Robert Filliou a dit « L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».
Il faisait partie du mouvement d’avant-garde Fluxus actif dans les années 1960-1970, qui, à la suite du mouvement DADA, s’est interrogé sur le statut de l’œuvre d’art, de la place de l’art dans la société et sur le rôle des artistes. Selon Fluxus, l’art c’est la vie. Si c’est le cas, alors l'art est beau, laid, dérangeant, touchant, violent, réconfortant, dur, ou encore, joyeux, drôle, parfois triste… Selon les époques et les mouvements, il en est tantôt représentatif, tantôt hors du temps. L’art peut dénoncer, raconter, prendre parti et être engagé, mais aussi être plus léger et seulement avoir le mérite d’exister. Il n’est pas vital au sens strict du terme. Mais il existe pourtant depuis que l'Homme est Homme. Des caves rupestres à nos jours, nous ne pouvons en faire abstraction.
Ainsi l’art n’a cessé d’être questionné : par les artistes évidemment, par le public et les critiques depuis la période des Salons. Depuis le XXe siècle en plus d’être interrogé, différents mouvements d’avant-garde l’ont mis à l’épreuve. De nouveaux médiums apparaissent, la sacro-sainte peinture est reléguée au second plan au profit des collages, assemblages d’éléments manufacturés ; de performances ; d’installations ou encore de la vidéo et plus récemment de l’Intelligence Artificielle. Certains artistes ont été accusés d’avoir tué l’œuvre. On pense immédiatement à Marcel Duchamp et ses fameux « ready made » qui, en bon objet « déjà tout fait », ne présentent plus aucune trace de la main de l’artiste, mais qui pourtant ont fait basculer le débat du « beau » vers des questions philosophiques, sur l’œuvre d’art et la place de son créateur.
Mais alors que reste-t-il ?
Le plaisir. De voir, toucher quand cela est possible, de sentir. Cette sensation, les sentiments ressentis face à l’objet, à l’œuvre, sa présence dans l’espace, procurent définitivement du plaisir. Pourquoi alors visiter une exposition si ce n’est pas le cas ? Mais encore faut-il savoir en prendre. Encore faut-il réaliser l’exception que l’on a en face de soi, la création pure, unique. Une peinture par exemple est composée de couleurs, formes diverses mais au-delà de cet objet, l’artiste y a mis de son être, a réussi à coordonner son cerveau à sa main pour y mettre également son âme. Pour les plus grands artistes à travers les âges, c’est cette âme qui est visible dans l’œuvre, et qui nous émeut. Pour reprendre l’exemple des « ready made » qui, à l’inverse d’une peinture, semblent impersonnels, nous ne sommes alors plus touchés par l’objet en soi, mais on peut ressentir un certain plaisir face à l’humour et au décalage de la présence d’un tel objet dans un musée, ou par la malice de son « non-artiste ».
Il y a autant d’exemples que d’œuvres et d’artistes, et chacun à leur manière suscite une réaction ou une émotion de notre part, en considérant qu’une absence même de réaction, représente malgré tout une réaction.
Ce plaisir en question, et peu importe l’œuvre que l’on a en face de soi, doit cependant être dénoué de toute interférence possible comme l’histoire, passionnante, importante certes, mais qui peut parasiter la sensation première ressentie face à une œuvre. Cette déconnexion de la pensée doit être opérée au profit d’un temps de la contemplation. Comme une pause méditative salutaire dans un monde en perpétuel mouvement et qui nous fait entrevoir l’humanité dans ce qu’elle a de plus « beau ».
Si, pour reprendre la ligne de Fluxus, l’art c’est la vie, alors l’art permet le temps d’un instant, le temps d’une expérience, le temps du plaisir, d’être ainsi pleinement vivant.