Retour sur l’exposition du précurseur du dadaïsme, « Mondes magiques, mondes libérés », qui s’est tenue du 4 mai au 8 octobre 2023 à l’Hôtel de Caumont - Centre d’Art, au cœur d’Aix-en-Provence.
Dans la traversée du XXe siècle, je ne connais pas plus grand expérimentateur de l’avant-garde que Max Ernst. Associé aux fondateurs du groupe dada et puis à ceux du surréalisme, sa soif insatiable de création l’a poussé bien au-delà des étiquettes collées à ses contemporains. Le génie créateur de cet artiste libre et incomparable nous laisse émerveillés devant ses tableaux et ses sculptures visionnaires. Avec près de cent-vingt œuvres qui dialoguent ouvertement dans les salles de ce majestueux hôtel particulier, la rétrospective met le doigt sur le lien étroit que l’artiste tissait avec la magie et la liberté. Avec en toile de fond la passion pour la nature, les femmes et le jeu.
Libre dans l’art, libre dans l’amour
On ne peut comprendre la soif de liberté de Max Ernst si l’on fait abstraction des deux grandes guerres mondiales qu’il a endurées.
Le dadaïsme, le collage et Luise Strauss
Maximilian est né le 2 avril 1891 à Brühl, dans l'Empire austro-hongrois. Allemand de naissance, il sert durant la première guerre dans l'artillerie ennemie, sur le front russe et puis sur nos terres. Démobilisé en 1918, il épouse Luise Strauss, historienne d’art. Ils vivent à Cologne. Leur relation passionnelle lui donnera un fils. Lors d’un déplacement à Munich en 1919, il rencontre Paul Klee et expérimente ses premières peintures, des impressions à la main et des collages sur différents supports et matériaux. Il est l’un des premiers peintres à remettre en cause les contraintes idéologiques et esthétiques. En 1920, il fonde le collectif Zentrale W/3 avec Jean Arp et Baargeld, contribuant à l’essor du mouvement Dada. Avec son comparse Baargeld, Ernst organise la Première internationale dadaïste à Berlin à la fin du mois de juin 1920. Il rencontre beaucoup d’artistes venus de Paris. Notamment Gala, l’épouse du poète Paul Éluard, qui pose nue pour lui. Comme les amours de Luise et Max sont tumultueuses, le peintre se réfugie dans son atelier. Il s’évade du quotidien dans des jeux amoureux. Luise et Max se séparent en 1921 (ils finiront par divorcer en 1926).
Le surréalisme, le frottage et Gala Dalí
Suite au succès de sa première exposition parisienne en 1921, il s'installe à Montparnasse, où il vit chez le couple Éluard. Il devient l’amant de Gala (qui sera plus tard la muse de Dalí). S’en suit un trio avec la femme du poète, totalement assumé par les trois complices. Ce nouveau jeu amoureux l’inspire à se lancer, avec ses amis André Breton et Paul Éluard, dans le futur groupe surréaliste. En 1925, Max expérimente le « frottage » en laissant courir sa mine de crayon sur une feuille posée sur du bois nervuré. Il le fait ensuite sur n’importe quelle autre surface texturée. Cette technique fait apparaître des figures imaginaires. On l'apparente à l'écriture automatique, celle des écrivains surréalistes.
Le grattage, le « roman-collage » et Marie-Berthe Aurenche
En 1926, Ernst collabore avec Joan Miró et se lance dans le « grattage » du pigment directement sur la toile. Les surréalistes et André Breton pointent du doigt les deux peintres : ils ont « pactisé avec les puissances d’argent. » Max est tombé amoureux de Marie-Berthe Aurenche. Sœur du cinéaste Jean Aurenche, Marie-Berthe nage comme un poisson libre dans le milieu intellectuel des années folles. Elle adopte la vie aventureuse de Max. Ses choix sont radicaux et son engagement passionnel. Ils se marient en 1927. Deux ans plus tard, Ernst renoue avec la pratique du collage et les surréalistes. Avec « La Femme 100 têtes », ce livre composé de gravures tirées de revues scientifiques et d’extraits de romans populaires de la fin du XIXe siècle, préfacé par André Breton, il n'est pas le premier à raconter une histoire au moyen de collages, mais les quelques cent quarante-sept collages lui confèrent une importance sans précédent. Deux autres « romans-collages » verront le jour les années suivantes.
La sculpture et Leonora Carrington
En 1937, Ernst succombe aux charmes de Leonora Carrington. Ils partent vivre à Saint-Martin-d'Ardèche. Il achète une maison qu'il décore de fresques et de bas-reliefs. Alberto Giacometti lui a donné le goût de sculpter. En 1938, la mécène américaine Peggy Guggenheim achète les œuvres de Max pour sa galerie d'art à Londres. Comme Ernst refuse de se plier aux injonctions d'André Breton qui veut le convertir au trotskisme, il quitte le groupe des surréalistes.
L’expressionisme abstrait et Peggy Guggenheim
Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, Max Ernst est arrêté par nos compatriotes comme « étranger ennemi ». Il est interné dans le camp des Milles près d'Aix-en-Provence. Ensuite, sous l’occupation allemande, c’est son étoile de juif qui le menace. Avec l'aide du journaliste américain Varian Fry à Marseille, il réussit à quitter le pays en compagnie de Peggy Guggenheim. Ils débarquent aux États-Unis en 1941 et sont accueillis par Jimmy, le fils de Max et de sa première épouse, Luise. Ils voyagent à travers le pays et se marient l'année suivante. Son mariage avec Peggy Guggenheim n’est pas une réussite. Mais leur relation lui a non seulement permis d’être introduit partout tel un Gatsby dans les milieux huppés new-yorkais, mais surtout, de fuir l’Europe nazie et d’éviter les camps de concentration. Luise Strauss n’a pas eu la même chance. Elle est exterminée en 1944 à Auschwitz. Il prépare, avec son humour noir, le terrain à l'expressionnisme abstrait de peintres américains comme Jackson Pollock. En 1942, le magazine View, dirigé par le poète surréaliste américain Charles Henri Ford, lui consacre un numéro spécial. Cependant, ses expositions rencontrent peu de succès.
Le dripping et Dorothea Tanning
Max Ernst vit à New York, aux côtés de Marcel Duchamp, André Breton et de nombreux intellectuels français.
En octobre 1946, il épouse la peintre, sculptrice, écrivaine et éditrice américaine, Dorothea Tanning, à Beverly Hills. Leur mariage est célébré en même temps que celui de leur ami photographe, Man Ray.
Ernst expérimente le dripping en laissant couler sur une toile de la peinture à partir d'un récipient troué.
Il acquiert la nationalité américaine en 1948.
Ils voyagent en Europe et retournent en France au début des années 1950, où Max reprend la sculpture.
Il obtiendra la nationalité française en 1958.
Dorothea restera sa femme et sa muse jusqu’à son dernier souffle. Il meurt le 1er avril 1976 à Paris.