Loin du tumulte et de la déception d’une situation politique, économique et sociale, je vais vous raconter l’histoire d’une femme tunisienne pur jus, fruit du Code du statut personnel tunisien -CSP-, qui est l'un des actes les plus connus de Habib Bourguiba (NDLR : président de la République tunisienne de 1957 à 1987).
Constitué par une série de lois progressistes promulguées le 13 août 1956, le CSP vise à l'instauration de l'égalité entre l'homme et la femme dans de nombreux domaines. Il donne à la femme une place inédite dans la société tunisienne, en abolissant la polygamie. Il n’autorise le mariage que sous consentement mutuel des deux époux, et crée une procédure judiciaire pour le divorce. Ce CSP avait été renforcé avec l'amendement du 12 juillet 1993.1
Mais cette politique féministe, qui s’inscrit incontestablement dans la politique de modernisation du pays, reste confrontée aux mentalités conservatrices d'une partie minoritaire de la société tunisienne. Déjà influencée par la montée de l'islamisme durant les années 1980, elle est particulièrement menacée aujourd’hui avec la nouvelle constitution de Kais Saied, Président de la Tunisie depuis 2019.
Les acquis des Femmes ne sont plus garantis puisqu’il promet un renfermement avec l’instauration d’une République islamique, si l’on se réfère fidèlement au texte de la constitution qu’il a écrit et publié au Journal Officiel. Cette mesure a bénéficié d’un oui à 90% avec un plébiscite plus qu’à un référendum, et avec seulement 25% de participation au vote, avec une Constitution qui appelle à l’application de la Charia islamique. C’est une véritable menace pour le Code du statut personnel tunisien, contre le respect des droits et des libertés, qui ne considère ni la civilité de l’État, ni des collectivités locales, et qui risque fort d’annuler les lois qui ont été votées en faveur des droits des femmes depuis l’indépendance, notamment celles votées grâce à la constitution de 2014.
13 août 2022 : Fête des femmes tunisiennes
C’est pour cela qu’aujourd’hui, je veux vous parler de Leila Derouiche Rafrafi. Elle est le fruit et l’exemple de l’émancipation de la Femme tunisienne, qui s’est toujours battue pour gérer au mieux sa vie de femme, de mère, de compagne, d’épouse, de cordon bleu. Elle est également Femme artisane, cheffe d’une entreprise née de la terre, et comme on le dit chez nous, avec « plusieurs Bartalla » (chapeau tunisien) qu’elle est parvenue à manier remarquablement.
J’ai choisi de vous parler d’elle, car quoi de mieux que d’évoquer une grande Dame qui a commencé en bas de l’échelle, pour représenter ce 13 août 2022, Fête nationale de la Femme tunisienne détentrice du Code du Statut Personnel promulgué et mis en oeuvre depuis des décennies. Quoi de mieux que de vous parler de l’histoire de Leila au caractère très affirmé, libre et dynamique, une romantique. Elle est l’amie fidèle et loyale de toutes celles et ceux qui l’ont approchée, côtoyée, et avec laquelle les liens d’amitié sincère se créent facilement. Elle est une Femme généreuse qui a « le don du don de soi », et qui encourage, aide, forme, et ouvre ses portes aux artistes, aux créatives et aux créateurs. Elle est celle qui aide des jeunes femmes à réaliser leurs rêves, à aller de l’avant, à ne jamais se résigner, ni à baisser les bras.
Son inspiration a été la fable de « La cigale et la fourmi » que lui racontait sa mère. Pendant toutes ces années de dur labeur, elle a économisé un sou après l’autre. Puis un jour, le rêve mûri et la providence lui ont souri, avec l’annonce d’un terrain en vente à El Alia.
Leila est l’une de ces femmes tunisiennes qui ont trimé, sué pour vivre, survivre, pour construire et bâtir malgré les vicissitudes de la vie. Avec deux décennies d'expérience dans hôtel de luxe l'Hôtel Résidence, à force de travail, elle a gravi les échelons : de serveuse à réceptionniste, elle est devenue responsable d’hébergement. Quelques années plus tard, elle a découvert ses dons pour l’organisation d’événements, puis est passée responsable événementiel pendant dix ans. Elle a réussi à se construire et à s’affirmer dans le monde difficile et masculin de l’hôtellerie. Elle a suivi des formations pour améliorer son niveau, ses connaissance des langues, notamment l’anglais et l’allemand, pour enfin réaliser son rêve : avec beaucoup d’amour et de détermination, elle a su créer, bâtir et sortir de terre Henchir D’Heb, une maison d’hôtes, un gîte rural réputé parmi les meilleurs de Tunisie.
Enfant d’une fratrie de huit, petite fille d’agriculteur, elle a grandi en appréciant la valeur du travail de la terre. Leila a dû hypothéquer son salaire, un appartement acheté avec ses économies, et vendre tout ce qu’elle avait. Elle a économisé tous ses pourboires, sans jamais sortir, sans jamais en profiter, pour réaliser son rêve.
Petit à petit, elle transforme une étable, seule construction présente sur le terrain, en un gîte rural et en chambres d’hôtes. Le rêve, pierre après pierre, devient réalité. D’un plan imaginé, elle a construit une pièce après l’autre, habillé le patio et le salon de marbre récupéré. Puis petit à petit, des chambres ont vu le jour.
Une femme, à l’instar des femmes tunisiennes, qui enchante ses invités avec une cuisine tunisienne raffinée. Sensible à la beauté, à l’art, Leila sublime tout ce qu’elle touche
Ma passion, c’est la cuisine
Chez Leila, l’art de la cuisine et de la table est une histoire qui remonte à l'Hôtel Résidence, où elle avait créé un noyau, et faisait la cuisine en privé deux fois par semaine chez des clientes.
En plus de l’intimité et de la qualité de l’accueil, Henchir D’Heb offre aux résidents la gastronomie tunisienne. Leila est un cordon bleu, et elle met un point d’honneur à vous faire goûter une cuisine familiale introuvable dans les restaurants.
Vous ne mangerez nulle part ailleurs les salades de Henchir D’Heb, concoctées avec les légumes et fruits de saison, ni vous ne goûterez ailleurs que chez elle le couscous garni ou couscous poisson fraîchement pêché et délivré au poissonnier de Bizerte, ou encore la “viande felqolla”, viande à la gargoulette.
Vous ne goûterez nulle part ailleurs la ricotta faite maison, ni les marmelades sans sucre ajouté des fruits du verger, et vous découvrirez des produits biologiques issus de la culture locale.
Leila est née dans une grande famille où on aime recevoir. Elle a grandi dans le bruit, l’animation de la cuisine, et la porte ouverte pour les voisins et les amis.
Leila Derouiche Rafrafi, c’est la détermination. L’esprit stratège et l’endurance. Elle a réussi à créer du rêve, et à en faire une réalité pour ses invités. Telle une sportive de haut niveau, Leila est endurante, elle a le souffle et elle est toujours prête à faire face à tous les obstacles et tous les défis, à les surmonter et les vaincre. Elle veut vous offrir son amour pour la terre, son art pour la table, avec des épices qui vous titillent le nez et qui enchantent vos papilles dès la première bouchée. Elle vous emmène dans un cadre verdoyant, un verger où se côtoient les arbres fruitiers, les oliviers, le potager, et où se mêlent tour à tour une architecture campagnarde raffinée, le clapotis de l’eau de la piscine, et le souffle revigorant de la brise de El Alia.
Leader née, elle a un enthousiasme et un optimisme qui motivent facilement les jeunes filles et les jeunes femmes autour d’elle. La Ferme d’OR Henchir D’Heb est un lieu où il fait bon vivre quelques heures ou quelques jours, dans le calme et la sérénité, dans un design purement tunisien avec des touches d’art contemporain. C’est un lieu de rencontres familiales, de réunions, un lieu de fêtes, d'anniversaires et de mariages. C’est un site pour célébrer les évènements, organiser un team building : ici on s’oxygéne : Leila est passée maître dans l’organisation, dans la mise en scène et la mise en bouche.
Leila, Henchir D’Heb et l’Eco-Tourisme
Henchir D'Heb se trouve à El Alia, à 45 kilomètres de Tunis, non loin de Bizerte. Le nom « La Ferme d’Or » s’est répandu de bouche à oreille. Il confirme les attentes bâties sur ce que Leila considère : cette Terre qu’elle adore, celle qui vaut de l’or.
Leila respecte l’écologie. Tout le mobilier qui équipe le gîte provient en grande partie du réemploi de meubles existants ou chinés ici et là. Elle a veillé à sauvegarder les espaces naturels autour du gîte. Elle a planté, et veillé à la protection de l’environnement. L’écotourisme est né d’une prise de conscience, face au tourisme de masse : il était devenu urgent de préserver nos écosystèmes. Il fallait créer un tourisme bénéfique pour tous, avec l’utilisation de matériaux durables. Une sorte de pacte gagnant avec la nature, c’est aussi pour cette raison que l’énergie solaire est une des principales sources d’énergie à Henchir D’Heb.
A Henchir D’Heb, la consommation en eau répond à des critères. Le tri et le recyclage, le volume des déchets, la gestion de l’énergie, les achats responsables pour l’alimentation et l’entretien, le respect du cadre de vie à l’intérieur comme à l’extérieur, la formation du personnel, l’information et la sensibilisation des voyageurs sont la marque de la maison.
Tout vient de la terre et retourne à la terre : une partie compostage se trouve à l’arrière du verger. Et c’est justement dans cette perspective qu’elle a toujours invité d’autres propriétaires de maisons d’hôtes pour échanger sur ces sujets. Et lorsque Leila affiche complet, elle propose d’autres maisons d’hôtes avec lesquelles elle collabore. Parmi elles, la Maison d’hôtes Cap blanc, à Metline, Dar Blilis, Dar Ellamma à Ras Ejbel et d’autres encore. Elle a par ailleurs constitué un groupe de maisons d’hôtes pour collaborer avec l’Office du tourisme, pour s’entraider à résoudre ensemble les difficultés rencontrées.
Henchir D'heb a bénéficié d'une subvention de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) parmi 10 autres maisons d'hôtes sélectionnées. Le coach Yves Letellier a suivi le projet pendant deux mois, et le personnel a bénéficié de formations, notamment avec un hygiéniste. La création d’un site web est en cours.
Voici une activité touristique sur un terrain agricole, un pari gagné grâce à la loi de 2015 qui autorise une activité touristique sur 5% d’un hectare, puisque l'écotourisme ne peut se faire qu’en zone agricole. Leila a dû attendre 5 ans pour pouvoir bénéficier de cette loi, bénéficier de l’agrément, grâce à un plan technique, un gîte aux normes, et pouvoir être enfin reconnue par l’Office du tourisme. 90% de ses clients sont des fidèles qui reviennent tous les 2 mois.
Toujours à l’affût de nouvelles expériences, elle est audacieuse et sûre d’elle, se donnant à fond dans toutes ses entreprises. C’est une artiste qui aide les artistes.
Leila aime l'art, elle rend hommage à son ancien mari et aujourd’hui ami, artiste peintre, Jan Demeulemeester avec lequel elle dit avoir beaucoup appris dans le domaine de l’histoire de l’art. Elle accueille les artistes tunisiens et étrangers, et organise chaque année une exposition collective de talents connus et moins connus. Elle organise des présentations de livres, des spectacles, des lectures de poèmes. Elle a ouvert ses bras aux femmes potières de Sejnenia qui exposent leurs magnifiques créations les dimanches. Ces poteries sont inspirées de l’art ancestral Amazigh, des Femmes de Sejnene. Elles offrent des ateliers aux enfants et aux adultes.
Parmi les événements, Leila organise bi-mensuellement des cours de cuisine, et dès le mois de septembre, des ateliers animés par des artistes peintres, et des expositions d’oeuvres d’artistes peintres en collaboration avec Senda Khelil, de la Galerie Kalysté à La Soukra. Lamia Chahed, une amie conteuse bénévole, fait partie des invités réguliers.
Leila est une propriétaire passionnée, qui vous offre un voyage articulé autour d’un beau projet : la découverte de régions préservées, tel que le Parc Ichkeul et son lac, le partage d'activités originales comme le yoga, la poterie, la cuisine, la poésie, la peinture et tant d’autres qui font la beauté de la Tunisie.
Leila est une artisane et artiste, femme cheffe d’entreprise. Elle est à soutenir avec toutes ces femmes qui travaillent très dur pour garder la tête haute, grâce à leurs talents, à leurs dons créatifs, à leur détermination et à leur perspicacité. Ces femmes qui sont à protéger avec le Code du statut personnel, et ses lois qui l’accompagnent. Un code à défendre absolument.
Notes
1 L'amendement n°93-74 du 12 juillet 1993 portant modification du Code du statut personnel donne le droit à la femme de transmettre son patronyme et sa nationalité à ses enfants au même titre que son époux — même si elle est mariée à un étranger — à la seule condition que le père ait donné son approbation.