Alors que l’intérêt pour les sports de montagne se manifeste de plus en plus, peu de femmes, par rapport aux hommes, émergent. En alpinisme, trail ou escalade, on connaît plus de noms masculins que féminins. Dans la plupart des sports, les femmes ont lutté pour se faire une place. Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, dans Les femmes alpinistes au tournant du XXème siècle, explique que le développement du sport moderne s’est intensifié alors que les femmes investissent les terrains politiques, professionnels, littéraires et autres qui leur étaient jusque-là fermés. Le sport devient un des derniers bastions de domination masculine, destiné à préparer physiquement les jeunes hommes, et se développe en conséquence.
De l’exclusion à la sous-représentation
Le documentaire Toutes musclées, d’Arte, raconte le rejet que les femmes ont subi de ce milieu glorifiant la puissance, le courage, la vaillance. Des caractéristiques considérées comme masculines. C’est encore plus flagrant dans le domaine de la montagne. L’alpinisme, c’est la lutte contre la Nature, la conquête d’un sommet vierge : les femmes, créatures fragiles engoncées dans leurs robes à crinoline, n’y ont pas leur place.
A l’époque, rares sont les structures accueillant les femmes intéressées. En Europe, le Club Alpin Français est un des seuls qui, dès 1874, est inclusif. L’Alpine Club, premier club de l’histoire (1857), et le Club Alpin Suisse sont strictement réservés aux hommes. Au point que pour pouvoir aller en montagne, les femmes ont lancé leur pendant féminin : le Ladies’ Alpine Club (fondé par Elizabeth Hawkins-Whitshed, de son nom de plume Aubrey le Blond) et le Club Suisse des Femmes Alpinistes, qui ne fusionne avec le CAS qu’un siècle plus tard.
Le CAF fait montre d’une belle avancée pour l’époque mais en réalité, sur les registres des membres, les femmes ne sont qu’un infime pourcentage. Et un pourcentage toujours d’une tutelle masculine, bien souvent, leur mari, père ou frère. Lorsqu’elles s’émancipent de cette tutelle, c’est pour se retrouver sous celle d’un guide masculin, même si cela leur permet de gagner en autonomie. Il faudra attendre 1932 pour voir la première cordée exclusivement féminine, avec Miriam Underhill et Alice Damesme, qui réussissent l’ascension du Cervin. Auparavant, chaque femme parvenue à un sommet était sous la houlette d’un homme. Difficile, donc, de gagner en assurance en montagne.
Des obstacles physiques et mentaux
De plus, les femmes font face à d’énormes débats lorsqu’elles tentent d’investir le domaine de l’alpinisme, qui vont de questionnements sur leurs vêtements à la “facilité” de leurs ascensions. Alors que les discussions sur l’habit masculin portent sur la praticabilité, le confort et la résistance au froid, celui sur le féminin se concentre sur la décence du vêtement. L’alpiniste Mary Paillon écrira un article sur le sujet officialisant trois tenues pour la femme en montagne, de la touriste à l’alpiniste aguerrie. Toutes incluent le port peu pratique d’une jupe.
A côté de ça, peu de bruit est fait autour des ascensions féminines. On n’en trouve que de rares mentions dans les récits d’époque ou les gazettes des clubs. La plupart des femmes sont décrites comme traînées au sommet par leurs comparses masculins. D’ailleurs, la publicité pour cette activité parle d’ascensions “faciles, accessibles à tous, mêmes à ces dames” ou de “chemins pour femmes.” Et alors qu’en 1786, on applaudit le premier homme arrivé au sommet du Mont Blanc, on parle peu d’Henriette Angeville qui, en 1838, devient la deuxième femme à arriver au sommet. Marie Paradis était la première. Mais l’histoire retient qu’elle a été portée par ses compagnons. Réalité ou exagération ? Trop peu d’écrits féminins d’époque nous parviennent pour contrebalancer cette dévalorisation.
Aucun droit à l’erreur
En 1959, il n’y a pas si longtemps, Claude Kogan, bien connue du milieu montagnard, monte une expédition féminine pour se lancer à l’assaut du Cho Oyu, un des quatorze 8000 au monde. Elle est accompagnée d’onze autres femmes, bien aguerries à la haute altitude et aux conditions extrêmes.
Lucien Devies, grand manitou de l’alpinisme, dira alors que : “si elles réussissent, cela confirmera mon impression que le Cho Oyu est une montagne à vaches”. Il sera satisfait. La cordée échoue, et une avalanche entraîne la mort de deux de ses membres, dont Claude. A leur retour, les survivantes ne trouvent ni la pitié ni les applaudissements qu’ont eu avant elles les cordées masculines subissant le même sort. Au lieu de cela, on juge leurs compétences et on se demande de manière méprisante ce que ces femmes ont pu aller chercher, “si loin de chez elles”. En 1915, la même question est posée à George Mallory alors qu’il s’apprête à escalader l’Everest. Sa réponse “parce qu’elle [la montagne] est là” est applaudie et devient une des plus célèbres répliques de l’alpinisme. Exprimé par un homme, ce désir de conquête est courageux, téméraire, grand. Exprimé par une femme, il est futile.
Un traitement inégal qui se ressent bien face aux retraits. Quand les échecs masculins sont vus comme de la fatalité, un brutal coup du sort, les femmes n’ont droit ni à l’erreur ni à la malchance, comme Claude Kogan. Monica Jackson et Betty Stark, qui réussissent la première ascension exclusivement féminine en Himalaya, disent d’ailleurs qu’il est heureux qu’elles aient réussi. “Aucune pitié ne nous aurait été témoignée si nous avions échoué. Le monde attendait de dire “Je te l’avais bien dit : que pouvait-on attendre d’autres de la part des femmes ?””
Un plafond de glace encore tangible
Malgré de gros progrès depuis cette époque, on en reste à un faible pourcentage de femmes en montagne. Que ce soit dans les ultra-trail - en moyenne, 15% des inscrits sont des femmes -, ou en alpinisme pratiquante - sur les 1 200 permis d’ascension en Himalaya décernés par le Népal en 2023, 900 l’ont été pour des hommes - qu’en tant que professionnelles.
Marion Poitevin, première femme au sein du Groupe Militaire de Haute-Montagne, première institutrice à l’Ecole militaire de haute montagne, première femme secouriste en montagne, première dans beaucoup de choses en montagne, raconte ce “plafond de glace” auquel elle s’est heurtée tout au long de son parcours dans son autobiographie. Autobiographie contemporaine, publiée en septembre 2022. Car Marion fait partie de cette trentaine de guides femmes en France. Sur 1800.