À la révolution, l’Abbé Grégoire invente le terme de « vandalisme » pour dénoncer les destructions des monuments religieux. L’abbé Grégoire (1750-1831) était un prêtre catholique mais surtout un homme politique français. Pour lui, prendre en compte et préserver l’histoire passée de nos pères est nécessaire à l’histoire future et surtout bénéfique à la République nouvellement créée. Il prend notamment comme exemple les chrétiens qui ont su préserver les objets et monuments païens de l’antiquité ce qui est par ailleurs assez contestable…
Il déclare devant la convention en 1794 : « Le respect public doit entourer particulièrement les objets nationaux qui, n’étant à personne, sont la propriété de tous ».
Déclaration toujours d’actualité.
A l’époque, un peintre, Hubert Robert, immortalise les actes de vandalisme en question. Il réalise plusieurs peintures rendant compte des destructions des révolutionnaires comme l’œuvre La Violation des caveaux des rois dans la basilique de Saint-Denis, en octobre 1793. L’artiste présente une attitude relativement ambiguë, estompant le caractère sacrilège au profit d’une vision romantique de la ruine. Ses œuvres les plus célèbres rendent d’ailleurs compte de cette méditation poétique, propre aux ruines comme dans Vue imaginaire de la grande galerie du Louvre en ruine.
Le pillage, les destructions de biens, objets ou monuments culturels ou historiques ont toujours existé au cours de l’histoire lors des campagnes d’occupations militaires, et plus globalement des guerres. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la communauté internationale décide de tenter de protéger juridiquement les œuvres durant les conflits armés. Après plusieurs ébauches, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour voir en 1945 la création de l’UNESCO (Organisation des Nations Unis pour l’Education, la Science et la Culture), dans la lignée de celle de l’ONU, dont la mission est la protection de ces biens culturels. La Seconde Guerre Mondiale voit d’ailleurs apparaître une unité de l’armée américaine assez particulière puisqu’entièrement dédiée à la protection et au sauvetage des œuvres et objets d’art d’Europe. Originale mais lucide, cette unité a été mis à l’honneur dans un film hollywoodien Monuments men en 2014 !
Outre la valeur historique et financière des objets d’art, ils sont hautement symboliques pour un peuple et au-delà pour l’humanité toute entière. En 1972 est ainsi créée la protection « patrimoine mondial » reconnaissant la « valeur universelle exceptionnelle » de certains lieux sur terre.
Ainsi n’est-ce aussi pas là le but de l’art, sous toutes ses formes, la transmission ? Transmission de la vie à une époque, du mode de vie, de la pensée d’une époque donnée ou plus modestement pour les œuvres d’art plus récentes, de la pensée d’une femme ou d’un homme, l’artiste. S’il est si sacré, peut-être est-ce parce que l’art est un héritage et en France, car principalement public, un héritage commun à tous.
Cette notion de sacré amène celle de sacrilège lorsque l’on s’en prend justement à un bien ou à une œuvre. Dans l’histoire contemporaine, nous pouvons citer quelques exemples de vandalisme pour reprendre le terme de l’Abbé Grégoire. En 2014 « l’arbre » de Noël de l’artiste Paul McCarthy est vandalisé et l’artiste lui-même agressé. L’œuvre a choqué certains militants identitaires et catholiques traditionalistes pour sa ressemblance avec un plug malgré sa couleur vert sapin ! L’art ici ayant vocation à choquer, interpeller, arrive à prouver ce pourquoi il est essentiel dans la société : déchaîner les passions. Même si on a vu pire … En 1993 puis en 2006 l’artiste Pinoncelli s’attaque à l’œuvre majeure de Duchamp L’urinoir. Son premier acte consiste à utiliser l’urinoir pour ce qu’il est en urinant littéralement dessus, lors du second il l’attaque à coup de masse. L’objet est abimé mais le concept reste, éternel, l’artiste mettant fabuleusement en exergue ce qu’avait voulu dire Marcel Duchamp !
Plus récemment en 2017, une œuvre de Jeff Koons a été vandalisée virtuellement ! L’artiste a été choisi par Snapchat pour sa version « art » proposant un filtre accessible dans des parcs à travers le monde et permettant de faire apparaître la célèbre sculpture Balloon Dogs. L’artiste Sebastian Errazuris a proposé une version taguée de cette œuvre rendant hommage au message premier du street art qui est de dénoncer l’invasion de contenu dans les lieux publics, ici sous sa version 2.0 ! Nous pouvons aussi citer Banksy détruisant sa propre œuvre lors d’une vente aux enchères (ce qui a par ailleurs eu pour effet d’augmenter son prix..) ou encore Ai WeiWei détruisant des vases millénaires de la dynastie chinoise en place associant art et parti pris politique. Ainsi, parfois, le vandalisme peut venir des artistes eux même, assez forts pour transformer une destruction en œuvre d’art à part entière !
L’art outil de transmission, incarnation d’une certaine sacralité, sujet de controverse, il est plusieurs choses à la fois et ainsi incarne forcément des symboles qui dépassent sa matérialité.
C’est pour cela que des peintures majeures de l’histoire de l’art sont récemment devenues les cibles de militants écologistes qui les attaquent à coup de jet de soupe. Soulignons que les militants choisissent des peintures vitrées et donc potentiellement protégées même si de nombreuses restaurations vont être nécessaires notamment concernant les cadres, souvent d’origine.
Mais alors le statut protégé, intouchable, sacré, de l’œuvre est-il devenu obsolète face aux enjeux mondiaux et pour reprendre cet exemple au dérèglement climatique qui touche une nature qui n’est pas protégée, elle ? Ou le message n’est il pas audible car justement l’acte est trop sacrilège ?
Mettre sur un pied d’égalité le patrimoine matériel et immatériel a évidemment beaucoup de sens mais attention de ne pas les opposer, l’un et l’autre étant tout aussi précieux.