En France, 2019 avait été une année noire pour les femmes. En effet, cette année-là, le nombre de féminicides enregistrés dans l’Hexagone avait enregistré une hausse de 21 %, soit 146 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en un an, selon l'enquête de la délégation aux victimes. Sous la pression des associations féministes ou d’aide aux femmes victimes, le gouvernement décidait d’ouvrir un grand Grenelle dédié aux violences conjugales. Des préconisations ont été avancées dès novembre 2019, certaines pour une mise en application immédiate, d’autres devant s’inscrire dans le temps.
Il avait été décidé une large distribution des bracelets anti-rapprochement, d’une facilitation des dépôts de plainte – entre autres dans les hôpitaux, d’une formation plus importante des fonctionnaires de police et des gendarmes… Enfin, depuis cette année, le 3919, le numéro d’aide destiné aux femmes violentées créé par solidarité Femmes assure désormais des permanences 24 h/24 et 7 jours/7.
Depuis, 2020, la pandémie de la COVID-19 et les confinements sont passés par-là. Certains n’ont pas hésité à se féliciter de la baisse des féminicides – ce qui n’a rien détonnant étant donné que la première cause du passage à l’acte réside dans le départ de la victime, départ rendu impossible ou très difficile en 2020.
S’il n’y a eu que 90 féminicides cette année-là, contre 149 l’année précédente, on peut néanmoins observer que les violences – qu'elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles – ont augmentées de façon exponentielle. Ainsi, le premier confinement a vu une hausse des signalements de 40 % puis, durant le second, une hausse de 60 % des signalements effectués sur la plateforme Arrêtons les violences par rapport à une période normale. En cause, les effets délétères de l’enfermement couplé au télétravail, ainsi qu’un climat de tension très fort du fait de la crise économique et sociale qui s’annonce à venir.
Ainsi, on peut dire que pour les femmes, la COVID-19 a été la double peine puisqu’elles se sont retrouvées plus exposées que jamais à toutes les formes de violences, sans avoir la possibilité de rompre l’isolement autrement que de façon numérique et/ou téléphonique.
À l’issue de chacun des confinements, les associations d’aide aux femmes victimes ont enregistré une nette augmentation des demandes d’hébergement en lien direct avec leur départ du foyer. Des milliers de places manquent dans l’offre publique d’hébergement, à tel point que des organismes privés se retrouvent sollicités pour pallier les carences de l’État, ce qui n’est pas leur vocation. On parle beaucoup de l’accueil des victimes – femmes et enfants – mais très peu au final de l’éviction du conjoint violent de son foyer. Pourquoi des victimes doivent-elles être condamnées à fuir tandis que l’auteur des violences profite tranquillement du logis ? Ce n’est pas logique. Comme le prêche Luc Frémiot, ex-procureur de Douai aujourd’hui retraité, il faut exclure systématiquement le violent de sa zone de confort. Il le pratiquait à Douai, et cela avait fait tomber le taux de récidive en dessous de 10 %. Cela se pratique largement au Canada, et depuis longtemps. Lors du Grenelle, il a été question de créer des centres d’hébergement pour les auteurs de violence et de généraliser les thérapies. Ces dernières sont très importantes car si l’on ne traite que les victimes, on n’éradiquera jamais les racines du mal.
Du Grenelle, il est également ressorti qu’il fallait que les juges prononcent plus d’ordonnance d’éloignement, que les bracelets anti-rapprochement et téléphones grand danger soient plus largement distribués. Malgré cela, quelques faits divers tragiques de cette année 2021 sont venus nous rappeler que cela était loin de s’être généralisé. Ainsi, on a pu voir un homme, en liberté conditionnelle après une condamnation pour violence conjugale, être assigné à résidence chez sa victime, lui offrant ainsi l’opportunité de la tuer alors qu’elle tentait de se rendre au commissariat (fermé la nuit) proche de chez elle (Hayange en mai 2021). Le rapport d’inspection a assuré qu’il n’y avait eu aucun dysfonctionnement dans cette terrible affaire, mais pourtant. Restriction des forces d’ordre, commissariat aux horaires d’ouverture restreintes et le fait qu’un juge puisse autoriser la remise en liberté d’un bourreau au domicile de sa victime… Des choses incompréhensibles pour peu que l’on soit doté du plus élémentaire des bons sens, mais qui semblent être « normales » pour une commission d’inspection.
En mai 2020, la chancellerie reconnaissait que sur 1 000 bracelets anti-rapprochement disponible en France, seuls 45 étaient attribués et actifs, soit 4,5 %. Inacceptable pour un pays dans lequel une femme meurt tous les 3 jours !
Inacceptable aussi qu’un conjoint condamné pour avoir maltraité la mère de ses enfants soit considéré, par les juges aux affaires familiales, comme un bon père de famille ! Il est prouvé qu’un enfant témoin est lui-même une victime par procuration et que, en l’absence de prise en charge spécifique, il aura tendance une fois adulte, à devenir victime ou bourreau.
Pourtant, selon l’étude des chiffres de l’année 2019, 63 % des victimes féminines ayant subi des violences antérieures (38 sur 60 recensés) avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre et 9 autres s’en étaient confié à des témoins. 26 de ces 38 victimes (68 %) avaient déposé plainte pour ces violences antérieures contre leurs auteurs. Seuls 2 d’entre eux faisaient l’objet d’un contrôle judiciaire, selon la lettre de l’Observatoire National des violences faites aux Femmes.
Pour en terminer sur ce premier volet consacré aux violences intrafamiliales, l’autre fait marquant qui doit nous alerter c’est le nombre d’infanticides. En 2019, 25 enfants étaient morts dans un contexte d’infanticide ou dans un climat de violence conjugale, 14 ont été recensés pour l’année 2020.
Il est à noter que l’Espagne, pays à la pointe en matière de violences conjugales et de féminicide, vient de doter son Code Civil d’une disposition permettant le retrait de tout droit de visite à un père auteur de violence de genre. De quoi inspirer le législateur Français, quand on sait qu’actuellement, le retrait de l’autorité parentale n’est pas encore devenu systématique en cas de féminicide. Resterons-nous encore longtemps à la traîne ? Combien faudra-t-il encore de femmes, d'enfants sacrifiés ?