Le monde doit savoir ce qui se passe. Sinon, qui va raconter l’Histoire ?
Retour sur les « Regards » du grand photographe de l’agence Magnum, superbement mis sous les projecteurs de l’Hôtel Caumont - Centre d’Art, du 8 novembre 2024 au 23 mars 2025, à Aix-en-Provence.
Pour le plus grand bonheur des visiteurs, la commissaire d’exposition, la romaine Biba Giacchetti, a rassemblé quatre-vingt chefs-d’œuvre iconiques, poignants ou emblématiques du célèbre photographe américain contemporain, ainsi que des clichés récents exposés pour la première fois en France, comme la photographie des bergers Himba qui emmènent leurs chèvres paître, prise en Namibie en 2023.
Steve McCurry est né le 24 février 1950 aux États-Unis, à Philadelphie, en Pennsylvanie. À travers ses photoreportages aux couleurs éclatantes, il tente de capter l’inattendu, ce qu'il appelle le moment du hasard maîtrisé, qui permet de découvrir par accident des choses intéressantes que l'on ne cherchait pas.
Il débute sa carrière comme photographe dans un journal local. Au bout de deux ans, en 1978, il démissionne et part en Inde. Il s’improvise « photojournaliste pigiste ». Là-bas, où le temps n’a pas la même importance qu’en occident, il observe les gens, la vie. Et surtout, il apprend à attendre. Il constate que lorsqu'on est très patient, les gens oublient l'appareil et leur âme pénètre dans l'image.
Durant ce premier voyage, une vague de chaleur historique s’abat sur l’Inde. Sans doute les prémisses du réchauffement climatique. À la recherche de fraîcheur, Steve remonte vers les chaînes montagneuses, à l’extrémité nord du Pakistan. Il dort dans un hôtel miteux, perdu dans la vallée.
Dans la chambre voisine, il entend des réfugiés afghans. Ils veulent passer de l’autre côté des cimes. Rejoindre la frontière. Ils demandent au photographe de les suivre et de témoigner de la guerre civile qui fait rage dans leur pays.
McCurry accepte et se travestit en indigène pour franchir la frontière séparant le Pakistan de l'Afghanistan. Sans le savoir, il lance sa carrière. En pénétrant ainsi déguisé dans des zones contrôlées par les moudjahidines.
Ensuite, quand il fuit l’Afghanistan avec ses rouleaux de film cousus à l'intérieur de ses vêtements, personne ne s’intéresse à son travail. Mais en décembre 1979, quand les Soviétiques envahissent le pays, le New York Times publie à la une un de ses clichés. McCurry sort de l’anonymat. Ses images du conflit sont publiées dans le monde entier. Les photographies qu’il avait rapportées lui valent alors le prix Robert Capa Gold Medal.
Le portrait « volé » de l'adolescente afghane aux yeux vert émeraude et au regard hypnotique, Sharbat Gula, prise en 1984 à Peshawar au Pakistan, dans un camp de réfugiés afghans pendant la guerre d'Afghanistan, deviendra une icône mondiale de l’innocence face à la violence des conflits armés.
Pour moi, Sharbat Gula incarne le destin de tous les réfugiés afghans chassés par une interminable guerre. Je l’ai rencontrée en 1984, alors que je visitais des camps de réfugiés au Pakistan.1
Et Steve McCurry de s’expliquer : Elle me regardait avec curiosité. (...) Deux minutes après, elle avait disparu.
Il poursuit : Orpheline, elle a atterri dans ce camp et s’y est mariée à 13 ans, puis est rapidement devenue veuve, avec une famille à élever. Juste après sa publication en couverture du National Geographic en juin 1985, j’ai été submergé de lettres. Tout le monde voulait savoir qui elle était ou comment l’aider.
La photo de Sharbat Gula et les autres clichés d’Afghanistan ont fait de McCurry un photoreporter de guerre, malgré lui.
En 1992, il était au sommet d’une colline à Hérat, perdu au milieu des décombres au fin fond de l’Afghanistan. En face de lui se tenait comme elle le pouvait, la ville que les Russes avait bombardée pendant leur occupation. Des vestiges à perte de vue. Au coucher du soleil, entre chien et loup, le photographe saisit l’image de cette famille qui a tout perdu, mais qui prépare le repas autour d’un feu de camp improvisé dans ce qui reste de leur maison.
Cette photo en dit long sur la nature du peuple afghan. Leur état d’esprit ne faiblit pas devant l’adversité.2
Si McCurry se définit comme un conteur d’histoires visuelles, en parcourant le monde, de Kyoto au Japon jusqu’à l’Inde et ses moussons, il a la malchance chanceuse d’être présent au bon endroit au mauvais moment :
Je me trouvais à Porbandar, pendant la mousson. La situation était dramatique, mais en Inde, les gens ont une attitude incroyable face aux aléas de la vie. Ce pauvre tailleur avait sauvé son seul bien, sa vieille machine à coudre. Quelqu’un lui a montré que j’étais en train de le photographier et il s’est mis à rire. La publication dans le National Geographic, m’a permis de le retrouver et de lui acheter une machine à coudre neuve. J’étais très heureux d’avoir pu l’aider.
Le 11 septembre 2001, à peine de retour d’un long voyage en Asie, il va voir ce qu’il reste des Twin Towers, et immortalise les sauveteurs dans les décombres encore fumants.
Ce photographe énigmatique a mis de nombreuses fois sa vie en danger. Il a survécu à un violent mouvement de foule en Inde. Il fut arrêté au Pakistan et présumé mort par deux fois. Son travail, dans des conditions extrêmes, témoigne non seulement de l’horreur et de la folie destructrice humaine, mais aussi des moments de courage et de solidarité.
En captant les portraits insolites, comme celui de Robert de Niro ou ceux de nomades en voie de disparition, ou encore, en saisissant les images furtives de survivants, par ses regards à travers le prisme d’un feu d’artifice de couleurs et de lumière qui lui sont propres, McCurry immortalise la vie.