Nous voilà de retour pour le deuxième numéro de cette détente poétique qui va s’articuler autour d’un livre que j’ai découvert pendant mes recherches et qui est un véritable cadeau. Cette merveille s’intitule Je serai le feu publiée aux éditions « La Ville Brûle », écrit par Diglee (Maureen Wingrove) avec les traductions des poèmes de Clémentine Beauvais.

Je serai le feu est une réponse à une injustice, un cadeau à l’humanité, une rectification morale de notre histoire. L’auteure commence cet ouvrage par quelques pages pour expliquer aux lecteur·rices les origines de son amour pour la poésie mais aussi le chemin qui l’a amenée à penser ce projet. Ce chemin en question part d’une réalisation que probablement chaque fille, adolescente ou femme a eu à un moment donné : où sont les femmes dans notre histoire, et en l’occurrence ici, où sont les femmes dans la poésie ? Horrifiée par ce constat, Diglee a pris pour mission de les chercher et de les mettre à la lumière du jour qu’elles ont tant méritées et méritent aujourd’hui.

Dans son livre, Diglee présente une cinquantaine de poétesses. Chacune est présentée aux côtés de son travail avec une sélection de poèmes mais, également à travers une petite biographie contant les points principaux de leur vie, leurs expériences et personnalités ; toutes ces choses qui ont constitué leur personne au fil des années et qui ont modelé leurs écrits.

Une des premières choses que nous découvrons du livre lorsque nous le feuilletons, est un sommaire électrisant où se bousculent tous ces noms de femmes qui remplissent les pages, classées par des thématiques férocement orgasmiques : Les filles de la lune, Les prédatrices, Les mélancoliques, Les magiciennes, Les excentriques, Les insoumises, Les alchimistes du verbe, Les consumées.

Cette semaine, notre balade estivale viendra visiter quelques poétesses de ce recueil qui ont particulièrement touché mon petit cœur, avec un extrait de poème et une petite anecdote/histoire de leur biographie. Alors installez-vous confortablement au soleil et préparez-vous à être émerveillé·e.

La fille de la lune : Rosemonde Gérard (1866-1954)

Une poétesse talentueuse qui obtient dès sa première publication le prix de l’académie française, elle est également (et je dirai avant tout) une combattante investie contre l’invisibilisation des femmes dans la scène poétique française. En 1943, elle publie le recueil de poèmes Les Muses françaises, où elle y présente trente-huit poétesses de son époque.

Et comme chaque jour je t’aime davantage,1
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain,
Qu’importeront alors les rides du visage
Si les mêmes rosiers parfument le chemin ?
Songe à tous les printemps qui dans nos cœurs s’entassent.
Mes souvenirs à moi seront les tiens ;
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d’autres liens ;
C’est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l’âge,
Mais plus forts chaque jour je serrerai ta main,
Car, vois-tu, chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.

La prédatrice : Joyce Mansour (1928-1986)

Joyce Mansour voit sa vie chamboulée très jeune puisqu’à 15 ans elle perd sa mère d’un cancer foudroyant puis, seulement trois années plus tard, c’est son mari qui décède de la même maladie. Son premier recueil est publié en 1953 et reçoit une critique unanime de la France et André Breton, celui qui deviendra un ami, la surnomme « la tubéreuse enfant ».

Ouvre les portes de la nuit2
Tu trouveras mon cœur pendu
Dans l’armoire odorante de l’amour
Pendu parmi les robes roses de l’aurore
Mangé par les mites, la saleté et les ans
Perdu sans vêtements, écorché par l’espoir
Mon cœur aux rêves galants
Vit encore.

La mélancolique : Lucie Delarue-Madrus (1875-1945)

Lucie laisse derrière elle une œuvre littéraire à en faire rêver plus d’un·e : une quarantaine de romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, une douzaine de recueils de poésie, une quinzaine d’essais et de biographies. Elle est une militante active, féministe et lesbienne assumée, refusant la maternité et dénonçant les violences sexuelles masculines. Elle s’est également engagée pendant la Première Guerre mondiale en tant qu'infirmière.

C’est quand mon regard est absent3
Qu’elle me quitte,
Et, montée, elle redescend
Plus ou moins vite.
Je n’y puis rien, je n’y puis rien.
C’est un mystère.
Sans doute, loin de cette terre,
Est-elle bien.
On dit ma maison visitée
Certaines nuits.
Certes, ma maison est hantée
Lorsque j’y suis.

L’excentrique : Meret Oppenheim (1913-1985)

Meret Oppenheim est d’abord connue pour son travail d’artiste plasticienne ; elle peint, dessine, sculpte mais elle publie également de son vivant plusieurs recueils de poèmes qu’elle illustre de ses dessins. Elle a seulement trente-trois ans lorsqu’elle réalise son œuvre la plus notoire Le déjeuner en fourrure. Après ce succès fulgurant, elle tombe dans une sécheresse créative due à l’énorme et étouffante pression patriarcale.

Pour toi - contre toi4
Jettes toutes les pierres derrière toi
Et libère les cloisons.
À toi - sur toi
Pour cent chanteurs au-dessus de soi
Les sabots s’arrachent.
JE vide mes champignons
JE suis le premier hôte de ma maison
Je libère les cloisons.

Notes

1 Recueil Les pipeaux, Fasquelle éditeurs 1889, éditions Grasset.
2 Recueil Déchirures et Anthologie Joyce Mansour, Œuvres complètes, éditions Michel de Maule, 2014.
3 Poème l’absente, recueil Les Sept Douleurs d’Octobre, éditions J. Ferenczi et fils, 1930.
4 Recueil Poèmes et carnets, Christian Bourgeois éditeurs, 1993, traduit par H-A Baatsch.