Comment un lieu peut il préserver le temps ? Que recueillent et stockent les matériaux au fil des années ? Marie Matusz s’interroge sur ces questions dans Reservoir 17 ja nv.– 27 avril 2025 le cadre de sa plus grande exposition personnelle en institution à ce jour, présentée à la Kunsthalle Basel. L’artiste, née en 1994 et résidant à Bâle, a conçu une installation spécifiquement pour les salles historiques du musée. Agissant comme un Reservoir (réservoir), elle absorbe, conserve et, simultanément, modifie ce qu’elle contient.

En se servant de matières industrielles tels que l’acier, le zinc ou l’acrylique, Matusz transforme les salles d’exposition en une caisse de résonance. Son installation se décline dans des tons invariablement sombres, qui évoquent la terre ou l’huile. Sur les parois des sculptures et des œuvres murales, où convergent ma tières naturelles et artificielles, un jeu subtil de reflets prend forme : des surfaces réfléchissantes capturent des fragments de l’espace environnant, révélant autant ce qui est visible que ce qui semble dissimulé.

Une installation sonore, spécialement conçue pour le lieu, accentue cette idée de collecte et de restitution. Des basses profondes traversent les salles, faisant vibrer l’architecture. Les murs absorbent ces vibrations avant de les relâcher, tandis que le sol métallique conserve les empreintes des mouvements des visi teurs. Parmi ses nouvelles créations et ses œuvres revisitées, Matusz intègre des pièces historiques issues de la collection de la Société des beauxarts de Bâle. Ce dialogue entre passé et présent inscrit son travail dans l’histoire de l’institution et invite le spectateur à repenser le temps : non pas comme une ligne continue, mais comme un réservoir cyclique – où passé et futur se mêlent au présent.

Un réservoir est bien plus qu’un espace de rétention : c’est un lieu d’accumulation et de transformation. Il absorbe ce qu’il reçoit, le remodèle, et le relâche sous une forme altérée. Cette tension entre conservation et changement constitue le cœur de l’installation de Marie Matusz. Le Reservoir qu’elle propose ici dépasse la notion d’une structure tangible : c’est un réceptacle métaphorique, où s’entrelacent histoire, mémoire et signification. Façonnée par ce qui l’entoure, l’œuvre de Matusz absorbe les textures, les échos, les his toires portées par l’architecture, et les transforme en quelque chose de complètement nouveau.

Cette exposition marque une transition subtile mais significative depuis son installation précédente, Canons and continents, une série de trente sculptures accrochées l’automne dernier sur le mur arrière de la Kunsthalle Basel, visibles jusqu’en août.

Un espace entre le temps

Dès l’entrée dans l’exposition, la temporalité semble se dissoudre. Les salles, baignées d’une lumière diffuse et atemporelle, brouillent les repères chro nologiques. Le sol en zinc gris capte et reflète la lumière ambiante, jouant avec les nuances du plafond pour créer l’impression de se mouvoir à l’intérieur d’un espace clos, presque irréel.

Trois grandes armatures en bois dominent la pièce, abritant chacune deux peintures au sein de leurs cadres sombres. Ces structures explorent l’intérêt durable de Matusz pour les vitrines, mais elles trans cendent ici leur fonction muséale habituelle. À mi chemin entre stockage et présentation, ces dispositifs protègent, encadrent et contiennent simultanément. Elles évoquent à la fois des bibliothèques, des pla cards et des baies vitrées, jouant sur les frontières entre intimité et exposition.

La série Towards vanishing (2025) s’appuie sur des matériaux aux strates superposées – panneaux d’acrylique transparent et miroirs – dont les surfaces réfléchissantes fragmentent et recomposent l’envi ronnement. Ces châssis, véritables cadres de tableaux, deviennent des espaces de projection mentale.

L’organisation spatiale de l’exposition suggère un jeu entre confinement et ouverture : des lieux intimes surgissent au sein de cabines, tandis que les zones plus vastes favorisent l’interaction. Ces transitions f luides, comme un parloir situé à la croisée du privé et du public, invitent le visiteur à réévaluer sa propre présence dans l’espace. En intégrant des œuvres issues des collections de la Société des beauxarts de Bâle (Basler Kunstverein), Matusz tisse un dialogue entre l’héritage institutionnel et sa démarche contem poraine. Ces rapprochements illustrent le rôle des sociétés artistiques en tant que plateformes où mémoire et innovation s’entrelacent.

Révéler les différentes strates de l’histoire

Dans la seconde salle, l’œuvre Still-life, still (2023) présente quatre segments de tuyaux en fonte, sem blables à des reliques archéologiques ou des frag ments squelettiques. Ces archives matérielles, mar quées par leur passé industriel, sont minutieusement sectionnées pour révéler leur structure interne et les traces qu’elles portent de l’histoire urbaine.

L’intérêt de Matusz pour les vestiges industriels trouve un prolongement dans la composition murale Two visions of unity (and even in unity, two lovers oppose one, be it against the world or the world against them) (2025), une œuvre nouvelle élaborée à partir d’une pièce préexistante. Ces créations dialoguent avec l’installation réalisée pour le mur arrière de la Kunsthalle, où des tubes métalliques étaient exposés dans des vitrines. L’installation actuelle agit comme le négatif photographique de cette œuvre extérieure, mettant en lumière la perméabilité entre les espaces institutionnels et leur environnement urbain.

La dernière salle, telle une membrane architecturale, abrite Fellow prisoners (2025), une photographie représentant une statue d’une figure en pleine lecture, se superposant à une scène urbaine contemporaine en arrièreplan. Ce palimpseste visuel questionne les récits historiques officiels tout en célébrant l’idée d’une réécriture constante, où passé et présent coexistent harmonieusement.

Le son comme mémoire

L’installation sonore Reservoir (2025), déployée dans tout l’espace, offre une expérience immersive et corporelle. Telle une chambre d’échos, elle assemble et transforme des éléments sonores issus de diffé rentes époques – bruits mécaniques, conversations inversées, et enregistrements d’installations anté rieures. Ces sons s’entrelacent progressivement, créant des transitions fluides et insaisissables.

Les basses résonnent avec le sol métallique, capturant les mouvements des visiteurs pour en faire des empreintes visibles. Ce sol devient alors une archive vivante, constamment renouvelée par l’interaction humaine. En combinant le son, la matière et le mouvement, Marie Matusz propose une relecture de l’histoire comme une accumulation d’expériences stratifiées, loin d’une vision linéaire.