires. Les mouvements doivent s'exprimer, d'une voix mondiale forte, pour revendiquer la solidarité, une seule planète, une humanité, pour revendiquer les droits reproductifs de tous.
Un autre monde est possible !