« Dans ce jardin antique où les grandes allées
Passent sous les tilleuls si chastes, si voilées
Que toute fleur qui s'ouvre y semble un encensoir,
Où, marquant tous ses pas de l'aube jusqu'au soir,
L'heure met tour à tour dans les vases de marbre
Les rayons du soleil et les ombres de l'arbre […] »(Victor Hugo)
Au Domaine de Trévarez, à la fraîcheur de l’ombre des bosquets, des buissons fleuris, là où coule mélodieusement le bruissement léger d’une cascade artificielle, l’esprit est tout à la fois captif et saisonnier d’une nature structurée, organisée pour le plaisir des rêveries du promeneur solitaire, des amants passagers, et des enfants pas sages. C’est dans cette atmosphère au charme désuet favorisant la déambulation romantique que se déploie l’exposition estivale du cycle « Regard d’artiste » 2018 autour de trois œuvres de la plasticienne Eva Jospin qui s’inscrivent singulièrement dans les aires qu’elles prolongent.
Chacune de ses trois œuvres contemporaines renvoie à une technique ou symbolique en vogue à une autre époque comme une invitation au voyage à travers le temps, l’espace et la nature. La première installation intitulée Panorama, a été réalisée en 2016 pour la Cour Carrée du Louvre, et transposée cette année dans les écuries du domaine. Le panorama à l’origine est un procédé né au XVIIIème siècle qui prend la forme d’une fresque circulaire en trompe-l’œil. C’est donc une réappropriation que propose l’artiste au visiteur, en l’invitant à entrer par une fente, dans une arène close construite de châssis de bois assemblés, avec en son antre, une forêt monumentale sculptée dans du carton. La forêt, milieu sauvage, dense, puissant, écosystème medium d’une pluralité d’imaginaires, est le socle touffu des projections inspirées d’Eva Jospin.
Ligne directrice du travail de la plasticienne elle devient concentré dans ce huit-clos sylvestre de fortune ou l’état de nature est remplacé par le produit. L’effet n’en est pas moins saisissant, le mélange entre haut et bas-relief, le souci de l’infime détail, confèrent au décor une profondeur illusoire mais aussi un caractère imposant, étrange, excentrique même, qui laisse le champ libre à l’immersion dans l’œuvre et à l’intériorisation de ce mirage d’extérieur.
En continuant la pérégrination dans le parc, où à cette période de l’année s’épanouissent des hortensias de toutes les couleurs, à l’orée du jardin à l’italienne, apparaît une Folie autrement appelée « fabrique de jardin » que l’artiste a installée dans une alcôve de pierre fabulée d’où s’écoule une fontaine. Pour répondre à la contrainte de l’exposition en extérieur, c’est le béton qui fait office de matériau premier avec des moulages qui font ressurgir les reliefs d’une grotte fantasmée auxquels viennent se greffer des éléments végétaux dorés et argentés suspendus, des minéraux, des coquillages et d’autres moulures qui imbriquent des panneaux rectangulaires aux lignes irrégulières comme des strates terrestres rappelant aussi la composition du carton. Cette création originale est appelée Nymphée d’abord en référence aux bassins recevant des sources considérées comme sacrées par les grecs ; sanctuaires des Nymphes, puis aux grottes artificielles répandues sous l’Empire romain pour décorer les jardins. Eva Jospin repense le caprice de beauté et de faste qu’incarne la fabrique de jardin dans une version épurée et moderne qui par ses tons de gris, d’ocres et de brun concilie le ciment et la terre.
Dans une des tourelles du Château de Trévarez, suspendue en hauteur, se trouve la dernière installation, la plus minimale, la plus fragile d’aspect et au nom le plus léger : Ada. Ici l’œuvre est plus que jamais impliquée dans une notion architecturale du genius loci ou esprit du lieu. En effet, le Château de Trévarez commandité par James de Kerjégu et imaginé par l’architecte Destailleurs a la particularité d’être un monument de la fin du XIXème à la structure métallique qui allie le style victorien, le néogothique, aux ensembles décoratifs bretons, le tout bénéficiant des dernières modernités et commodités de l’époque : électricité, eau courante etc. Une créature architecturale sur laquelle les sous-mariniers Allemands font main-basse lors de la dernière guerre et y établissent leur poste de surveillance du territoire. L'édifice est alors bombardé par la Royal Air Force en 1944 détruisant une majeure partie de la toiture. Tombé dans l’oubli pendant vingt ans la nature avait repris ses droits sur la ruine avant sa restauration et réhabilitation. Eva Jospin rappelle l’histoire du lieu en auréolant la voûte de la tourelle d’une végétation bijou (la même que celle de Nymphée) - aux branches métallisées et au feuillage de papier calque peint - comme une vanité ou memento mori dont le choix des matières mêmes utilisées interroge sur la pérennité-précarité de l’œuvre.
Au terme de son investiture contemporaine du domaine de Trévarez par une nature aux formes plurielles, après Panorama et Nymphée, l’artiste illustre une poétique de l’ornement : ada en hébreu signifie « parure » ou « beauté » et en grec ada est le diminutif d’Antonia qui signifie « fleur » - comme une touche finale, elle vient bercer l’équilibre et la mémoire d’un patrimoine échafaudé comme un fantasme et accompagne les légendes prêtes à germer dans les esprits des promeneurs retrouvés.