Composante essentielle sans y être littéralement représenté, le paysage occupe l’univers mental et physique de Klara Kristalova, sans être un thème en soit. Il se déduit par bribes de ses dessins, de ses céramiques, de ses bronzes qui peuplent les expositions sombres et mystérieuses qu’elle dévoile ces dernières années. Elle préfère l’évocation, la sensation du paysage à sa représentation littérale. Tirées de nouvelles productions réalisées pour l’exposition, les œuvres ont d’abord habité son entourage immédiat avant de s’installer à Paris. Son atelier se trouve dans la campagne suédoise, dans une forêt près d’un lac, au nord de Stockholm La scénographie conçue avec l’expertise du fleuriste Thierry Boutemy n’ayant pas pour but d’opérer une reconstitution fidèle mais bien d’évoquer cet environnement prégnant qui infuse l’imaginaire de Kristalova.
Dans cette nouvelle exposition à la galerie Perrotin Paris, une salle est dédiée aux dessins ; les autres, aux installations de céramiques peintes et aux bronzes. S’y retrouvent des personnages hybrides à corps féminins et têtes d’oiseaux, des chiens étranges, des humains coiffés de masques animaliers, à moins qu’ils ne soient vus en pleine métamorphose.
L’inspiration de l’artiste n’est pas faite de récits concrets et linéaires, de faits extraordinaires et surréels, il est innervé par une présence plus « normale », d’une normalité certes un peu bizarre mais finalement très commune, faite de ce réel qui recèle une part d’inconscient débridé. Sa communauté de personnages, souvent récurrents d’une exposition à l’autre, l’accompagne suivant un fil narratif qui nous échappe. Assurément, ils sont connectés au monde et touchent notre inconscient ; d’une certaine manière, ils sont rassurants.
Le paysage autour de son atelier, où ces œuvres trouvent parfois place, n’est pas si exceptionnel aux yeux de l’artiste même s’il constitue un enchantement pour ses visiteurs. Accoutumée à cette présence naturelle, Kristalova s’en inspire sans la copier. C’est un paysage qu’elle admire sans l’idéaliser, dont elle en tire une grande inspiration qui va du merveilleux à l’étrange. L’habitude de ces lieux est le meilleur des substrats pour que son imagination vagabonde, fasse fleurir des êtres à la tête de capucine, aux racines branchues, aux corps recouverts de plumes lourdes. L’ennui est d’ailleurs le meilleur des vecteurs pour l’imaginaire. L’étrange qui se faufile et s’échappe du quotidien, rejoint l’esthétique de Klara Kristalova, avec un même style simple et embarque le spectateur dans des déambulations aux sentiments mêlant effroi et fascination. Chez elle, la nature occupe une très grande place, anxieuse, hantée par sa disparition, par son exposition aux changements climatiques qui entrainent son altération. Ce sentiment de perte est partout dans son travail, infusant les formes d’une certaine mélancolie, le désir d’embrasser cette ressource puissante et fragile.
Les œuvres se suivent, se répondent d’une exposition à une autre, se nourrissent de cette nature qui les construit. Elles sont si proches de l’artiste, peuplant son rapport au monde, jour après jour, elle vit avec elles. Son atelier est rempli de leur présence. Dans le paysage, ces œuvres surgissent de la mousse, des feuilles, de la terre. C’est ce que l’artiste cherche à restituer avec cette exposition, sans tomber dans la transposition. À Paris, réunis autour d’une figure dansante en bronze, elles offriront un nouvel aperçu de la famille disparate et tendre qui émerge de l’argile sous les doigts et les pinceaux de Klara Kristalova.