Élu 68e Ballon d’Or au Théâtre du Châtelet le 28 octobre dernier, l’international espagnol et métronome de Manchester City est devenu, à vingt-sept ans, le premier joueur de la péninsule depuis 1960 à remporter la plus grande distinction individuelle du football. Ce sacre récompense un joueur de l’ombre, le meilleur à son poste depuis de nombreuses années.
Qui l’eût cru ? À la surprise générale et alors que l’on attendait plutôt le Brésilien Vinicius en star de la soirée parisienne, c’est un tout autre scénario qui s’est écrit au cours d’une journée de fin octobre des plus originales.
Au surlendemain d’un clásico au cours duquel il n’aura pas brillé (et c’est un euphémisme), l’ailier madrilène a, dans l’après-midi de la date fatidique, purement et simplement décidé de ne pas se rendre avec son entourage et toute la délégation dans la capitale hexagonale, comprenant qu’il ne serait pas l’élu. Le président Florentino Perez s’est même fendu d’une sortie lunaire dans la presse locale, exprimant une frustration certaine de ne pas voir un nouveau Ballon d’Or venir garnir son armoire à trophées.
Pourtant, la fin de saison annonçait clairement la couleur pour l’attaquant auriverde : vainqueur de la 15e Ligue des Champions du club en étant buteur à trois reprises lors de la phase à élimination directe dont en finale face au Borussia Dortmund en plus du titre de champion d’Espagne, on se disait que le débat était clos. Or, c’était un peu vite oublier l’importance des compétitions internationales estivales. La Copa América pour « Vini » et l’Euro pour « Rodri ». Briller en club ne suffit pas pour prétendre à la récompense suprême.
On rappelle les trois principaux critères de l’élection du Saint-Graal1 :
Performances individuelles, caractère décisif et impressionnant.
L’aspect collectif et les trophées remportés.
La classe et fair-play.
Ne pouvant pas comparer deux joueurs de profils différents, le sacre allait donc se disputer en grande partie sur les deux derniers points. L’aspect collectif et les trophées remportés ?
Rodri est la plaque tournante de Manchester City avec pas moins de quinze réalisations, douze passes décisives sur l’année civile et indiscutablement le meilleur à son poste. Champion d’Angleterre, vainqueur de l’Euro allemand en étant désigné meilleur joueur, pendant que Vinicius Jr, titré donc en Liga et en C1, s'est vu sortir par l’Argentine dès les quarts de la Copa. Sur ce critère, avantage à l’espagnol.
La classe et le fair-play ?
Pour cet aspect, le sujet ne va pas être source de débat. Le Brésilien jouant plus avec la corde de la provocation et de la condescendance, se plaignant à outrance des comportements à tendance racistes des supporters adverses, pendant que l’espagnol use d’une mentalité exemplaire à Manchester où, en près de dix ans de bons et loyaux services, aucun arbitre ou joueur adverse n’a eu à lui reprocher quoique ce soit. Sur une élection aussi importante, ce critère est rédhibitoire pour Vinicius.
L’éloge du jeu au lieu du je
Adoubé par Guardiola à son arrivée outre-Manche en 2016, Rodri est parvenu à devenir la pierre angulaire de son effectif, lui qui était déjà un élément important de l’Atlético Madrid sous Diego Simeone. Le technicien catalan a trouvé en lui le successeur de Sergio Busquets, avec le côté box-to-box2 en plus, profil indispensable en Premier League. Le jeu simple, si difficile à façonner et à construire, comme le précisait le regretté Johan Cruyff, l’art de casser les lignes, de sortir le cuir sous pression et d'être toujours serein à la relance.
Au cœur d’un football business sous le diktat des chiffres, soulever l’or permet également de faire souffler un vent nouveau sur le football, qui n’est pas sans rappeler celui obtenu par Luka Modric, architecte du Real Madrid, il y a sept ans, au nez et à la barbe de son coéquipier Cristiano Ronaldo et du français Antoine Griezmann.
Le phare de Manchester City
Orphelin de son milieu jusqu’en fin de saison, Pep Guardiola va devoir trouver les solutions pour pallier son absence. Cette distinction met en lumière son importance au sein du onze. Il devient également le premier joueur de l’histoire des Citizens à décrocher la timbale.
Notes
1 Source : L'Equipe.
2 Box-to-box: terme issu de l’anglais signifiant « de zone en zone ». Joueur complet, capable d’évoluer aussi bien comme milieu défensif qu’offensif avec une grande qualité technique, lecture du jeu et endurance.