Plus encore qu’au siècle dernier, la musique sème des empreintes un peu partout sur les pages immaculées de la littérature. Qu’il s’agisse des notes classiques ou celles de la boîte de jazz du mélomane japonais Haruki Murakami, sans lesquelles aucun de ses romans ne seraient vraiment aboutis, que Virginie Despentes nous parle des vinyles de Vernon Subutex (©2015 - Grasset), qui nous transportent avec Barbara et son « Dis, quand reviendras-tu ? » ou bien avec Christophe et « Les paradis perdus », qu’il soit question de la playlist très cinématographique au début des romans policiers et fantastiques de Maxime Chattam, force est de constater que la musique facilite l’entrée dans leurs univers.
Saviez-vous qu’Agnès Martin-Lugand et Stéphanie Janicot écrivent en musique ? Pas étonnant que la première nous dresse une playlist chronologique à la fin de ses romans. Et que la seconde ait donné comme titres aux chapitres de « Disco Queen » (©2023 - Albin Michel) ceux des chansons qui ont inspiré leur rédaction.
D’autres auteurs vont encore plus loin et n’hésitent pas à intégrer des codes QR qui renvoient directement aux chansons. C’est le cas de la Britannique Jane Sanderson dans son roman « Lovesong », traduit de l’anglais par Maya Blanchet (©2022 - Actes Sud). En ouverture du livre, trois QR codes (vers Spotify, Deezer et YouTube) nous immergent dans la playlist que s’échangent Ali et Dan, séparés d’un océan et par le temps qui vogue. On navigue de l’un à l’autre, à la recherche de nos premières amours d’adolescents, par la magie des voix d’Elvis Costello dans « Pump It Up » , de Blondie avec « Picture This », et de Chrissie Hynde avec ses riffs de guitare et le rythme langoureux des Pretenders lors du fameux « I Go To Sleep ».
Et que penser du roman musical « Alabama Blues » qui mêle la plume de Maryvonne Rippert à la musique des Chics Types (©2012 - Oskar Éditeur) ? Les code à réponse rapide en deux dimensions, insérés dans la marge, permettent au jeune héros et à ses lecteurs adolescents, de découvrir le jazz, de ressentir les premiers émois, d’apaiser les conflits familiaux naissants, et de s’ouvrir à un nouveau monde.
Quels sont les effets de la trilogie « InCarnatis », signée par Marc Frachet (©2016 tome 1, ©2018 tome 2 et ©2021 tome 3 - Acci Entertainment) ? Cette lecture « augmentée » est jalonnée de codes dont la musique, des grandes voix du cinéma et quelques animations, nous aspirent entre science-fiction et heroic fantasy. Enfin, le recueil de 24 nouvelles du collectif d’auteures, « H24 : 24 heures dans la vie d’une femme », nous plonge dans une série télévisée. Qui a lancé l’idée en premier : Arte ou Actes Sud (©2021) ?
Fin avril 2023, l’éditeur The Melmac Cat qualifie ce nouveau genre littéraire de « pop roman ». Tout au long du récit, dans le monde parallèle de « 1m976 », des paroles de chansons sont intégrées dans les dialogues. Les codes QR parachutent le lecteur en plein milieu de clips vidéo qui ont marqué l’année 1976. L’éditeur décrit le pop roman comme « un courant littéraire né ailleurs(s), par lequel les auteurs marient la musique pop à leurs récits, et où la discographie tient lieu et place de bibliographie. L’insertion de QR codes rend la navigation vers les escales des vidéoclips plus intuitive. Ces temps morts, comme des publicités vivantes, ont leur importance dans le rythme et la compréhension de l'histoire. C'est une singularité que l’on retrouve dans tout pop roman. »
Extrait de « 1m976 » avec l’aimable autorisation de l’éditeur :
Le réveil
J’entends des voix qui me chantent :
Ne me brise pas le cœur
Je ne pourrais pas si j'essayais
Oh, maman chérie, si je m'agite
Bébé, tu n'es pas de ce genre
Ne me brise pas le cœur
Toi tu m'enlèves ce poids
Oh, maman chérie, quand je frappe à ta porte
Ouh, je t'ai donné ma clé.
Ça vient de la chambre de maman.
Il est 7 heures 7. C’est le réveil radio de ma mère. Mais pourquoi ne vient-elle pas ? La chanson d’Elton John et de Kiki Dee va sur sa fin et les chiffres blancs de mon horloge à piles en plastique orange affichent déjà « 0…7…H…0 et 9 » sur le fond noir. Il faut que je me lève sans plus tarder. Absolument. Je fais un effort surhumain pour me redresser sur les pieds encore endormis et qui dépassaient du petit lit. Je peux alors me diriger vers le calendrier qui pend au mur. Je déplace une nouvelle fois le curseur qui indique le jour, le mois et l’année : 1/m9/76. On est bien le premier septembre 1976. Je viens d’avoir quinze ans.
Alors, le pop roman est-il un nouveau genre littéraire, ou doit-on le considérer comme une adaptation de l’écriture qui fait écho aux évolutions technologiques du XXIème siècle ?