La série des White Painting de 2007, à l’instar d’œuvres ultérieures, porte l’inscription « …Painting Not Yet Titled… », une référence explicite au « Untilted » emblématique du minimalisme.
Aux « Ultimate paintings » d’Ad Reinhardt qui constituent l’abstraction poussée à sa limite, au point d’aboutissement de son histoire, Craig Fisher oppose une peinture en devenir, non achevée, dans un temps et un espace suspendu, en attente du regard du spectateur.
Par le choix de cette inscription Craig Fisher exprime son désir de réactiver l’abstraction dans un rapport critique vis à vis de l’esthétique moderniste. Cela passe par le refus de tout enfermement dans un système, par l’ouverture à une multiplicité de procédés dont il détermine lui même les règles et dont il fixe les modes d’exécution.
La peinture est appréhendée comme le lieu d’une expérience, celle-là même qui préside à l’invention. Sa démarche repose sur l’expérimentation des moyens de la peinture, de ses éléments constituants, ce qui suppose de restituer aux moyens plastiques leur visibilité en opérant la mise en valeur du matériau de la peinture. Cette dimension « matérialiste » est une caractéristique de la démarche de Craig Fisher.
Tout d’abord le support qu’il travaille en tant que tel : une feuille de coton choisie pour sa fragilité, exposée aux accidents qu’entraine l’imprégnation de la matière picturale et en modifie la texture. Un support posé sur le sol, à la manière de Pollock, ce qui instaure une relation nouvelle du peintre à celui-ci, en lui permettant d’être « dans » la peinture.
Il y a le support et il y a la surface. Craig Fisher réactive de manière singulière la problématique essentielle soulevée par les artistes du mouvement Supports/Surfaces que l’on peut résumer ainsi : repenser la peinture à partir de la pratique.
Le support et la surface constituent en effet l’espace de réalisation de la peinture mais à la différence de Supports/Surfaces, Craig Fisher ne s’attache pas aux seules valeurs de surface.
Ainsi, dans la série récente de 2019-2020, il expérimente les problèmes de plan, de limite, de frontalité, de couleur. Un ensemble de touches à dominante bleu, aux variations de densité, sont dispersées dans l’espace du tableau. Le traitement fondé sur la touche, sur la superposition et le chevauchement des couches de peinture, affirme la surface tout en manifestant l’épaisseur du plan. Ce travail « dans » le plan opère également la mise en valeur du geste.
Dans la série de 2013, les touches dispersées et éparpillées dans l’espace du tableau génèrent des formes colorées qui fragmentent la surface en rendant impossible une saisie d’ensemble. Le regard est contraint à un déplacement qui conduit le spectateur à s’interroger sur le processus et le temps d’élaboration de réalisation de l’œuvre.
Le fait de défaire la construction ordonnée du tableau permet à Craig Fisher de libérer un espace qui soit l’espace même de l’émergence de formes colorées. Le processus d’élaboration de l’œuvre, son résultat visuel s’incarne dans la matière sensible, dans cette matérialité de la peinture que l’abstraction fait jouer, pour le plus grand plaisir du regardeur.
Craig Fisher est né en 1951 à Cincinnati dans l’Ohio. Il vit et travaille à New York.