Ce 26 janvier, on apprend le décès de Marie-Claire Chevalier. L’histoire de cette femme a bouleversé la France des années 70 lorsque, enceinte à 16 ans après un viol, elle avait avorté clandestinement. Cela donna lieu à un procès où elle fût poursuivie pour avortement, trois autres personnes, dont sa mère, le furent aussi pour complicité d’avortement. Son avocate, Me Gisèle Halimi fit de ce procès celui de l’avortement, soutenue par de nombreuses personnalités parmi lesquelles Simone de Beauvoir. Ainsi est entré dans la légende judiciaire le fameux procès de Bobigny, qui s’ouvrit en 1972 et fut l’acte majeur permettant la légalisation de l’avortement portée par Simone Veil en 1975.
Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, qui préside l'association féministe Choisir, décident avec l'accord des inculpées de mener un procès politique de l'avortement : loin de demander pardon pour l'acte commis, la défense attaquera l'injustice de la loi de 1920 qui interdisait l’avortement, la contraception, et tout ce qui pouvait les promotionner, d'autant qu'alors que les Françaises qui le peuvent partent en Suisse ou en Grande-Bretagne pour avorter, les plus pauvres doivent le faire en France dans la clandestinité et des conditions sanitaires souvent déplorables.
Le comble de l’ignominie dans ce dossier, c’est que Marie-Claire Chevalier avait été dénoncée à la police par son violeur – qui espérait ainsi bénéficier de clémence pour une sombre affaire de vols de voitures. Si aujourd’hui les femmes françaises sont maîtresses de leur corps et de leurs grossesses, elles le doivent à la loi Veil bien entendu, mais également au combat mené par Gisèle Halimi lors de ce procès gravé dans l’histoire de la justice française.
Si je choisis de parler de cela, c’est parce que rien n’est jamais acquis. Simone de Beauvoir nous mettait en garde :
N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.
On assiste à une remise en cause du droit à l’avortement dans toute l’Europe.
Les micro-États d'Andorre, du Vatican et Malte sont les trois pays d'Europe où l'IVG est encore interdite, quelle que soit la situation. En Andorre, la loi prévoit des peines de prison pour les femmes ayant avorté et les médecins qui conduisent un avortement "clandestin". En Pologne, pays le plus rétrograde en la matière après eux, l’interdiction est quasi-totale. En octobre dernier, une jeune femme de 30 ans y est décédée d’un choc septique parce qu’elle n’ait pu bénéficier d’une IVG qui lui aurait sauvé la vie, les médecins ayant préféré attendre le décès du fœtus in utero, pour ne pas se mettre en infraction avec la loi.
Autorisé, mais rendu difficile.
En Italie, l’avortement est légal depuis 1978, mais le taux de médecins et autres soignants invoquant une « clause de conscience » dépassant les 80 % – selon une enquête du ministère de la santé – rend l’accès à l’IVG quasi-impossible pour les femmes. Selon l’association Luca-Coscioni qui a mené une enquête indépendante nommée « Mai Dati », dans 22 hôpitaux et quatre cliniques publiques, 100 % des gynécologues, anesthésistes et personnels infirmiers se refusent à pratiquer l’avortement.
En France, pouvoir bénéficier d’une IVG dans les délais légaux à l’heure de la crise sanitaire – 12 semaines – devient difficile également, d’où un texte de loi visant à allonger le délai à 14 semaines. Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, il a été rejeté au Sénat une première fois en janvier 2021, puis une seconde fois le 19 janvier 2022 malgré les modifications apportées par l’Assemblée nationale. À noter qu’en France, comme en Italie, il se trouve que certains hôpitaux ou cliniques ne peuvent satisfaire les demandes faute de médecins n’évoquant pas de « clause de conscience ». Certains font même appel à des médecins retraités pour pratiquer les IVG.
Les femmes européennes ont de bonnes raisons de craindre pour leur liberté de choix, puisque tout récemment, le Parlement européen a élu à sa présidence Roberta Metsola (PPE, Malte), ouvertement antiavortement et anti-contraception. À l’heure où les femmes souhaitent voir inscrit dans le marbre constitutionnel l’accès légal à l’IVG, cette élection à l’unanimité ne peut que faire naître des craintes.