Dans notre société, tout va vite, rien ne dure. L’obsolescence a envahi nos vies. On suit la tendance, celle d’un siècle qui swipe à en perdre le contrôle. Nous n’avons jamais eu autant accès à l’information. Marguerite Duras, l’auteure entre autres de l’Amant a vu juste, en affirmant, " je crois que l’homme sera littéralement noyé dans l’information. Dans une information constante sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur ses loisirs. Ce n’est pas loin du cauchemar". Elle avait déjà tout dit mais ne se doutait pas encore que ce qu’elle prédisait, proviendrait de tous ces objets qui nous connectent à une virtualité envahissante.
Nous sommes entourés, encerclés même par des objets connectés qui nous sont devenus quasiment indispensables. À nos poignets des montres qui suivent notre sommeil, nous donnent des indications GPS, nous renseignent sur notre pouls et notre rythme cardiaque. On a la possibilité de contrôler à distance nos intérieurs. Nos téléphones se sont transformés en processeurs hyperpuissants, des ordinateurs miniaturisés qui nous offrent toutes les fonctionnalités possibles et inimaginables. Nous sommes devenus accrocs à tous les gadgets qui nous nous ouvrent un accès rapide au savoir, à l’information et à la distraction. Preuve en est, les images des foules qui accompagnent chaque sortie d’un nouvel objet connecté, des scènes hallucinantes et surréalistes de ruées et de bousculades. On sent les acheteurs fébriles, heureux de leur acquisition, comme si être le premier à obtenir l’objet de toutes les convoitises les rendait différents, uniques. René Descartes, le philosophe français annonçait, « je pense, donc je suis ». Notre époque semble lui donner tort. Elle adhère à un nouvel adage, celui du discours bien rôdé des publicitaires, « je possède, donc je suis ». Pourquoi ce phénomène ? Alain Souchon dans foule sentimentale nous l’explique, « le rose qu'on nous propose/D'avoir les quantités de choses/Qui donnent envie d'autre chose ».
On nous promet toujours plus de pixels, encore plus de fluidité dans la navigation et des outils en veux-tu en voilà. On en oublie que nos appareils dits intelligents ont été confectionnés avec des métaux rares, et que l’extraction de ces métaux contamine fortement l’eau et les sols des zones où ils sont prélevés. Dans Le bug humain (Robert Laffont), Sébastien Bohler met en exergue l’avidité de notre cerveau qui raffole des montées de dopamines obtenues sans effort. Et l’on en revient au contrôle de Peter Blos, psychanalyste, héritier de Freud, qui a défini la maturité comme une aptitude à exercer un contrôle sur soi.
Épicure (341-270 av. J.C.) bien avant lui, énonçait, « parmi les désirs, les uns sont naturels et nécessaires, les autres naturels et non nécessaires, et les autres ni naturels ni nécessaires, mais l’effet d’opinions creuses ». Dans ces quelques mots, il ne nie pas au désir sa place prépondérante dans l’accomplissement de l’homme. Mais, il nous met en garde, depuis son antiquité, contre nos dérives actuelles. Le philosophe ne s’y trompe pas. Il est dangereux d’acquérir sans mesure. À s’arroger le droit de tout dérégler pour son bon plaisir, l’homme a fini par endommager jusqu’à son habitat sans mesurer les conséquences de ses actes. Comment en sommes-nous à arrivés à dérégler le cycle de la vie ? Et pourquoi le futile est-il devenu nécessaire ? On accuse le marketing qui nous aurait tenté et tout mis en œuvre pour que nous cédions à ses sirènes à renfort de belles images. Le marketing a ses torts mais il est allé puiser ses techniques dans la psychologie de l’homme et ses faiblesses, la comparaison sociale en étant une.
Alors prenons une grande inspiration, décidons d’éteindre un moment tous ces objets qui nous relient à la performance. Négligeons nos applications, nous éviterons ainsi les frustrations de toutes sortes. Allons chercher l’émerveillement dans un rayon du soleil, une fleur, un arbre, le sourire d’un enfant. Et continuons à fredonner, Foule sentimentale d’Alain Souchon, « on nous prend faut pas déconner dès qu'on est né, pour des cons alors qu'on est , des foules sentimentales avec soif d'idéal. Attirées par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales ».