Pour sa nouvelle exposition à la galerie Perrotin, l’artiste américain Daniel Arsham, réinterroge le concept de permanence, continuant à développer un intérêt pour les cultures orientales ou les cycles des planètes, mais aussi pour sa propre temporalité, inhérente à sa pratique artistique.
Ainsi, pour un plasticien d’aujourd’hui qui expose autant aux Etats-Unis, en Asie qu’en Europe, se pose non seulement la question de la réception de l’œuvre, mais aussi celle de comprendre si un pays ou une culture peuvent inférer sur la création d’un nouveau corpus. Daniel Arsham travaille depuis ses débuts sur la mémoire et le temps, tout en s’intéressant à l’architecture, mais aussi à la notion de récit et aux auteurs de science-fiction. De manière plus personnelle, un ouragan auquel il a survécu à Miami en 1992 l’a rendu plus sensible à cette idée de la finitude, notamment développée par des reproductions d’objets qui traitaient de l’obsolescence. Pour l’exposition qui eut lieu en Corée l’été dernier, l’ensemble Fictionnal Archeology, débuté en 2013, s’était développé autour du jouet et de l’animal.
Insérées dans une thématique globale d’archéologie du futur et d’attention à la poétique des ruines, ces pièces jouaient déjà sur l’ambivalence entre passé et futur. Des objets qui pourraient être découverts dans un temps lointain et témoigneraient de notre civilisation actuelle dont l’artiste se saisit en les présentant comme rognés, grignotés, creusés…
Ici encore, il renoue avec l’action de sélectionner rigoureusement des reliquats —le plaçant dans une certaine démarche conceptuelle— qui sont ensuite patiemment retravaillés à l’atelier. Ainsi des globes terrestres ou des surfaces de lunes sont grumeleux et matiéristes, répondant à des peintures de sable ou des compositions géométriques, faites à même le sol. Daniel Arsham a souhaité répondre et concorder à l’espace du Marais. «J’ai voulu jouer avec la lumière de la galerie et la manière dont elle pénètre l’espace, directement ou indirectement, sans pour autant prendre en compte l’histoire globale de Paris pour réaliser cette exposition.» Pour lui, cette présentation aurait été identique aux Etats-Unis ou en Asie, même si ce continent nourrit un rapport particulier à tout ce qui touche à l’enfance, observe-t-il… et qui n’était pas sans lien avec l’inspiration des jouets développée en Corée. En 2005, sa première manifestation parisienne portait également sur le temps et se nommait Homesick.
Il affichait plus directement son attention à l’architecture et au bâtit, en mêlant des constructions imaginaires à la nature, tout en se plaçant dans les pas du modernisme.
Comme s’il avait pris une plus grande distance ces dernières années, Arsham se passionne désormais pour l’intemporalité de l’astrologie ou des philosophies orientales. Les cratères qui ornent ses sphères ou peintures de sables sont l’une de ses signatures, renvoyant toujours à cette idée d’infinitude, mais aussi à une fragilité intranquille.
«Dans cette exposition, poursuit-il, la question du temps est d’une part perçue à travers le cycle de la lune, créant un lien entre cet astre et une sorte de décadence des objets, qui apparaissent comme s’ils provenaient du passé, tout en jouant sur l’ambiguïté de résidus qui n’auraient pu être découverts que dans le futur. Quant aux peintures de sable ou aux jardins composés de pigments de couleur vives, ils témoignent de mes recherches autour des mandalas tibétains. Dans la culture japonaise aussi, depuis des centaines d’années, les mêmes formes ou motifs sont cultivés et parfois réactualisés tous les jours dans leur composition. Je parle ici de la conception de cycles, semblant statiques et inchangés pour l’éternité, alors qu’ils sont réactivés au quotidien. Mes peintures de sable en sont comme une version fixée, semblant temporaires et éphémères, alors qu’à l’inverse, elles jouent sur la question de la représentation. Mon sujet principal est donc ce lien entre permanence et impermanence.»
C’est également une analogie d’un processus créatif qui se retrouve tout à la fois bousculé et énergisé par les différents lieux et cultures où l’artiste est invité à exposer. La lecture des œuvres de Daniel Arsham peut, parfois, être interprétée à tort selon sa nationalité. Ainsi, à la vue des planètes, on pourrait songer à un lien avec la conquête de l’espace ou à une filiation Pop que ses pièces peuvent mettre en avant.
Daniel Arsham se situe davantage dans une introspection et une réflexion qui pourrait s’inscrire dans l’uchronie (si le passé n’avait pas été le passé, quel serait le présent ou le futur ?). Il ingère différentes cultures, surfe sur les temporalités, se gargarise de regarder dans des directions multiples, souvent en marge de l’art contemporain. Ce travail intime est très nettement associé, aujourd’hui, à la lenteur et la contemplation, même si là-encore il ne craint pas de communiquer, en parallèle, avec la vitesse et la boulimie offerte par les réseaux sociaux. Mais le temps d’une exposition est autre, intimant au repos comme le suggère son titre… « The Angle of Repose » est également, dans sa définition, cet angle de pente que prennent naturellement certains matériaux, jusqu’à adopter une forme conique. Il est ici question d’équilibre des particules ou de physique, associé au facteur hasard et à un certain lâcher-prise…