Dans le cadre de la rétrospective consacrée à Lucinda Childs cet automne à Pantin par la Galerie Thaddaeus Ropac, le Centre national de la danse et le Festival d’Automne, l’exposition Lucinda Childs / Sol LeWitt met en lumière le développement parallèle des méthodes graphiques des deux artistes dans les années 1970. Leur affinité artistique, qui se nourrit d’une réflexion commune sur le dessin, la sérialité et le mouvement, aboutit en 1979 à leur collaboration pour la pièce Dance.
Cette pièce est un tournant dans le parcours de la chorégraphe qui abandonne les espaces alternatifs où elle présente depuis deux décennies ses pièces. En collaboration avec Sol LeWitt et le compositeur Philip Glass, elle développe un spectacle qui explore les spécificités du dispositif théâtral. Sol LeWitt réalise à cet effet une installation filmique unique dans son œuvre. Un écran transparent couvrant l’intégralité de la cage de scène superpose à la danse live un film 35mm réalisé quelques mois auparavant. Reprenant la danse dans un montage complexe, ce film multiplie les points de vue sur la chorégraphie exécutée simultanément par les interprètes. Cette exposition présentera l’une des partitions chorégraphiques originales de Dance #4 (1979), exceptionnellement prêtée par le Whitney Museum de New York.
Les archives de la chorégraphe, exposées pour la première fois, retracent à travers plus d’une centaine de documents graphiques l’élaboration de son vocbulaire formel dominé par l'arc de cercle, la droite et la diagonale. Ces documents font écho au Wall-Drawing #357 (1981) de Sol LeWitt qui développe sur les murs de la galerie le motif de l’arc de cercle.
Suivant une procédure inventée en 1973, Lucinda Childs réalise pour les cinq danses qui composent initialement Dance, un diagramme à partir duquel elle génère la partition chorégraphique. Alors que, dans les années 1960, la chorégraphe dessine des croquis de parcours des interprètes, elle se tourne dans la décennie suivante vers la composition de mouvements quotidiens, qu’elle agence de manière sérielle et répétitive. La marche et les changements de directions deviennent ainsi les matériaux essentiels de ses danses et le croquis de parcours se confond dés lors avec la partition de la pièce.
Lors de leurs premières rencontres pour la création de Dance, Sol LeWitt et Lucinda Childs échangent, vraisemblablement par fax, les diagrammes des danses auxquels l’artiste associe une couleur primaire. La place centrale dévolue au diagramme dans l’élaboration des danses tient à la méthodologie que Lucinda Childs adopte à partir de 1973. La chorégraphe n’essaie plus d’élaborer a priori le parcours de l’interprète mais une machine graphique, le gabarit, génère des tracés et c’est seulement dans un second temps, durant les répétitions, que le parcours des danseurs est individualisé. On trouve donc au cœur de la fabrique chorégraphique la même méthodologie que Sol LeWitt développe dans son œuvre sérielle des années 1970 et 1980. Dans ses dessins muraux comme dans les chorégraphies de Lucinda Childs, la série permet de pousser jusqu’à l’infini la logique graphique de chaque motif.
Les documents réunis dans cette exposition donnent également à voir une partie importante de la correspondance entre Sol LeWitt et la chorégraphe. On peut y suivre les diagrammes dessinés et estampillés par l’artiste depuis Murano, Rome ou Pékin qui répondent aux diagrammes des danses de la chorégraphe. Au verso d’une de ces cartes postales se déploient des images vacillantes, celles d’une planche photographique intitulée A man performing headspring, a flying pigeon interfering. Extraite de l’étude réalisée par Eadward Muybridge sur la locomotion animale, ces photos détaillent les différentes étapes d’un saut périlleux. Photographiée de face, le mouvement semble incohérent tandis que de profil il révèle cette logique sérielle propre au mouvement quotidien. La sérialité se construit donc tout autant par des procédés graphiques que par la saisie des mouvements quotidiens qui animent la locomotion humaine et Edward Muybridge est à cet égard une référence partagée par les deux artistes.
L’exécution du Wall Drawing #357: A 12" (30 cm) grid covering the wall, créé par Sol LeWitt en novembre 1981 à New York, sera assurée par un dessinateur de la Fondation Sol LeWitt qui travaillera pendant plus de trois semaines sur la réalisation au crayon blanc du dessin sur un mur peint en noir de près de 25 mètres de long. Le dernier jour de dessin coïncidera avec le vernissage de l’exposition le samedi 24 septembre prochain.