Autrefois, les Rois utilisaient les bandits pour garder les frontières, et l’empire britannique les corsaires, « honorables » pirates au service de la Couronne, pour maintenir les confins. Depuis lors, la démocratie libérale aurait dû changer le cours des choses …
Née sur les cendres de la Seconde guerre mondiale, l’Union Européenne devait servir d’antidote aux nationalismes qui l’avaient déjà détruite à plusieurs reprises. Cette question des « nationalités » devait y être gérée par un effacement progressif des frontières sous l'impulsion de facteurs tels les politiques communes, la dévolution de pouvoirs aux instances régionales ou encore la coopération transfrontalière.
Au lieu de quoi, depuis la chute du Mur de Berlin et au rythme d’une globalisation sans pilote, l’élargissement à marche forcée de l’Union Européenne a donné lieu à une ouverture brutale des frontières aux personnes, aux biens, aux capitaux et jusqu’aux services, mais aussi et surtout à ces groupes sans foi ni loi dépourvus de territoire. Le réveil est brutal. Partout en Europe, l’extrême droite avance à pas de géant et les institutions démocratiques s’érodent du même pas.
Les Etats de l’Union Européenne s’affaiblissent, chacun en particulier, et tous ensemble à tolérer ces puissantes zones d’illégalités au sein de leurs territoires géographiques, de leurs institutions publiques et de leurs politiques. Pendant que les citoyens européens sommeillaient, ces forces qui avancent masquées ont dompté la politique dans le sillage du grand marché.
Elles se dessinent plus clairement lorsqu’on constate que le Président russe a eu autant de difficultés à récupérer le pouvoir confisqué par des oligarques pour rétablir (à sa mode …) les capacités de gestion de l’Etat russe sur son territoire, que les Européens éprouvent difficultés à développer économiquement les Etats de l’Union Européenne dont l’économie est, en réalité, devenue largement tributaire de ces mêmes oligarques (quels que soient les prête-noms et les formes qu’ils se donnent).
D’autant plus que des connexions se profilent entre cette élite financière hors les lois et les mafias, russe et italienne, qui depuis une vingtaine d’années, ont fait alliance avec des opérateurs infiltrés dans et en marge des institutions de nos démocraties.
Qu’il suffise de suivre cette filière des visas dans les ambassades occidentales qui a ouvert la voie aux guides des traversées des déserts et de la Méditerranée, les seigneurs de la guerre en Afrique et les « guerres de Mésopotamie » faisant le reste. Des gestionnaires criminels sous traitent aux entreprises, grandes et petites, à leur tour sous-traitantes des Etats infiltrés, l’immigration clandestine que les organisations criminelles utilisent comme couverture et comme main d’œuvre à bon marché dans l’Union Européenne. Ce processus sournois est à présent occulté par ces ennemis très visibles qui déferlent sur l’Occident d’abord avec la recrudescence du terrorisme (2015) puis avec la diffusion du Covid (2020), deux « phénomènes » qui paralysent le cœur des préoccupations politiques, économiques et sociales des sociétés qui se veulent, sinon à tout le moins se prétendent, encore démocratiques.
Citoyens et démocraties tétanisés, certains se sont organisés pour profiter d’une situation que bien souvent ils avaient aussi contribué à créer. Voici comment :
- 1ère étape : mettre les capitaux à l’abri dans les paradis fiscaux ;
- 2de étape : utiliser la digitalisation des transactions pour transformer les bourses mondiales en un gigantesque casino truqué, « conduit » par des vendeurs et des acheteurs qui opèrent en réseau, organisant la richesse des uns et la ruine des autres. Accident au programme ? La crise financière de 2008 n’a fait qu’éliminer quelques acteurs et redistribuer quelques cartes ;
- 3ème étape : détourner les instruments de “couverture de risque” pour les transformer en instruments de gains financiers produits des pertes économiques des citoyens, des entreprises et des Etats ;
- 4ème étape : inflationner les déficits des entreprises et des Etats occidentaux, notamment hors marché, afin de les transformer en instruments de contrôle pour les détenteurs de dettes ;
- 5ème étape : développer des cryptomonnaies protéiformes comme instruments alternatifs de transaction, hors système monétaire mondial (et donc aussi à l’abri des réglementations financières et de leurs conséquences judiciaires), puis imposer leur convertibilité afin d’y supplanter les Etats et d’en prendre le contrôle.
Faut-il s’étonner que les cryptomonnaies, avec l’anonymat qu’elles permettent, soient devenues l’instrument privilégié des fraudeurs organisés et autres criminels sans frontière ? Un hasard certes, le fait qu’une ile où ne circuleraient que les cryptomonnaies, Bequia, doive voir prochainement le jour dans les Caraïbes.
La Chine, de même que l’Inde et la Turquie, viennent de s’apercevoir du danger. Usant de prudence, ils interdisent à présent les transactions par cryptomonnaies qui non seulement ne répondent (officiellement) à personne mais sont de surcroit d’usage de plus en plus courant pour les « globe trotters hors la loi » de la planète.
L’Allemagne, par contre, joue de l’audace en autorisant à partir du 1er juillet 2021 ses holdings financiers à détenir jusqu’à 20% de leurs réserves en cryptomonnaies. Une assurance contre crises financières et bancaires qui se profilent ? Un instrument à usage de futures négociations monétaires ? Les Etats de l’Union Européenne se devraient de s’en préoccuper, d’autant qu’ils continuent de se heurter au refus de constituer des eurobonds dignes de ce nom et à cette volonté de remettre en fonction le pacte de stabilité suspendu. Pour mémoire, les capitaux produits d’activités criminelles trouvent encore havre tranquille pour blanchiment, dans cet Etat de l’Union Européenne où l’extrême droite est la plus active à relever la tête. A suivre.
Le nouveau président des Etats Unis est plus prudent. Sa réforme fiscale prévoit de tenter de « récupérer » le contrôle en augmentant les taxes sur les gains en capital des plus riches (avril 2021), imposant la déclaration de ces capitaux détenus en cryptomonnaies1 dans les déclarations fiscales.
Le risque de jouer à l’apprenti sorcier n’est pas mince. Selon un sondage du World Economic Forum (2020, source février 2021), les principaux usagers des cryptomonnaies (qui les utiliseraient en particulier pour l’envoi de fonds dans le pays d’origine suite au cout élevé des frais des autres formes de transferts) se trouveraient au Nigéria (32%), Vietnam, Philippines, Turquie, Pérou, Brésil, Colombie, Argentine, Mexique, Chili… hasardeuses compagnies pour des démocraties occidentales. Suivraient la Suisse et la Grèce (11%), et autour de 5%, la Chine, USA, Allemagne, Japon et Danemark (source : Statistical Global Consumer Survey). La Tribune rapporte qu’Ukraine, Russie et Venezuela présenteraient le pourcentage le plus élevé d’utilisateurs dans leur population.
Les plateformes les plus importantes se trouvent aux Etats Unis et en Chine. L’Union Européenne, qui jusqu’à ce jour s’est démontrée incapable de se créer une monnaie de réserve effective, semblerait laisser à ses banques la liberté de jouer avec ce nouveau jouet qui ces derniers mois fait (pour autant qu’ils soient “bien connectés”) et défait les millionnaires, ruinant au passage quelques imprudents citoyens.
Force est de constater qu’un tel instrument destiné pour mille motifs à concentrer la richesse aux mains de quelques-uns abandonnant loin derrière tous les autres, trouverait mieux sa place au rang des jetons de casino … qu’aucune entreprise sérieuse ni aucun Etat aurait idée ni d’utiliser ni de se mettre à thésauriser. Sauf à considérer que l’Etat n’est plus la référence de la souveraineté, mais bien la somme de richesse possédée, pire encore auto-créée… De beaux désordres en perspectives, à constater qu’en deux semaines, le bitcoin a perdu 40% de sa valeur (mai 2021).
La guerre des monnaies aurait-elle commencé ? Toujours est-il que cette guerre monétaire entre des Etats territoriaux, d’une part, et ceux qui dépourvus de territoire tentent d’acquérir les instruments de la souveraineté (toujours à la recherche d’alliés territoriaux, et donc de territoires, au gré des opportunités) sera sans doute celle qui déterminera les équilibres géopolitiques dès avant la fin du siècle.
Au moment où la cyber sécurité fait la une de la presse chaque matin, dévoilant de nouveaux pans de souveraineté qui s’effondrent sous les coups d’une digitalisation généralisée, on ne voit pas en quoi les crypto-dollar, crypto-euro et autres crypto-yuan contribueraient à résoudre ce problème qui relève de l’organisation politique et économique internationale. Pas plus d’ailleurs que les pass verts de l’Union Européenne en bonne voie pour livrer à l’adversaire géopolitique le contrôle de sa population, qui risquent de surcroit, à cette même fin, de virer au noir.
A ceux qui sont attachés aux valeurs démocratiques : peut-être est-il temps de reconsidérer la création de banques publiques, ou mieux encore d’une banque publique européenne ?
Certes il est aussi indispensable de conférer à une monnaie européenne (quel qu’en soit le nom et l’Union Politique Européenne qui la fonde) les bases indispensables pour en faire une monnaie de réserve mondiale effective, capable de se confronter aux vents de face dans la tempête qui se rapproche, urgence qui n’avait pas échappé à l’ex-président de la BCE.
Le président du parti socialiste italien propose, pour sa part, de prélever 1% des fortunes supérieures à 5 millions d’euro pour les distribuer « aux jeunes » (ne serait-ce pas plus utile d’utiliser le produit d’une telle taxe pour contribuer au capital d’une banque publique qui ait pour vocation d’assurer un droit modulé universel au crédit, cet instrument indispensable à tout citoyen pour assurer ses risques et garantir ses entreprises ?). A voir l’opposition à laquelle cette proposition « de gauche » se heurte, tous partis confondus, on pourrait croire que 90% des italiens sont propriétaires de plus de 5 millions d’euro en capital…
Mais à y regarder de plus près, on y mesure le déficit démocratique dans lequel sombre l’Union Européenne qui promet paix et bien être à ses citoyens, dont trop souvent les élus ne représentent plus ni les valeurs et ni les intérêts.
2021, le BREXIT se confronte aux premières violations des accords conclus, la Suisse vient de suspendre les négociations qui visaient à approfondir ses relations avec l’Union Européenne, sans parler du Sofagate qui s’est joué aux portes de l’Europe. Manifestement, à la suite d’un modèle socio-économique en crise résultat de déficits démocratiques croissants, le soft power européen est en chute libre. Un déficit démocratique que la crise économico-sanitaire a encore aggravé et auquel il est urgent de porter remède.
Passons à l’atelier ?
A court terme :
- refinancer à conditions et termes efficaces et soutenables tout emprunt couvert par un capital des citoyens et des entreprises qui le demandent, pour protéger le tissu économique existant dans l’Union Européenne, socle indispensable à la tenue de la démocratie ;
- taxer à 50% les profits récurrents commerciaux et financiers des entreprises et détenteurs de capitaux engrangés durant les années 2020 et 2021 qui dépassent ceux engrangés en 2019, pour financer à 50% les pertes subies par les commerces et entreprises durant la même année, afin de mieux répartir la charge de la crise économico-sanitaire sur l’ensemble des acteurs économiques ;
- séquestrer, notamment par équivalent lorsque « réfugiés » dans des paradis fiscaux, le produit de la fraude fiscale et sociale organisée, afin de restituer aux Etats ces ressources qui leur ont été illégalement soustraites ;
- mettre effectivement en œuvre les nouveaux programmes de l’Union européenne et les prolonger : Sure (assurance chômage, à financer par des social bonds européens), European Green Deal (visant à neutraliser l’impact des Etats UE sur le climat pour 2050, dont le cout ne peut peser sur les économiquement faibles dans l’Union Européenne), Next Generation EU (programme de résilience et relance pour développement soutenable, qui ne peut se faire au prix de faveurs pour le crime organisé) ;
- abandonner l’idée que le digital est une fin en soi (sinon pire un mode pour « faire de l’argent »), et l’inscrire définitivement au rang des instruments destinés à actualiser les valeurs de l’Union Européenne, à la rendre efficace dans le monde en cohérence, et à protéger la planète ;
- confirmer l’acceptation de la monnaie fiduciaire pour les montants inférieurs à 2000 euro et interdire l’obligation de digitalisation bancaire pour les transactions courantes des particuliers inférieures à ce montant (pensions…), afin de limiter le risque de “prise en otage financière” de citoyens ou d’une population entière.
A moyen terme : ouvrir des négociations dans les forums appropriés, avec pour objet :
au sein de l’Union Européenne :
- doubler le budget européen ;
- transformer les prêts back to back de l’Union Européenne en véritable « European bonds », garantis par l’Union Européenne dans son ensemble (sinon à défaut dans le cadre de la zone euro), et non plus par chacun des Etats pour leurs parts respectives ;
- doubler le budget européen ;
dans la zone Euro :
- attribuer à la BCE des pouvoirs équivalents à ceux de la Federal Reserve aux Etats Unis ;
- attribuer à la BCE des pouvoirs équivalents à ceux de la Federal Reserve aux Etats Unis ;
en Occident (UE/AELE –USA/CN & Afrique-Amlat) : préparer de nouveaux équilibres économiques et financiers internationaux, justes et soutenables. Dans un premier temps, engager le dialogue avec les Etats Unis pour une gestion concertée des monnaies et des économies dans les démocraties occidentales, notamment :
- convenir d’un taux minimum commun de 21% de taxation des multinationales de part et d’autre de l’Atlantique (proposition du président américain en avril’21, qui croiserait proposition de la France et d’autres) ;
- négocier un nouvel accord monétaire (type serpent monétaire ?) avec les Etats Unis, en attente d’un accord dans le cadre du Fond Monétaire International ;
- interdire la convertibilité des cryptomonnaies (et de toute autre monnaie non adoptée comme unique et officielle par un Etat ou un groupe d’Etats membres de l’ONU) ; interdire à toute institution publique et à toute entreprise d’y investir et/ou de les utiliser pour financer investissements ou transactions commerciales ;
- sortir les bourses du système casino pour les réinstaller au cœur de l’économie libérale démocratique (ex. taxer à 50% les profits engrangés sur shorts, sur les variations en capital supérieures à X% annuel…).
- convenir d’un taux minimum commun de 21% de taxation des multinationales de part et d’autre de l’Atlantique (proposition du président américain en avril’21, qui croiserait proposition de la France et d’autres) ;
Des propositions radicales qui tranchent, parce qu’aujourd’hui ce sont les démocraties libérales elles-mêmes, anesthésiées depuis trop longtemps, qui jouent leur destin.
Ce serait là faire bien meilleur usage d’un « règlement européen sortie de pandémie » plutôt que d’imposer à l’Italie d’accélérer son système judiciaire quitte à faciliter les investissements des mafias.
A tout le moins si la génération qui monte maintient le souhait de celles qui l’ont précédée de bénéficier de la liberté, pour tous, et non seulement pour certains. A cette fin, investir dans l’éducation et la justice serait sans doute plus profitable que de dépenser les millions de la Commission Européenne à nourrir des sociétés informatiques avides des données personnelles des européens, imposant un pass vert au risque qu’il se teigne de noir, dont la première destination apparait de livrer aux adversaires de la démocratie (interne et externe) une souveraineté que le citoyen européen démontre, aujourd’hui encore, ne pas avoir l’intention d’abandonner.
1 « Turkey-India-China look ban crypto, US-Germany-Iran move use it », Newsweek, 6/5/21; « Qui sont les utilisateurs de crypto-monnaies dans le monde », La Tribune, 21/10/20.