Aujourd’hui, Johan Creten est considéré comme l’une des figures de proue du renouveau de la céramique, aux côtés de Thomas Schütte et dans le sillage de Lucio Fontana. Grâce à son utilisation de l’argile, à sa connaissance éprouvée des matériaux, à son attention portée aux glaçures, à sa connaissance toute physique du médium, il a redonné à la céramique sa grâce majuscule et ouvert la voie à de nombreux jeunes artistes contemporains. Avec Johan Creten, la céramique n’est plus un parent pauvre mais un art noble.
L’œuvre de Johan Creten n’est pas présidée par la seule beauté, par la seule vénusté. Par conséquent, certaines œuvres majeures, aux tons plus sombres, plus troubles, telles les ensorcelantes Odore di Femmina, trahissent l’inflexion politique de son travail, peuplé par le désir de scruter les ambivalences et les drames de l’Histoire, les heures obscures et les jours noirs. Ainsi, deux expositions récentes et ambitieuses – «CERAMIX» à La Maison Rouge à Paris, et « La Traversée / The Crossing » au CRAC (Centre régional d’art contemporain) de Sète – ont mis l’accent sur ces pièces plus engagées qui, réalisées de la fin des années 80 jusqu’à nos jours, affrontent le champ social et confrontent le regardeur à la monumentalité de nos maux partagés.
Pour son exposition à la galerie Perrotin, de nouveaux bronzes monumentaux dialogueront avec des œuvres précoces comme The Gate (2001) ou C’est dans ma Nature (2001). De ces projets, imaginés pour panser les plaies et explorer la cité, au sens antique et moderne du mot, seront présentées plusieurs photographies éloquentes, aux côtés de Madame Butterfly (1991), œuvre expressément politique produite aux Etats-Unis.
Présentée pour la première fois à New York en 2015, The Price of Freedom sera l’une des pièces maîtresses de l’exposition parisienne Ce bronze monumental prend tout son sens, tout du moins un autre sens, dès lors qu’il côtoie la récente série de portraits que Creten a conçu comme un ensemble dont l’intensité le dispute à la cohérence. Pleines d’une ambiguïté mystérieuse et d’une «inquiétante étrangeté» (Sigmund Freud), les femmes voilées (Vierge d’Aleppo, 2014-2015), évoquent la claustration tout comme la permanence de préoccupations anciennes – par sa reprise du thème mozartien d’Aus dem Serail (2016-2017), Creten n’entend-il pas indiquer combien la polysémie de l’Orient fut depuis toujours un motif de rêve(s), une machine à projections et à fascinations ?
En admirateur de l’antiquité, des silences de marbre et des mystères d’airain, Johan Creten est un partisan du «Slow Art» ; ses œuvres se révèlent lentement, elles requièrent du temps. Il faut les fréquenter rigoureusement, souverainement, par le regard et par la marche. La contemplation et la circonvolution sont cruciales, ainsi que le rappellent ses Points d’observation/Viewpoints qui, semblables à des bollards ou à des bittes d’amarrage, ancrent le regardeur et lui iimposent du temps, du recul et de la distance – optique, mais aussi critique.
L’exposition présentera conjointement des œuvres spectaculaires, tel le bronze monumental De Gier (2015-2017), et des œuvres plus confidentielles, plus intimes, ainsi Vulvas ou la série photographique C’est dans ma nature. De Wargames à The Strip, chaque œuvre est une exploration de nos rapports au monde, rapports physiques et psychiques, réels et imaginaires, peuplés de fantasmes, d’obsessions et de fulgurances.
«Sunrise / Sunset» nous affecte par sa beauté solaire. Elle met en lumière notre lutte collective contre l’obscurité de plomb et la «monstre ignorance», pour reprendre le mot d’ordre des poètes de La Pléiade. Cette nouvelle présentation de l’œuvre de Johan Creten nous révèle un artiste engagé et lucide, lucide car engagé, dont les œuvres sont des épiphanies de la beauté enfouie. Car tel est le risque de tout projet esthétique et politique : regarder le soleil en face brûle souvent les yeux et la peau.