Les nouvelles peintures de Jean-Philippe Delhomme continuent d’explorer une réflexion subtile sur la présence humaine et l’authenticité du regard. En posant notamment la question de la représentation du modèle au repos dans l’atelier, l’exposition intitulée Model resting s’articule autour de portraits et de natures mortes où le mot Model souligne un rapport direct avec la personne présente et le mot Resting introduit la question de l’inactivité.
Pour l’artiste, l’idée n’est pas de peindre un modèle dans un sens traditionnel, à travers des poses et des artifices, tel que le sujet a traversé l’histoire de l’art, mais de tenter de capturer une individualité, une présence particulière à travers, le plus souvent, une «non-pose»; le modèle pouvant choisir de s’impliquer ou non. Cette approche se distingue par une volonté de s’éloigner de toute mise en scène en peignant directement sur le vif, loin des constructions sociales ou des médiations imposées par les regards contemporains.
Jean-Philippe Delhomme travaille exclusivement From life comme disent les Anglais, ou d’après-nature comme disent les Français, c’est-à-dire avec la présence immédiate de ses modèles ou de ses natures mortes dans l’atelier, et donc sans jamais recourir à la photographie ou à toutes autres sources iconographiques.
Dans cette quête de l’instantanéité, ses modèles ne sont pas des modèles professionnelles, mais des personnes familières, essentiellement des femmes, par ailleurs, dont la présence et le visage l’inspirent.
Dans certains cas, il s’agit de peindre une amitié artistique à l’instar des deux peintures qu’il a faites de Michèle Bernstein, une amie et voisine d’atelier, cofondatrice de l’un des derniers mouvements d’avant-garde : l’Internationale Situationniste. Un possible clin d’œil qui permet à l’artiste d’affirmer sa volonté de s’opposer à la «société du spectacle».
Les séances ont la particularité d’être courtes. Elles durent généralement trois heures et les œuvres sont souvent achevées en une seule session comme le rappelle la fluidité de la matière picturale et la touche vivement brossée qui confirme le sentiment d’une rapidité d’exécution.
Si Jean-Philippe Delhomme rejette l’ironie, que certains pourraient associer à son œuvre en raison de son passé de dessinateur à tendance satirique, il souligne que son travail est davantage une quête d’authenticité et d’épure, en opposition au monde médiatisé et saturé de représentations spectaculaires qui fait l’essentiel des images, mais aussi de certains courants de la peinture figurative d’aujourd’hui. Son approche vise davantage à capturer la simplicité de ce qui se présente à lui. Une quête qui rejoint en partie les réflexions de Roland Barthes dans son essai sur « Le Neutre » qu’il cite comme une influence importante dans cette recherche de la neutralité et de la simplicité.
Cependant, la distance que Jean-Philippe Delhomme instaure entre lui et ses modèles n’est pas celle de l’indifférence, elle relève plutôt d’une observation profonde car plus il regarde, plus il s’éloigne, conscient de la dimension insondable des visages et objets qu’il peint, plus il découvre la part insaisissable de la personne. Cette distance, entre présence et absence, est pour lui le signe d’une peinture réussie dans laquelle se manifeste un mystère partagé entre l’artiste et son modèle car la toile n’est jamais retouchée en l’absence de celui-ci.
Le modèle ou la nature morte ont la particularité d’être traités avec la même frontalité. Parfois, certains éléments (livres, fleurs), sorte de fétiches pour l’artiste, circulent dans le registre des toiles et se trouvent mises en abîme.
Selon sa belle formule, Jean-Philippe Delhomme explique qu’il les envisage (les natures mortes) comme des « satellites de (ses) portraits ». Et si les formats entre les sujets varient, l’ensemble de ces toiles partage une même gamme chromatique soutenue et fortement contrastée faite de noirs profonds qui s’opposent à des bleus, des oranges ou encore des verts traités sous forme de grands aplats, ce qui n’est pas sans rappeler les enjeux de la couleur dans la peinture d’Henri Matisse ou d’Alex Katz, deux artistes qui appartiennent notamment à son panthéon.
Cette peinture, haute en couleurs, nous invite à considérer combien pour Jean-Philippe Delhomme peindre est avant tout une expérience chromatique et intellectuelle sans cesse renouvelée.
(Texte de Valérie Da Costa. Historienne de l’art, critique d’art et commissaire d’expositions. Professeure à l’Université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis)