6 juillet 2008, jour de finale au All-England Club, le mythique tournoi de Wimbledon. Comme Borg et Sampras dans le passé, Roger Federer s’avance fort de 5 titres d’affilée, en route pour un douzième titre du Grand Chelem. Sa domination est presque sans partage depuis 2004. Aujourd’hui, il rencontre son adversaire le plus coriace. Rafael Nadal vient de remporter pour la quatrième fois son tournoi, celui de la terre battue de Roland Garros. Il a même mis une claque au Suisse en lui infligeant une très sévère défaite en trois sets secs. Le jeu de Nadal ne réussit pas à Federer. Son coup droit lifté est très difficile à dompter tant il gicle dans le revers du Suisse. Le jeu sur gazon n’est pas la spécialité du Majorquin mais en fin de quinzaine le gazon est moins rapide, ce qui ne manquera pas de l'avantager puis c'est sans oublier la hargne, la motivation et la combativité du taureau de Manacor.
Les 3 premiers sets
Le match est retardé d’une trentaine de minutes à cause de la pluie. Au micro de Sue Barker de la BBC, Federer lâche une phrase sans doute prémonitoire, “avec la pluie, ce sera peut-être une longue journée”. Les deux joueurs, bandeaux vissés sur la tête, sont prêts à en découdre pour le bonheur des 20000 spectateurs du Central Court. Le premier point d’une intensité rare lance le match. Un échange d’une quinzaine de frappes conclu par une gifle de coup droit de Rafael Nadal qui déborde son adversaire. Federer sent que la tâche ne sera pas aisée, il va devoir sortir le grand jeu pour décrocher ce record de 6 victoires consécutives. La tendance du début de match est bien en faveur de l’Espagnol qui parvient à breaker dès sa première opportunité. Federer jusque-là parfait au service sur la quinzaine, aucun break concédé depuis les huitièmes de finale ne peut rien. Il perd la première manche sur le score de six jeux à quatre.
Quarante-cinq minutes plus tard, même si Federer semblait mieux se reprendre en menant 4-1, Nadal réussit une remontada et le Suisse ne marque plus un seul jeu. Le spectre d’une victoire 3 sets à zéro ressurgit. Federer est au plus mal, la bête est blessée et les statistiques sont contre lui. Aucun joueur depuis 1927 n'a remporté la finale après avoir perdu les deux premiers sets.
Troisième set, le match se tend et chaque joueur délivre alors son meilleur tennis. Nadal a beau se procurer 3 balles de break à 3-3 mais n'en convertit aucune. Chaque point remporté par Federer ressemble à une balle de match sauvée. Sans ce sursaut d’orgueil du champion, nous n’aurions pas assisté au sublime Fedal qui est en passe d’entrer dans la légende. A 5-4 pour le Suisse, la pluie fait son retour. Les deux joueurs rentrent aux vestiaires. L’ambiance dans les deux camps est vraiment différente. Nadal paraît plus nerveux que Federer. Sauvé par les gouttes, le Suisse en profite pour plaisanter avec son équipe afin de repartir au combat plus frais mentalement. 80 minutes d’interruption pour rentrer dans la deuxième partie de ce match qui a décidément quelque chose de spécial. Federer l’emporte au tie-break. Sa décontraction et l’habitude des finales dans ce lieu mythique l’ont grandement aidé.
Le 4ème set mythique
Le tie-break du quatrième set est à classer dans les livres d’histoire. 18 points pour la légende. Tel un phénix, Federer renaît de ses cendres en sauvant deux balles de match lors de cette manche décisive. Nadal semble se diriger vers le sacre, il est à deux points d’une des victoires les plus prestigieuses de sa jeune carrière. Même les très grands joueurs peuvent être atteints du syndrome de la peur de gagner. Une double faute au pire des moments, les muscles qui se raidissent, les coups qui ne partent plus aussi naturellement de la raquette, une main qui tremble avant de conclure. Sur la deuxième balle de match à sauver pour le Suisse à 8-7 sur le service de son adversaire, dos au mur, il lâche un passing de revers exceptionnel long de ligne dont il a le secret. Deux points plus tard, un “Come on” rageur de “Rodger” fait exploser les supporters de joie, ravis d’assister à un cinquième set de folie. Le voici embarqué dans un thriller parti pour durer et rester dans l'histoire. Ce match nous rappelle le tie-break d’anthologie livré entre McEnroe et Borg lors de la finale de 1980, considéré comme la référence au tennis du XXème siècle. 18 à 16 pour l’Américain, un sommet de dramaturgie. L’histoire semble se répéter et l’outsider est en mesure de dépasser le maître. Cette finale d’une intensité rare entre les deux stars du tennis actuel est en passe de devenir le must de ce sport.
Deux champions
Juste avant de s'élancer pour le dernier acte, le bilan comptable est parfait, 302 points disputés, 151 pour Federer tout autant pour Nadal. Deux joueurs si proches en termes de perfection, d'élégance et de talent. Seul un cinquième set au bout de la nuit et après la pluie peut tirer la quintessence de ce sommet. Nous y sommes ! Ce cinquième set n’existe qu'en Grand Chelem, ces quatre tournois dans l'année qui sont la mesure de l’échelle des champions. Federer a en ligne de mire les quatorze titres de Sampras puis au-dessus c’est l’infini. Il aura l'horizon libre pour écrire sa propre histoire et fixer de nouvelles limites dans son sport. Ce combat entre les deux guerriers au bandana n'est sûrement pas le dernier. Il se sont déjà affrontés à 17 reprises, 11-6 en faveur de l’Espagnol.
Après bientôt quatre heures de jeu, les deux joueurs ne lâchent rien, se rendant coups pour coups. La pluie s’invite une dernière fois dans cette partie qui tire en longueur, dure épreuve pour les nerfs. Ils sont rodés et cela n’ajoute qu’à la magie de cette finale. À 7 jeux partout, Nadal parvient enfin à breaker Federer dans cette manche. La lumière commence à faiblir sur le Centre Court. Il est 21 heures à Londres, près de six heures après le premier échange de cette partie, Nadal est au service pour conclure. Il faut terminer avant la tombée de la nuit. Assistons-nous à une passation de pouvoir ? La fin d’un règne du maître Federer dans son antre ?
Ce match possède tous les ingrédients de la légende. Une arène mythique, cette lumière crépusculaire, deux adversaires au firmament, un finish haletant au bout du suspense… Je vous laisse revivre ces derniers instants d’un match dont on discutera encore pendant des années, décennies… Sans conteste le plus beau match de tennis du XXIème siècle.