Les dessins de Joël Person, l’œuvre dans son ensemble, s’articulent selon deux temps, à la conjonction de deux notions d’histoire, l’histoire de l’art et celle, intime, de l’artiste.
Ses références artistiques principales, Delacroix, Géricault, s’imposent naturellement au regard du motif omniprésent dans son travail, le cheval, lié à son enfance où l’animal est l’objet de tous les interdits et de toutes les peurs. Tout d’abord une statuette chinoise d’un cheval Tang appartenant à sa mère, à regarder à distance, qu’il perçoit comme un être vivant qui « représentait pêle-mêle l’interdit, la transgression, le danger ». D’autre part, un tableau de Paul Magne de la Croix, peintre animalier ancêtre de l’artiste, représentant le supplice de la princesse wisigothe, reine des Francs, trainée nue par un cheval au galop. Malgré la violence de la scène, la présence d’une forme de sensualité vient se superposer à sa perception du cheval.
Si bien qu’au départ, les dessins de Joël Person portent sur ce point d’interférence avec l’histoire de son enfance qu’il croise avec l’histoire de l’art.
Le dessin conjure, en quelque sorte la distance. Le désir intervenant dans le champ de la création artistique, il n’a dès lors de cesse de transgresser l’interdit en s’appropriant la figure du cheval au moyen de la pratique traditionnelle du dessin au fusain.
« Le dessin n’est pas la forme, il est le moyen de voir la forme » selon Degas. Cela passe par un questionnement sur les moyens inhérents à la pratique du dessin. Quels dispositifs peuvent opérer la mise au jour d’une forme ?
Pour Joël Person, avant toute apparition de la figure, le support du dessin, la feuille de papier, ne peut être une surface vierge. Elle fait l’objet d’inscription d’éléments divers, dessins de nus, annotations, formules mathématiques, qui se superposent formant ainsi un palimpseste.
Celui-ci joue le rôle d’outil de révélation de la figure. Elle semble surgir de cet enchevêtrement de signes, métaphore de la distance que le dessin abolit.
Le cheval prend corps, le travail du trait au fusain soulignant sa morphologie.
Il évoque ainsi ce processus créatif visible en tant que tel : « Le cheval est pour moi une puissance entravée, essentiellement empêchée de faire. Mon dessin le libère au moment où j’exprime moi même ma liberté dans le dessin ».
Autre dispositif destiné à créer l’intensité d’une présence par un effet de cadrage. Le « cob normand » également intitulé « cheval à la barre » en est l’exemple.
Il n’est pas surprenant que Joël Person fasse référence à la Tête de cheval blanc de Géricault, tableau dont le traitement formel aboutit à la constitution d’un portrait.
Il en est de même pour la composition du « cheval à la barre ». Derrière la figure, un vide noir d’une profondeur caravagesque, un espace irréel et abstrait. Devant elle, une barre ferme l’espace au niveau de ses yeux. Le corps du cheval prend place dans cet espace réduit qui met en valeur la puissance de son animalité rendue par le travail du trait qui sculpte la figure. La barre, métaphore de l’enfermement de l’animal matérialise d’autre part la séparation entre l’espace du dessin et celui du spectateur. Elle induit l’idée d’inaccessibilité malgré la composition en plan serré, une forme de présence/absence dans laquelle l’animal renvoie à une figure de l’altérité que Joël Person évoque ainsi : « Quelle différence entre lui et moi ? ».
D’autres dessins, à l’inverse, instaurent une dynamisation de l’espace. C’est le cas des Chevaux de l’Apocalypse aux dimensions d’un écran de cinéma. Des chevaux au galop, disposés all over, semblent projetés en avant de l’espace et se porter au-devant de nous, en un flux de corps en mouvement. Celui-ci est généré par la texture noire du fusain qui insuffle une intense vitalité au motif et en modèle la puissance.
L’attention constante portée au jeu d’ombre et de lumière, entre le noir, le gris, le blanc, participe du désir de Joël Person de faire advenir, sous toutes les formes possibles, la figure du cheval.
En cela, les dessins s’imposent par leur force plastique.
Biographie
Joël Person est né en 1962 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il vit et travaille à Paris.
Diplômé des Beaux-Arts de Paris avec les félicitations du jury, il se consacre d’abord au portrait avant de privilégier les thèmes du cheval et les poses érotiques. L’artiste compte plusieurs expositions personnelles et collectives en France et en Chine et nombre d’institutions se sont intéressées à son travail. Son œuvre fait partie notamment de la collection Hermès qui expose ses dessins et peintures à Paris, Milan, Istanbul, Tokyo, Shanghai, Dubaï et Las Vegas ; de la collection du Musée Jenisch à Vevey en Suisse.
En 2020, il a exposé à la galerie Bertrand Grimont à Paris, la galerie Art Sablon à Bruxelles, à la Conciergerie de Paris à l’occasion de la foire « Drawing Now », au Haras du Pin.
La galerie Loo & Loo, 20 rue Notre Dame de Nazareth à Paris lui consacrera une exposition personnelle du 30 mars au 8 mai 2021. Y seront exposés parallèlement aux chevaux, la série Bruits du monde et Confinement.
Ses « portraits et autoportraits » seront visibles au Le Musée Jenisch à Vevey au printemps 2021.