Bouches gourmandes des couleurs
Et les baisers qui les dessinent
Flamme feuille l’eau langoureuse
Une aile les tient dans sa paume
Un rire les renverse.(Paul Eluard)
En entrant dans la Galerie Miranda située dans le 10ème arrondissement de Paris, l’œil est titillé par un quadrillage chromatique comme une mosaïque abstraite composée de pierres éblouissantes distraitement taillées : une installation d’une série de nombreux photogrammes aux éclats de couleurs vives disparates, les Zerograms d’Ellen Carey présentés au public pour la première fois.
Rappelez-vous, les photogrammes, assimilés au surréalisme, sont ces photos réalisées sans caméra obscure, à l’aide d’objets de natures diverses disposés à même le papier photosensible puis exposés à la lumière. Cette technique, Ellen Carey, pionnière dans la recherche de l’abstraction minimaliste, en a fait un processus expérimental – exécuté uniquement en chambre noire – d’extrapolation de la lumière comme source de la couleur.
La lumière perçue par l’œil humain est composée d’ondes électromagnétiques dont la longueur varie entre 400nm (perçues comme bleu, violet) et 800nm (perçues comme rouge sombre) et entre lesquelles s’étend le spectre chromatique classique : bleu, vert, jaune, orange, rouge auquel l’œil est sensible. Lorsque toutes ces ondes sont additionnées elles sont perçues comme une lumière « blanche » en revanche, lorsque ces ondes sont décomposées au travers de prisme comme les gouttes de pluies sur les rayons du soleil elles apparaissent distinctement à l’image de l’arc en ciel.
A partir de ce principe physique et des théories de base de la colorimétrie (la synthèse additive et la synthèse soustractive) Ellen Carey a mis en œuvre depuis 1992 jusqu’à aujourd’hui, un long travail expérimental intitulé Struck by light faisant de la couleur l’objet immanent de ses photogrammes. Ainsi la rupture avec ses prédécesseurs est abordée par l’absence d’objet représentatif, narratif, intermédiaire ; l’abstraction est ici appliquée au niveau zéro comme performance pure entre le papier, l’obscurité, sa technique et une dose de hasard lors de l’exposition à la lumière, d’où son nom de « Zerogram » - que l’on peut transcrire par Zérogramme en français – qui loin d’être anecdotique est la revendication d’une évolution historique du procédé.
Cette volonté de faire de l’expérience physique et chimique le sujet central, d’établir un degré zéro de la photographie, s’affranchit également des codes sacrés de la photographie comme celui concernant le support écran qu’est le papier argentique. Ordinairement lisse et intouchable, il est cette fois f-acteur majeur de la composition picturale puisqu’il est méthodiquement froissé de manière à réfracter les différentes couleurs à la façon d’un rectangle à facettes. Ceux qu’elle appelle symboliquement des « miroirs de chance », sont les épreuves (états des estampes) de l’observation de phénomènes invisibles à l’œil nu : un dialogue esthétique entre la science et l’inexplicable, le réel et l’imaginaire, autant de fenêtres sur la pluralité des possibles comme des invitations au ravissement.
Bonbons de lumière, diamants de papiers ou kaléidoscopes asymétriques, ces Zérogrammes ont bien une qualité commune : l’indomptabilité ! , ce qui n’est pas pour déplaire à l’artiste comme en témoigne sa carrière audacieuse et avant-gardiste. De précédents travaux sont d’ailleurs exposés dans la galerie pour mettre en avant ses différents cheminements et partis pris, parmi lesquels deux Pulls : Pull with Filigree (2004) et Pull with Red Rollback (2006) issus du Polaroid 20x24 (51x61 cm) comme des stigmates du contact arraché de la lumière et de l’ombre, et trois Monochromes qui résultent aussi d’un processus empirique à partir de la matière photographique.
Rendez-vous phare, les Mirrors of Chance d’Ellen Carey sont emplis d’une promesse solaire, une ode au rayonnement, comme des parures inouïes à contempler gaiement.