La galerie Perrotin Paris est heureuse de présenter Civilization Iteration, la première exposition personnelle de l’artiste chinois Xu Zhen dans ses murs. L’exposition réunira une importante série d’œuvres créées par Xu depuis 2013, date à laquelle l’artiste a lancé une marque portant son nom. Iteration fait référence à un résultat obtenu par un processus de rétroactions répétées. La série d’œuvres présentée montre comment, dans le cadre d’une mondialisation grandissante et d’une intervention croissante des réseaux dans le monde artistique, un artiste peut envisager l’avenir de l’art selon sa propre définition.
Dès 2001, Xu participait à la 49ème Biennale de Venise, il était alors le plus jeune artiste chinois à présenter son travail dans le cadre de cet évènement international. Reconnu en tant qu’artiste dès l’âge de 20 ans, Xu a depuis créé un grand nombre d’œuvres , révélant une conscience tout à fait personnelle. Le tournant du siècle a été porteur, non seulement de mutations socio-économiques, mais également de nombreux changements culturels, ces derniers ayant profondément influencé Xu en tant qu’artiste. Une rupture importante intervient dans sa carrière en 2009 lorsqu’il fonde MadeIn Company, une entreprise de production artistique, à Shanghai. Dès lors, ses travaux sont produits de façon collective, et son identité d’artiste suscite la controverse. Entre-temps, la créativité de Xu se recentre peu à peu sur les relations entre l’art et le commerce.
Comme le souligne Monika Szewczyk, membre de l’équipe de commissaires de la documenta de Cassel 2017 : « Croyez bien que Xu Zhen n’est pas le premier artiste à s’être transformé en entreprise : bien d’autres le font plus discrètement pour optimiser leurs revenus et leur manœuvrabilité. Mais MadeIn sort sans doute du lot à un égard au moins : la production de l’entreprise peut de plus en plus s’envisager comme une réflexion contemplative sur la notion de paradis – qui n’offre pas une image claire comme celle que pourraient proposer les autorités religieuses, mais qui conserve toute son attention à cette abstraction comme question. »
Le titre de la série Under Heaven fait justement écho au paradis, sous forme de métaphore. Ces peintures firent leur première apparition à l’occasion de l’Armory Show de 2014, à New York, où elles figuraient sur l’affiche publicitaire de la foire. De multiples couches de peinture à l’huile forment à leur surface un « paysage » très ornementé et, figurant un décor minutieusement réalisé à l’aide d’une poche à douille de pâtissier (et non pas d’un pinceau !), elles composent un banquet visuel alléchant. La série parvient à transcender l’opposition entre art et commerce, illustrant bien la stratégie créative de Xu : plutôt que d’aborder cette question importante de manière frontale, il propose de la transformer en bilan positif dans une nouvelle approche sans équivalent. Un parti pris qui explique d’ailleurs pourquoi Xu utilise avec tant de facilité les symboles visuels empruntés à la culture populaire.
Dans la série Metal Language, des phrases tirées de caricatures politiques sont juxtaposées, dans un rendu très dense, sur une surface métallique au fini miroir. La composition, qui tient d’une certaine manière du graffiti, semble adhérer à la position radicale du langage politique, mais celui-ci est en fait démenti par l’extravagance du lustre métallisé. Cette contradiction interne propulse les œuvres (et même leur producteur) dans un état « suspendu » de pertinence.
De par leurs paysages métalliques et veloutés, les œuvres de Xu ont été classées dans le registre du pop art, bien que ce label ne convienne a priori qu’à certaines d’entre elles. En termes de logique créative et d’appropriation culturelle, Xu va sans aucun doute bien au-delà du pop art. Par exemple, ses séries Eternity et Evolution font toutes les deux référence à un monde civilisé beaucoup plus vaste et plus durable que la société de consommation. Œuvres d’art antiques, fresques de
Dunhuang datant de l’âge d’or de la Route de la Soie, sculptures modernistes représentatives d’Occident… lorsque nous voyons ces symboles culturels changer peu à peu de forme, ou lorsqu’ils sont recombinés de manière nouvelle par l’artiste, nous ne pouvons que ressentir une implosion de sens provoquée par la force spirituelle accumulée de la culture. Or, cette force ne provient pas seulement des symboles culturels utilisés : elle provient davantage, en un sens, des changements culturels induits par la mondialisation, à l’heure d’Internet. Dans un contexte moderne, nous avons tendance à n’identifier les sculptures grecques que par leur enduit blanc grisâtre, oubliant qu’il s’agissait à l’origine de statues divines en couleurs.
La vérité qui se cache derrière les reliques culturelles apparaît plus insaisissable que jamais pour le visiteur de musées. Les gens se tournent même vers le Net, recourant aux moteurs de recherche pour créer leurs propres images des origines de la civilisation. Entre les statues grecques en couleur et leurs versions modernes en plâtre blanc, et entre l’Acropole d’Athènes et les photos de sculptures sur écrans électroniques, il y a la perte d’un contexte commun. Et c’est bel et bien parce que nous sommes tellement habitués à cette réalité culturelle que les deux séries contrastantes Eternity et Evolution nous apparaissent si harmonieuses et splendides.
De sa « période comme artiste individuel », où il s’intéressait à la prise de conscience de l’identité, jusqu’à la « marque Xu Zhen », Xu s’est tourné de plus en plus résolument vers l’étude répétée de la culture actuelle. La transition n’est rien de moins qu’un reflet des changements majeurs survenus dans l’histoire humaine au cours des dernières décennies. Certes, l’extension de la conscience engendrée par l’Internet a éliminé la disparité temporelle et spatiale. Mais au cours du processus, l’apprentissage culturel au sens traditionnel a été anéanti par la surinformation, cédant le pas à une stagnation culturelle récurrente et à des standards dysfonctionnels. L’autoroute de l’information nous donne la sensation d’être irréels, à tel point que les frontières entre sens, valeurs et réalité s’estompent progressivement. À vivre dans cette époque de « post-vérité », l’on comprend peu à peu pourquoi Xu tient l’itération pour une méthode efficace pour répondre à la société post-moderne.
Car au fil du temps, après d’interminables destructions et reconstructions, les reformulations incessantes ne manqueront sans doute pas d’ouvrir un nouveau modèle de civilisation dans le présent.