Nombreux pensent qu’avec Alphonse Mucha, l’Art Nouveau est né en France. Le croire serait de signer un Tchèque en blanc, à défaut de le saigner. Car Mucha n’a jamais renié ses origines slaves. Ni son attachement à la France et à l’Europe. Au contraire :
Le but de mon travail n’a jamais été de détruire mais toujours de construire, de jeter des ponts, car nous devons tous nourrir l’espoir d’un rapprochement de l’humanité, et plus les gens se comprendront, plus ce rapprochement sera facile.
Cette pensée humaniste de Mucha date de 1928, au sortir de la première guerre mondiale, alors que les balbutiements de la crise financière de 1929 et la montée de l’antisémitisme fermentent un peu partout dans le monde.
Paris, peu avant Noël, le 20 décembre 1894. Mucha, trente-quatre ans, illustrateur méconnu et fauché, assure un remplacement chez l’imprimeur Lemercier. C’est alors que débarque chez son employeur, la divine Sarah Bernhardt. Derrière la porte du patron, il épie leur discussion. Bien que l’actrice soit à l’apogée de sa gloire, sa nouvelle pièce, Gismonda, ne décolle pas depuis qu’elle a pris la direction du Théâtre de la Renaissance. Elle veut relancer ce drame de Victorien Sardou, qui va se rejouer dès le 4 janvier 1895. Elle souhaite donc commander à l’imprimeur quelque chose de neuf. Une affiche qui pourrait attirer le regard des passants. Le jeune Mucha fait alors irruption dans le bureau et montre un dessin sur lequel il travaille depuis des mois : une femme auréolée de fleurs et drapée d’or, se tient droite et porte fièrement un grand épi vert. L’originalité de son œuvre séduit Sarah Bernhardt. Au premier jour de l’an, quatre mille affiches vont couvrir les murs de la capitale. Sous le charme, la diva lui offre un contrat de six ans. La dame aux camélias marque le début de cette collaboration.
Les nobles fleurs, enlacées aux courbes harmonieuses des femmes, si caractéristiques de la Belle Époque, sont sa marque de fabrique. On se laisse transporter par la majestuosité des lys royaux, et au détour d’une saison, par le langage des iris : le bleu pour la confiance, le blanc pour l'ardeur, le jaune pour la passion et le violet pour la sagesse.
Dans son atelier transformé en studio photographique, il s’inspire des poses des modèles qu’il capte en noir et blanc, pour nous offrir les mouvements de la vie. Son affiche sur La Danse est un pur chef d’œuvre de réalisme et de sensualité. Il aura recours à l’hypnose pour donner un second souffle au regard de ses têtes d’affiche. La ressemblance entre Médée et la photo du modèle hypnotisé, est troublante.
Qu’il s’agisse du lancement du parfum Rodo, des bières de la Meuse ou du papier à cigarettes JOB, toutes les grandes marques veulent s’associer au modernisme, le style Mucha. Alphonse est l’illustrateur en vogue et le plus copié. Partout, on se l’arrache. Si bien que pour l’exposition universelle de 1900 à Paris, l’Autriche a choisi Mucha pour afficher son pavillon. L’artiste a l’idée géniale de représenter Paris, derrière l’Autriche, qui la dévoile de tout son long. À son retour en Tchécoslovaquie, ces duos ne vont pratiquement plus le quitter. Même s’il peint ou dessine des visages plus graves et endoloris par la rudesse de la pauvreté slave, il y a toujours derrière le personnage principal, une figure maternelle ou fraternelle qui lui veut du bien.
Sa plus grande œuvre philosophique, la plus accomplie à ses yeux, est incontestablement Le Pater. Qui marque son entrée chez les francs-maçons. Ses prises de positions politiques engagées en faveur de l’identité des peuples slaves, poussent la Gestapo à l’arrêter, au tout début des rafles. Souffrant d'une pneumonie, il ne résiste pas à l’incarcération. Il décède à Prague le 14 juillet 1939, dix jours avant son soixante-dix-neuvième anniversaire.