Débarqué dans la capitale anglaise à l’été 2020 en provenance du Real Madrid, l’international norvégien a confirmé son statut d’élément incontournable des Gunners. Capitaine et maître du jeu à 25 ans, il a déjà réussi à faire oublier un certain Mesut Özil dans la mémoire collective. Plus qu’un simple créateur, le joyau de Drammen est devenu un artiste complet. Portrait.

Il est des joueurs dont le talent et l’intelligence arrivent à en faire des artistes, capables de faire lever un public sur un geste, une offrande ou un but exceptionnel. Martin Ødegaard est de ceux-là. Prodige du foot norvégien, fils de Hans Erik, ancien joueur (déjà milieu à son époque), le petit Martin a été repéré à ses douze ans et rapidement surclassé dans le modeste club local de Strømsgodset. Avant cela, c’est dans sa ville natale de Drammen qu’il a exécuté ses premiers dribbles.

Du champ de graviers au billard de l’Emirates

Prédestiné à avoir un ballon dans les pieds à rendre jaloux certains Brésiliens, la jeune pépite est draguée par le gratin européen à quinze ans et visite les installations de quelques-uns des plus grands, mais c’est bien le Real qui rafle la mise en 2015.

Si certains joueurs connaissent les favelas pour leurs débuts, c’est sur un terrain en graviers qu’Ødegaard Junior fait ses premières armes. Rapidement transformé en véritable terrain de football, gazon artificiel en l’occurrence, c’est à partir de là qu’il va développer sa technique. À l’époque, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui le propulsent mais les yeux admiratifs de ses premiers entraîneurs qui suffisent à comprendre que le gamin est fait pour le ballon rond.

Milieu polyvalent, avec une préférence pour le côté droit de l’attaque, il glisse progressivement dans l’axe pour s’installer au poste de numéro dix, denrée rare depuis quelques années. Le norvégien, largement en avance sur son âge (il jouait les tournois locaux avec les moins de seize ans), épate d’abord l’ancien entraîneur Lars Tjærnås qui a vu immédiatement chez l’adolescent un « talent hors du commun ».

À 13 ans, nous sommes en 2012 quand Martin intègre l’équipe professionnelle du Strømsgodset IF. Il s’y entraîne et à l’heure où l’Espagne roule sur le monde du football, le blondinet fait de brefs passages aux entraînements du Bayern et de Manchester United.

2014, l’année des records

L’année où le jeune prodige va réaliser ses premiers exploits. En janvier, son club l’inclut dans son effectif pour l’exercice en cours, mais un problème se pose : les règles du championnat norvégien (Tippeligaen) stipulent clairement que le joueur doit signer un contrat professionnel pour pouvoir gambader sur les terrains. Sans le sésame, il est alors inscrit comme amateur et obtient le droit d’évoluer… trois matchs par an sans même la possibilité de participer aux entraînements. La raison : il est toujours à l’école et ne peut pas s’engager dans l’immédiat.

Une solution est alors trouvée : il se voit octroyer la possibilité de jouer chez le voisin Mjøndalen, club semi-pro à l’époque, qui a comme entraîneur-adjoint, Hans Erik… son père. Le hasard fait parfois bien les choses et le jeune Martin découvre donc officiellement le championnat local, mais en deuxième division. Après tout, il faut bien débuter quelque part.

Il fait alors sa première apparition en avril, face à Aalesunds et devient ainsi le plus jeune joueur de l’histoire du championnat, à seulement quinze ans et une centaine de jours. Il signe son premier contrat pro le mois suivant, et ouvre son compteur personnel dans la foulée face à Sarpsborg, devenant par la même occasion le plus jeune buteur de la ligue. Avec deux records atteints en quelques semaines, le ton est donné. Et ce n’est que le début.

En plein été, son match face au Sandneff Ulf lui vaut même les acclamations de la presse locale, avec un but et une passe décisive, la pépite se permet même d’aller chercher un pénalty. Suite à cette rencontre, il sera, sous les tribunes dithyrambiques des journaux, propulsé en sélection. Et comme si cela ne suffisait pas, il récidive le 15 août avec trois caviars face à l’IK Start.

2015, décollage pour le Real

Mais les distinctions ne s’arrêtent pas là. En octobre, alors que le froid nordique commence à s’installer, il claque un doublé face à Lillestrom et se voit désigné meilleur jeune du championnat. Si ses statistiques ne sont pas exceptionnelles pour un ailier prolifique (5 buts et 7 passes dé en 23 matchs), son abattage est, lui, déjà impressionnant.

Des performances qui lui donnent le droit d’aller visiter Colney pendant le mois de décembre et de passer par les deux clubs de Manchester avant de faire un dernier saut à Valdebebas.

Et c’est la Maison Blanche qui va avoir ses faveurs, puisqu’en janvier 2015, un accord est annoncé entre le club merengue et Strømsgodset, pour un total avoisinant les 4 millions d’euros. A seize ans, il découvre donc la Liga avec le grand Carlo Ancelotti comme coach, bien qu’il soit à ce moment-là enregistré avec l’équipe réserve dirigée, elle, par Zinédine Zidane. On a vu pire comme débuts chez les grands…

Les grands débuts sous la tunique immaculée, justement. Cela se passe à une soirée de fin mai quand il remplace le multiple ballon d’or Cristiano Ronaldo contre le voisin Getafe, et devient le plus jeune joueur avoir porté le maillot blanc. Malheureusement pour le petit génie norvégien, il manque de temps de jeu par la suite et doit partir en prêt.

Les Pays-Bas pour la découverte

Nous sommes en 2017 et la pépite n’a pas réussi à s’imposer au Real, alors Heerenveen tente le coup pour relancer sa carrière. La majorité assumée et revancharde, Martin débarque en Eredivisie. Pour sa première saison, floqué du numéro dix-sept dans le dos, il débloque son compteur en fin de saison contre Utrecht, et puis plus grand-chose. C’est alors que Arnhem arrive, se met d’accord avec Florentino Perez pour un nouveau prêt, et là, les choses changent. Le néo-numéro dix du Vitesse offre trois passes décisives et un triplé à Bryan Linssen face à Zwolle un soir d’avril. Le déclic. S’épanouissant dans le championnat hollandais, il va compléter sa palette technique, devenir polyvalent et retrouver sa notoriété quelque peu égarée. Avec de nouvelles stats plus que correctes (11 buts en 39 matchs), Ødegaard décide alors de revenir en Liga et s’y imposer.

La Sociedad avant le retour au bercail

Le club de San Sebastián l’accueille alors à son tour. Avec un schéma tactique qui lui convient et un championnat plus porté sur l’aspect technique, Martin devient la pièce maîtresse de l’équipe, brille en Copa mais traîne la patte en championnat. Zidane est convaincu, malgré le manque de régularité du jeune homme, que c’est le bon moment pour lui d’enfin s’imposer dans le plus grand club du monde.

En août 2020, entre deux confinements à cause du covid-19, Ødegaard est propulsé titulaire au sein de l’équipe Galactique par la légende des Bleus. Il enchaîne ensuite quelques matchs sur le banc avant de se blesser au mollet et d’être éloigné des terrains plusieurs semaines. Malgré un retour et une apparition en Ligue des Champions, il ne parvient toujours pas à s’imposer durablement.

Arsenal à la rescousse

Pour totalement relancer le wonderkid, il fallait donc une belle éclaircie. Mikel Arteta, qui l’avait à l'œil depuis plusieurs saisons, arrive à le séduire et l’embarquer pour l’Angleterre. Il a surtout, une fois à Londres, l’idée de le faire jouer en meneur de jeu et non sur l’aile. Le tout en soutien de l’attaquant (Pierre-Emerick Aubameyang à cette époque). Pari réussi : à 22 ans, Ødegaard rentre dans le moule des Gunners comme dans du beurre jusqu’à ne plus sortir du onze. Il inscrit son premier pion en Europa League puis enquille avec un autre bien utile puisqu’il lui permet de battre les Spurs de Tottenham dans le fameux « North London Derby ». Des prestations qui s’accumulent, un statut enfin confirmé, le norvégien est signé définitivement par Arsenal fin août, moyennant 40 millions d’euros. Le tube de l’été pour les Gunners, qui tiennent enfin un successeur à Mesut Özil dans la distribution du jeu.

Du Fabregas dans le texte et le Capitanat

Arsène Wenger avait vu juste. Tests à l’appui, il se disait persuadé que la vitesse de lecture d’un joueur faisait la différence et qu’en scannant le terrain jusqu’à 6 fois par minute, la prise de décision n’en pouvait être que meilleure. Lui qui a donné sa chance à Cesc Fabregas, nommé capitaine à 23 ans et métronome de son équipe, Mikel Arteta lui a emboîté le pas. S’il était clair qu’Ødegaard est un joyau qui restait à polir au départ, il fallait avoir la clairvoyance de l’installer dans les meilleures conditions pour briller.

Le norvégien est un véritable créateur, techniquement au-dessus du lot sans avoir les qualités d’un ailier ni la finition clinique. Moins précoce qu’un Fabregas, mais d’une lecture du jeu largement supérieure à la moyenne, ce qui le fait asseoir aujourd’hui, à la table des meilleurs joueurs de Premier League. Élu en mai quatrième joueur de la saison, devancé par son acolyte du milieu Declan Rice et l’espagnol Rodri (Phil Foden étant sacré), Ødegaard se rapproche match après match et saison après saison de l’excellence. En Angleterre, les supporters se souviendront, à l’issue de cet opus 2023-2024, davantage de ses caramels dans les pieds de Bukayo Saka ou Kai Havertz et de son élégance naturelle, que des éclairs d’un Foden certes plus efficace, mais générant moins d’émotions. Et le foot n’est rien, sans émotion.