Après mon master en Administration et de Gestion, j’ai décroché mon premier travail dans une société internationale de consulting. Au début, on me donnait les tâches dont personne ne voulait : préparer les PowerPoint, l’encodage et la mise en page les comptes-rendus des consultants seniors. Étant polyglotte, j’effectuais aussi la traduction. J’exécutais mes tâches dans la bonne humeur, car je suis la onzième enfant d’une fratrie de douze ; depuis toute petite, j’ai appris à me plier aux règlements, sans me plaindre. Je ne me sentais ni exploitée ni maltraitée. Au contraire, j’étais heureuse comme un poisson dans l’eau. Même si j’avais dû nettoyer les chiottes, je les aurais fait briller avec le sourire.
Puis un jour de chance, le client chez qui je terminais une mission me proposa de rejoindre son pôle Finance. C’était une offre ferme, pas d’entretien d’embauche. Cerise sur le gâteau, le Chief Financial Officer doublait mon salaire. Un conte de fées ! Je n’hésitai pas une seconde.
L’immeuble de mon nouvel employeur, ABB-Alstom Power, se trouvait dans le quartier le plus chic de Bruxelles. J’annonçai ma venue à l’hôtesse d’accueil, qui m’invita à patienter dans la salle d’attente à la vue imprenable sur l’avenue Louise. Le temps s’écoula aussi lent qu’une tortue centenaire. Je sentais mon cœur bondir dans ma poitrine et envoyer le sang à plein débit dans mes artères. Enfin, deux hommes vinrent à ma rencontre. Le plus âgé des deux me tendit la main et se présenta :
Bienvenue, Kim. Je m’appelle Jean-Pierre Augendre.
Le deuxième enchaîna avec un sourire jusqu’aux lèvres :
Hi, Kim, I’m Ken Wanless.
Quel accueil ! Je ne peux espérer mieux, pensais-je. Je les suivis dans une salle de réunion où une cafetière et des mignardises étaient déjà posées au milieu de la table. Pendant que Ken remplissait nos tasses d’un café fumant, mon nouveau chef, les mains posées sur la table, les doigts entrelacés m’expliquait le fonctionnement du département de reporting et de consolidation et ce qu’il attendait de moi. Je l’écoutais attentivement en hochant la tête de temps en temps, signe affirmatif que nous étions sur la même longueur d’onde. Mais en réalité, plus il développait, moins je comprenais. Je saisis ma tasse de café et la vidai d’un coup sec. J’aurais préféré un whisky à la place. Son adjoint observait en silence le changement de couleur de mon visage, passant du jaune au vert papaye.
Le directeur financier termina son exposé par une exclamation :
Cent million d’euros d’intercos vous attendent !
Je clignais les yeux pour empêcher que débordent mes larmes. Mon corps mettait à trembler. Je m’intimais ardemment : reste digne, s’il te plaît, ne chiale pas.
Monsieur Augendre. Monsieur Wanless
Je marquai une pause avant de poursuivre :
Je crains qu’il y ait une erreur de casting.
Prenant une profonde inspiration, je bredouillai :
C'est quoi les intercos ?
Je cachai mon visage derrière mes mains et sanglotai :
Je n’ai aucune expérience en reporting ni dans la consolidation.
Ken tourna sa tête vers le chef, puis vers moi. Perplexe, il se gratta la tête. Le sexagénaire, fronçant les sourcils, se redressa. Ça y est, il va me coller une baffe, me murmuré-je. Puis, il se leva, ajustant sa cravate et m’ordonna :
Kim. Take the challenge !
Sans me laisser le temps de répondre, il quitta la pièce. Je posai mon regard de chien battu sur l’Anglais qui tenta bien que mal de me rassurer :
Everything will be allright. Don’t worry.
Si, je m’inquiète grave ! Je hurlai intérieurement.
Come, I show you your office.
Depuis ce jour, take the challenge devient ma devise et m’accompagnera tout au long de ma carrière professionnelle. Avec le soutien de mon manager le super Ken, mais surtout grâce à ma ténacité, de chenille, je me transformai en papillon. Après deux ans de dur labeur, la consolidation n’avait plus de secrets pour moi.
Dans le prochain épisode, je trace le portrait de celui qui m’a nommée experte en Cash Management.