Le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux a récemment permis de redécouvrir l’œuvre fulgurante d’Absalon (1964-1993), de son vrai nom Meir Eshel. La partie la plus marquante de cette production consiste en Cellules, des unités d’habitation réalisées en plâtre, à l’échelle 1. Absalon envisageait d’en réaliser six, six petites maisons devant être placées en divers endroits du monde (Paris, Zurich, Francfort, New York, Tel Aviv et Tokyo), qu’il serait susceptible d’habiter lors de ses déplacements.
Arrivé en France en 1987, à l’âge de 23 ans, Absalon fréquenta successivement l’Ecole des beaux-arts de Paris, celle de Cergy-Pontoise puis l’Institut des Hautes études en arts plastiques. Dès 1991, il réalisa six maquettes de carton de maisons blanches, dont il commença la construction la même année. Trois des Cellules furent réalisées dans les ateliers techniques du CAPC, Absalon y étant invité pour une exposition collective. Les premières furent présentées à la Documenta de Kassel de 1992. Pour Absalon, comme il l’expliqua lors d’une conférence donnée à l’Ecole des beaux-arts de Paris en 1993, chaque maison devait être comme « un virus dans la ville ». Il est décédé du sida en octobre 1993 sans avoir réalisé son grand projet mais en laissant, à côté de Propositions d’habitations qui prolongent sa réflexion sur l’architecture, deux vidéos saisissantes qui font entendre sa voix (dans Bruits, il crie jusqu’à l’épuisement) et montrent son corps en lutte contre les bords du cadre (Bataille). Les six cellules, réalisées à l’échelle1, étaient présentées cet automne au CAPC de Bordeaux.
Dans la grande nef, elles rencontraient un nouveau contexte, faisant le lien entre une décennie marquée par le sida et notre actualité traversée par la pandémie de la Covid 19 et ses questionnements. Elles exposaient une certaine conception du confinement, hors de toute règlementation sanitaire, qu’il faut plutôt considérer comme un retrait volontaire, un auto-confinement devant permettre la réinvention de soi.
Le terme « cellule » renvoie à la fois à la prison et à l’unité organique qui se suffit à elle-même : c’est cette seconde acception que choisit Absalon. Marquées par la plus grande simplicité matérielle et des formes variées, ses Cellules sont des espaces incluant les différentes fonctions de la vie quotidienne (manger, dormir, etc.) mais imposant au corps les contraintes liées à leur exigüité. Bien qu’elles suivent les proportions du corps de l’artiste (qui mesurait 1 m 90), elles imposent leurs contraintes aux visiteurs pourtant plus petits qui, lorsqu’ils en franchissent le seuil, découvrent que chacun de leurs gestes relève désormais d’une chorégraphie méticuleuse permettant de contourner ici une table, et là, une chaise. Dans le tout petit espace uniformément blanc, chaque geste, s’approchant de l’arrêt, relève de la danse.
La cellule exclut toute accumulation et même toute possibilité d’invitation, l’habitant devant se concentrer sur ses besoins essentiels. Si la blancheur, par son uniformité, tend à raboter les valeurs, elle introduit aussi une variété de connotations : la pureté, la virginité, la lumière, le divin, le sacré, voire un rapport au pouvoir (ce sont des « Maisons Blanches »). Elle renvoie en outre au vide (la page blanche) ou à ce qui « ne compte pas » (l’examen blanc2). Retenant surtout l’idée d’une mise à distance du corps qui correspond à son utilisation dans un cadre médical (une maison-laboratoire ?) ou hygiénique (une maison salle-de-bains ?), on pourrait y voir un espace de distanciation de soi, de métamorphose, de concentration et d’émancipation. Un espace pour construire une convivialité avec soi-même en quelque sorte, voyager dans le temps de la mémoire et l’espace de son imagination, explorer les grandes profondeurs de l’intimité pour intensifier sa vie, par la retenue et la pensée du geste.
Notes:
1 L’exposition a eu lieu du 24 avril 2021 au 2 janvier 2022.
2 Pour tous ces effets de sens, voir notamment Pastoureau Michel et Simonnet Dominique, 2014, Le petit livre des couleurs, Paris, Seuil, coll. « Histoire ».