La galerie Perrotin Paris est heureuse d’accueillir une exposition du collectif Information Fiction Publicité à l’occasion de la publication de leur monographie aux Presses du Réel / Editions Perrotin. L’exposition présente un ensemble d’œuvres historiques du collectif, dans la lignée de leurs expositions personnelles au MAMCO de Genève (2010) et au MACVAL de Vitry sur Seine (2012).
Fondée en 1984 par Jean-François Brun, Dominique Pasqualini et Philippe Thomas, IFP a existé jusqu’à fin 1994 (Philippe Thomas s’étant retiré en 1985 pour se lancer dans une carrière personnelle). Emmanuel Perrotin rencontre Jean-François Brun et Dominique Pasqualini à la fin des années 80. Il consacrera une des premières exposions de sa galerie appartement de la rue de Turbigo à IFP(1992). Entre agence, marque et collectif artistique, IFP interroge le statut d’auteur d’une œuvre : leurs travaux – dans lesquels le nuage est un motif récurrent – ne sont jamais signés et échappent ainsi à la tyrannie du nom. L’influence d’IFP sur l’art contemporain est prégnante, notamment par leur déconstruction, les concepts de représentation, d’exposition, de diffusion et de médiatisation de l’art.
« C’est un emblème, mais c’est aussi éventuellement un diagnostic de ce qu’est l’art, notre définition de l’art en général, à savoir que l’art est une affaire d’information, de fiction et de publicité. Et ce, autant pour un retable du XIVe siècle, un Poussin qu’un Warhol. »
Le travail d’IFP – très lié à l’espace social où la publicité grand public vient profondément troubler la vie privée de l’individu, et, peut-être plus encore, à la question (à la mode à l’époque) de l’auteur – se compose essentiellement de trois éléments : le logo IFP représenté sur des sculptures et des caissons lumineux, des images de ciel, des publicités de différentes formes.
Grande surface (1987-2010) forme une vaste peinture murale, monochrome vert de la taille d’un panneau publicitaire. À côté du logo du collectif, en blanc dans le coin inférieur droit de la peinture, prend place un strapontin de salle de cinéma : un unique spectateur peut s’y asseoir et contempler, en face de lui, l’image publique de l’immense frise décontextualisée, tout en activant pour les autres spectateurs le plan vert qui se trouve derrière lui. Ensemble, les deux pièces offrent un commentaire plutôt ironique de la célèbre observation de Duchamp sur le spectateur venant parachever l’œuvre. Là, c’est l’œuvre qui instrumentalise littéralement le spectateur afin d’atteindre à l’achèvement en question. Le Plot (1985) semble, du moins en théorie, inviter à une utilisation/exploitation tout aussi instrumentale. Au centre de petits socles de béton ronds, des plaques de métal au logo peint du collectif tournent mécaniquement. Difficile de ne pas imaginer un spectateur, debout sur l’une d’entre elles, le visage inexpressif, tournant docilement telle une sculpture humaine.
Le ciel, motif emblématique du collectif, domine l’exposition de son image séduisante. Disséminée dans des caissons lumineux, sur des paravents, dans un film, la présence du ciel baigne les espaces d’un calme aussi extraordinaire et inhumain qu’impassible. Ciel, station (1988), une série aérienne de dix caissons lumineux symétriquement agencés, montre un ciel parsemé de nuages. Évoquant la fenêtre d’un train ou peut-être une série de photogrammes, l’installation donne, en dépit de son élégante beauté, un sentiment d’artifice. On aurait dit que le ciel, et toutes les significations romantiques qui lui sont habituellement associées, avaient été privés de leur contenu, totalement évidés, à l’image d’un économiseur d’écran.
Ce n’est qu’après avoir vu un caisson lumineux vertical du ciel à taille humaine et quelques images d’espaces inhumains – déserts ou paysages lunaires – collées directement au mur que l’idée de colonisation de l’espace commence à s’imposer. Car les caissons lumineux du ciel témoignent d’une marchandisation de cela même que l’on pensait farouchement irréductible à toute forme de packaging et de commercialisation. Pourtant, le ciel est bien là, standardisé en portions lumineuses et envoûtantes de sa propre représentation.
Difficile de savoir si cette critique appartenait ou non au projet initial – IFP était connu pour ne s’aligner sur aucune position critique, hormis le renoncement à toute forme traditionnelle de paternité. Cela dit, si avec le temps une subtile critique de la marchandisation s’est fait jour dans leur travail, un autre aspect latent s’est imposé : celui du memento mori. Car que pointent ces pures représentations artificielles (ces conservations), si ce n’est la disparition de ce qu’elles invoquent ? Elles furent certes réalisées à la fin de la guerre froide, après Soleil vert (1973) et après Blade Runner (1982) surtout. Mais le spectre de la catastrophe écologique, qui pèse désormais psychiquement, culturellement et historiquement sur elles, est, sans parler de l’imminence de cette réalité, devenu une véritable antienne. Toutefois, contrairement à ce qu’en font ses homologues hollywoodiens rompus au sensationnel, le sentiment catastrophiste dont joue largement et intensément IFP se teinte ici d’un impénétrable et paisible silence. »
Texte extrait de “Information Fiction Publicité . L’épreuve du jour”, initialement publié dans le supplément online de Kaléidoscope Magazine, Février 2011 Après la résidence d’IFP en 1992 à la Villa Kujoyama (Kyoto, Japon), Jean-François Brun effectue de nombreux voyages en Asie (Inde, Chine, Japon), durant lesquels il conçoit (jusqu’en 2005) des œuvres permanentes pour des sites publics. Mise en pratique, depuis 1995, comme une critique de la « condition contemporaine », son travail prend forme à partir d’interventions dans différents secteurs : montage de dispositifs poétiques (Action timing, Tokyo, 1999 ; Digital Stage, Fukuoka, 2001 ; L’Ouverture du présent, Paris, 2005) ; organisation de rencontres parlées (Inventer le présent, Toulouse, 2006 ; La Sécurité totale, Fleurance, 2008 ; Auteurs de vues, Lectoure, 2012) ; aménagement de plates-formes écosophiques (La terre est la commune, 2000 ; Le Jardin des frondaisons, 2011 ; Maîtres-jardiniers, 2012). Depuis 1994, Dominique Pasqualini a conçu plusieurs expositions dont « Collision avec hybrides instrumentés » (1996), « Les trois îles » (1997) et « Les yeux rouges » (1997). Il développe un travail filmique, vidéographique et réalise notamment des digital versatile display. Il crée en 2002 l’École Média Art Fructidor, dont il assure la direction. En 2003, il est à l’origine de la plate-forme de production Motion Method Memory et fonde en 2008 la collection MMM aux Presses du réel.
Il conçoit et réalise des manifestations : Ça ou rien (No commedia) (Théâtre des Amandiers, Festival d’automne, 2004), Davidantin [with guitar] (Chapelle des Récollets, 2006), Peindre une toile tendue sur [mouvement] (INHA, 2008). Auteur, designer et éditeur, il réalise des livres, tels Dummy Airbag Test (1995) ou Le Temps du thé (1999).