La révolution hollandaise

Au début des années 1970, le football a connu une révolution silencieuse, portée par une équipe néerlandaise qui allait changer à jamais la manière dont le sport était joué et perçu : l'Ajax d'Amsterdam.
Sous la direction du tacticien visionnaire Rinus Michels, et avec des génies du jeu comme Johan Cruyff à la barre, l'Ajax a introduit au monde un style nouveau, baptisé « football total ».

Ce système novateur transcende les positions traditionnelles et prône une fluidité où chaque joueur devient à la fois défenseur, milieu et attaquant. L'équipe néerlandaise, avec l'Ajax en chef de file, redéfinit les limites du possible, en imposant un football basé sur la maîtrise technique, la mobilité et une intelligence collective sans précédent.

Mais au-delà des trophées, l'Ajax et les Pays-Bas ont laissé un héritage bien plus profond : ils ont montré que le football pouvait être une forme d'art, où la beauté et l'efficacité pouvaient coexister harmonieusement. Leurs triomphes sur la scène européenne ne faisaient que refléter une philosophie plus large, celle d'un football où l'attaque, le mouvement et l'esthétique dominaient. C'est ainsi que cette équipe et cette nation sont devenues non seulement des vainqueurs, mais des symboles d'innovation et de créativité, ouvrant une nouvelle ère dans l'histoire du football mondial.

Un triplé légendaire

Les années 1970 pour l'Ajax sont comme un rêve gravé dans la mémoire du football, une époque où le beau jeu semblait flotter sur le terrain, orchestré par des maîtres qui sculptaient chaque passe, chaque mouvement, comme une œuvre d'art. Les matchs légendaires de l'Ajax de cette décennie ne sont pas simplement des événements sportifs, mais des chapitres d'une épopée où le football total était une symphonie collective, jouée avec grâce, intelligence et audace.

On pense immédiatement à cette finale de Coupe d'Europe de 1971 contre le Panathinaïkos. Une soirée où l'Ajax, encore émergente sur la scène européenne, s'est affirmée en tant que force dominante. Le score de 2-0 peut sembler anodin, mais sur ce terrain de Wembley, on assistait à la naissance d'une nouvelle ère, où les règles du jeu étaient redéfinies par Johan Cruyff, le génie ailé, et Rinus Michels, l'architecte invisible. Ce n’était pas une victoire, c’était un manifeste.

Et puis il y a cette finale de 1972 contre l'Inter Milan. Les yeux des tifosi italiens étaient habitués au catenaccio, à ce football prudent et refermé, mais l'Ajax a dansé autour de cette forteresse défensive. Cruyff, comme un papillon insaisissable, a marqué deux buts qui semblaient plus légers que l'air, portant son équipe vers un second triomphe. Ce soir-là, sous le ciel de Rotterdam, le football n’était plus une question de victoire ou de défaite, mais une question de beauté.

Enfin, la finale de 1973 contre la Juventus. C'était la fin d'une trilogie européenne parfaite, un match empreint d’une douceur presque mélancolique, comme si l'Ajax savait déjà qu'il touchait à la fin de son âge d'or. Ils ont gagné 1-0, grâce à un but de Johnny Rep, mais au-delà du résultat, c’était un adieu. Une étreinte finale au sommet, avant que les étoiles ne commencent doucement à se disperser, Cruyff quittant bientôt les siens pour Barcelone, emportant avec lui le dernier éclat de ce cycle doré.

Les matchs de l'Ajax dans les années 1970 ne sont pas simplement des souvenirs pour ceux qui les ont vécus, mais des poèmes inscrits dans la mémoire du sport. Chaque passe, chaque but semblait répondre à un destin plus grand, à une quête de perfection, à cette idée que le football pouvait être bien plus qu'un jeu. Il pouvait être art, émotion et, pour un instant suspendu dans le temps, un rêve éveillé.

Vainqueurs dans nos cœurs, mais éternels perdants ?

L’histoire du football néerlandais, marquée par des générations de talents prodigieux et une identité de jeu flamboyante, semble hantée par une étrange malédiction : celle de l’éternel second. Malgré leur statut de pionniers du « football total » et leur influence indéniable sur le jeu moderne, les Pays-Bas n’ont jamais réussi à décrocher la victoire finale dans les tournois majeurs, échouant de manière dramatique à plusieurs occasions.

Alors,
Pourquoi cette nation, pourtant si brillante, est-elle souvent perçue comme « l’éternel perdant » ? S’agit-il de malchance ou ont-ils simplement rencontré plus fort qu'eux aux moments décisifs ? La malchance semble rôder autour des grandes campagnes néerlandaises.

La Coupe du monde de 1974 en est l'exemple le plus frappant. Emmenés par Johan Cruyff, les Pays-Bas, qui dominaient leurs adversaires avec un jeu révolutionnaire, semblaient invincibles. Lors de la finale contre l'Allemagne de l’Ouest, ils prennent rapidement l'avantage, mais après avoir mené 1-0 dès les premières minutes, ils subissent un retournement inattendu et s'inclinent 2-1. Une défaite qui a marqué les esprits, non seulement pour le résultat, mais aussi parce que le sentiment de supériorité technique et tactique des Néerlandais ne s'est jamais transformé en titre.

La même tragédie s'est répétée en 1978, où, malgré l’absence de Cruyff, la sélection hollandaise atteint de nouveau la finale de la Coupe du monde, cette fois en Argentine. Là encore, après avoir été tout près de soulever le trophée (frappant même le poteau en toute fin de match), ils sont battus par une Argentine transcendée dans les prolongations. Deux finales perdues de suite, et avec elles, un sentiment cruel d'injustice.

Cependant, il ne s’agit pas seulement de malchance. À plusieurs reprises, les Pays-Bas ont rencontré des équipes aussi fortes, sinon plus fortes, qu’eux au moment crucial. En 2010, lorsqu'ils atteignent une nouvelle finale de Coupe du monde, cette fois contre l'Espagne, ils tombent face à une équipe espagnole en plein âge d'or, qui jouait un football de possession presque implacable. Les Néerlandais, qui avaient abandonné une partie de leur identité pour adopter un style plus physique, n'ont pas pu briser l’hégémonie espagnole, s’inclinant 1-0 en prolongations.

Ce qui rend cette série d’échecs encore plus amère, c’est que les Pays-Bas n’ont jamais manqué de talent : de Johan Cruyff à Marco van Basten, en passant par Dennis Bergkamp, Ruud Gullit et Arjen Robben, ils ont produit certaines des plus grandes légendes du football. Pourtant, malgré leur jeu séduisant et leur réputation de grands esthètes du ballon rond, ils n'ont pas réussi à transformer ces talents en triomphes mondiaux.

Peut-être que le football néerlandais, dans sa quête de perfection esthétique, s'est parfois heurté à des équipes plus pragmatiques et plus opportunistes. Mais au-delà de la malchance ou de la puissance des adversaires, il y a dans ces échecs une dimension presque tragique, comme si le football néerlandais portait en lui une poésie où la beauté du jeu se confond avec une incapacité à saisir le moment ultime.

Ainsi, la Hollande est-elle éternelle perdante ? Pas vraiment. Leur influence sur le football est incalculable, et leur place dans l’histoire est assurée. Mais il leur manque ce trophée ultime qui aurait gravé leur nom au sommet. Peut-être qu’un jour, le vent tournera, et cette nation verra enfin son talent, sa créativité et sa beauté couronnés par la gloire qu’elle mérite.

Cet article est un hommage vibrant aux légendes qui, ces dernières années, nous ont quittés, emportant avec elles une part irremplaçable de l’histoire du football. Ces hommes qui, par leur talent, leur flair et leur passion, ont fait naître des moments d’immortalité sur les terrains. Leurs noms résonnent encore dans la mémoire collective, comme des échos d’une époque où le football était un art brut, façonné par des génies aujourd’hui disparus, mais dont l’aura perdure dans les souvenirs.