Méconnue en France, Agnes Martin est une figure majeure de l’art abstrait américain. Elle naît le 22 avril 1912 à Mackline au Canada, au sein d’une famille presbytérienne écossaise qui vit de la culture du blé, et grandit à Vancouver. Là-bas elle profite de la mer et, très bonne nageuse elle tente les jeux Olympiques de natation. Puis en 1931, la voici qui part étudier aux État-Unis. En 1934, elle obtient son certificat d’enseignement du Western Washington College et enseigne dans différentes institutions du pays. En 1940, elle déménage à New York puis quelques années plus tard, part étudier les beaux-arts au Nouveau-Mexique pour revenir s’installer à New York et devenir en 1950, citoyenne américaine.
C’est à partir des années 1950 qu’elle intègre les enseignements taoïstes chinois et le bouddhisme zen à sa manière de vivre et à son art. Pendant cette même période elle fréquente les artistes modernes Robert Indiana, Ellsworth Kelly, Jack Yougerman, et sa peinture subit l’influence de l’expressionnisme abstrait de Mark Rothko et Arshile Gorky.
En 1958, elle présente sa première exposition personnelle à la galerie new-yorkaise Betty Parsons. Les œuvres en présence sont composées de formes géométriques dans un style purement abstrait. Parmi elles se distinguent celles qui reprennent un motif entêtant, une répétition quasi rituelle : la grille. Cette rigueur dans la structure démontre une recherche d’un équilibre entre les lignes verticales et horizontales et les espaces qui les peuplent ou les dépeuplent selon la focalisation.
Cet intérêt croissant et significatif de la personnalité d’Agnes Martin la mène à pousser sa démarche vers un dépouillement extrême. C’est ainsi qu’en 1967, alors qu’elle jouit d’une certaine notoriété, elle abandonne la vie citadine et à bord d’un camion pick-up, entreprend une traversée solitaire de l’Amérique du Nord pour s’exiler au Nouveau Mexique. Cette volontaire disparition n’est pas sans lien direct avec le trouble mental dont souffre l’artiste. En effet, celle-ci a été diagnostiquée très tôt schizophrène ; les voix qui accompagnent constamment Agnes Martin semblent aussi la guider et la conforter dans le choix d’un repli austère pour permettre l’ouverture sur une pleine conscience du monde tel qu’il lui apparait.
Cette retraite en plein désert dure sept ans. Là-bas elle construit sa maison elle-même, écrit, se nourrit des paysages qui l’entourent et du ciel immense, à perte de vue, comme un toit sur l’infini. Mais elle ne peint plus, et préfère le dessin.
Elle refait surface en 1973, et reprend la peinture dans le même temps. Son œuvre devient plus minimale et contemplative de la beauté perçue comme un état de méditation et de bien-être. Apparaissent ainsi de nouvelles peintures, imbibées de couleurs pastel, apaisantes et silencieuses qui constituent la série A Clear Day (Un jour clair) de trente sérigraphies.
Le travail d’Agnes Martin est rigoureux et son désir de perfection est constant ; pour preuve sa capacité à repeindre dix fois la même toile jusqu’à obtenir la bonne et cela sans hésiter une seconde à détruire toutes celles qui ne correspondent pas à la projection recherchée. Avant d’entamer une toile, elle attendait assise sur son rocking-chair que l’inspiration lui vienne et une fois que les images lui étaient parvenues en tête, elle assemblait son puzzle grâce à des calculs très élaborés. Elle avait également pour habitude de laisser passer trois jours avant de décider si sa peinture était achevée. Agnes Martin s’imposait par ailleurs des régimes alimentaires très strictes pour se maintenir dans un état physique et spirituel favorisant l’oubli de soi et propice à la création ; la pire chose à faire en peignant étant pour elle de penser à soi-même. Selon elle, le meilleur moment pendant l’exécution d’une peinture était lorsque l’œuvre sortait de son atelier et rejoignait le monde. Une fois l’œuvre de l’autre côté de la porte, elle n’en était plus responsable.
À partir de 1973 elle exposa régulièrement aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe et devint, sans conteste, une des artistes les plus importantes de l’Histoire de l’art américain. Ses écrits furent publiés en 1992 dans le livre intitulé Writings, publié par Cantz Verlag et le Kunstmuseum Winterthur. Elle fut distinguée par de nombreux prix et en 1997 elle reçut notamment le Lion d’or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière. Elle mourut en 2004 à Taos, au Nouveau Mexique.
Sa manière de peindre « dos au monde » a fait d’elle une personnalité à part et toutefois inévitable de l’abstraction. Son idée de l’art envisagé comme pure émotion ajoute à la toile une temporalité propre comme suspendue et accessible à tous à condition de se laisser prendre.
La première rétrospective de ses œuvres depuis sa mort, intitulée « Agnes Martin », est en tournée internationale et a lieu actuellement au LACMA (Musée d’art du comté de Los Angeles) à Los Angeles du 24 avril au 11 septembre 2016. L’occasion de tenter une expérience inédite d’immersion visuelle dans le champ médiateur qu’est la peinture de cette artiste, au-delà des frontières du temps et de l’espace.