Et si l’on se courbait de plus près sur l’Origine du Monde, qu’allons-nous y voir? Œuvre des plus voyeuristes jamais exécutée où, justement, Courbet s’était attiré les foudres du monde entier en dépeignant, avec audace et grâce, sa singulière vision de l’universalité. Ayant Suscité à la fois l’engouement arbitral et quelque indignement moral, entre des émus et des grimaces, la toile a longtemps mû des masses et surtout n’a cessé de s’interloquer sur les limites et pouvoir de la censure.
Ire honnie, en 2011, Facebook, magnat du voyeurisme, crée la polémique en bloquant l’accès de son site aux utilisateurs de l’icône, rouvrant de ce fait le débat sur ce qui est autorisé à voir et envers ce/ceux dont vient l’autorité d’avoir(s).
Par ailleurs, le ‘voyeur’ a su évoluer au fil du temps, d’un rôle qui ne se définit vraiment, tantôt vicieux ou espion, tantôt curieux ou pygmalion, toujours flirtant avec d’improbables et ambigües connotations, il jouit indéniablement d’un rang dans la société, la culture et aussi politiquement. George Orwell nous faisait déjà prendre garde de l’effet du regard sur la pensée et l’expression, dans ‘1984’, il y avait un monde de fiction qui réduisit l’individu à néant, l’isolant de toute réflexion et où raisonnait la formule phare «Big Brother is watching you» à saturation. Dire que cela remonte à bien plus de trente ans… aujourd’hui nous nous plaignons de la référence, bien qu’elle soit, entre autre, reprise dans l’univers de la téléréalité dans lequel nous baignons.
Autre temps, autres mœurs
Plus récemment, c’est la réalité qui surpassait l’affliction lorsque, surfant sur la vague de l’oppression, des nations telles que la Chine ou la Turquie ont ébranlé l’opinion diverse en imposant des formalités de restrictions et de contrôle d’Internet et son utilisation. Des réformes qui sèment branle-bas, controverse et paranoïa sur le pouvoir de l’Etat face aux droits du peuple et au respect de l’anonymat.
Toujours dans cette notion, un autre exemple de constante expérimentation est incontestablement les Etats-Unis. Déjà plus tôt cette année, des chercheurs en socio-anthropologie ont découvert un document secret datant du 18ème siècle rédigé par Thomas Jefferson et adressée à John Taylor - qui, alors, n’était pas encore président, dans laquelle il dressait des statistiques accablantes sur le système de surveillance du courrier public alors de rigueur en plein Guerre. Si au fil des conflits l’Histoire Américaine témoigne du sens hautement patriotique, aujourd’hui cette quête est teintée de ‘leak’ et autres conspirations erratiques, bousculant de manière équivoque les modèles de souveraineté politiques.
Et puis grâce aux règles de la globalisation, le petit ‘voyeur’ anonyme lui aussi se voit endosser un rôle autant important que les superpuissants, derrière son prompteur, que ce soit à rédiger le journal intime d’une vie piratée à un confrère, ou à voyager -sans avoir à bouger- aux côtés de ses pairs Edward Snowden et Jack Bauer, ou à envisager une révolution digitale sans peur du censeur … dorénavant le mot de passe est donné pour prendre part au jeu de pouvoirs et l’emprise virtuelle devient évidente à mouvoir.
Seulement voilà, nous vivons dans un monde où la technologie passe de promesse en prouesse; tout va plus vite et plus loin… il n’y même pas le temps de s’arrêter pour le rattraper, que nous sommes happés par la spirale du progrès qui repousse -bon gré mal gré- les lois de la traction pour s’attirer de nos plus insignes intersections et infimes interactions.
Un monde qui défie les notions de la relativité pour nous inviter à en être, à la fois, acteurs captivés et témoins en captivité. Nous sommes pris dans sa toile qu’il tisse… et qui nous rapetisse, sauf qu’en réalité, ce sont les dimensions autour de nous qui se nouent et s’amoindrissent; il ne s’agit pas d’une illusion d’optique mais l’effet de la pointe technologique! Il nous est possible désormais et tout à la fois de mater en toute impunité, scruter au-delà des zones limitées et zieuter partout et à volonté. Cependant, on oublie que ce prisme de la ‘curiosité’ va d’une logique à deux sens, tel que Lacan interpellait l’origine dans la dialectique imaginaire du «se voir être vu», thème de connivence avec la notion réelle de « double regard » que Flaubert aimait souvent évoquer dans ses romances. En d’autre terme, prédateur et proie se mirent d’une même conséquence : nous sommes condamnés vers une civilisation qui ne laisse pas place aux aléas, tout est immédiat si ce n’est scanné jusqu’à être profané!
Autre temps, autre demeure
Mais il n’y a pas de quoi se damner, car si les médias ont fait du présent une prison, l’homme n’y logera pas seul pour longtemps. Une nouvelle ère révolutionnaire va bientôt voir le jour, nommée l’«Internet des objets» le projet suggère que, du scooter à l’aspirateur, tous nos objets fétiches et ordinaires se verront dotés d’une ‘identité’… et il est même question de leur modeler de virtuelles personnalités pour ainsi permettre d’échanger et communiquer en toute civilité! La bonne nouvelle est que ce roleplay pourrait résoudre le débat de la surveillance et sa légitimité.
En attendant que la fiction ne rattrape la réalité, je recommande vivement ce qui est considéré comme le film d’anticipation de l’année, « Ex-Machina », lequel propose une troublante méditation sur l’homme créateur, seul devant la complexité des émotions lorsque la machine y fait intrusion.