Nos ancêtres disaient : « les yeux sont les portes de l’âme » ! Mais en réalité, il s’agit d’une notion qui nous vient de cultures et d’époques beaucoup plus anciennes. Si nos yeux révèlent bien souvent nos émotions et nos pensées profondes, devons-nous ou pouvons-nous les résumer uniquement à cela ? Cette expression somme toute poétique met en relief l’importance de ces portes, de ces fenêtres, par lesquelles nous captons (notre) la réalité. Mais notre âme, cette conscience silencieuse, ne pourrait-elle pas s’extirper de nos yeux telle une porte fermée que l’on ouvrirait ? Tels les verres sales de nos lunettes que l’on nettoierait pour mieux percevoir la totalité du monde ? Au-delà d’une métaphore qui flatte nos egos, il est néanmoins pertinent d’examiner cette idée sous différents angles.

D’un point de vue purement biologique, les yeux sont des organes complexes dédiés à la vue. Ils captent la lumière et la transforment en signaux électriques traités par le cerveau pour former des images. Mais ce processus visuel est aussi intimement lié aux émotions humaines. Les pupilles, par exemple, réagissent à des émotions intenses comme la peur, l'excitation, ou l'amour en se dilatant ou en se contractant. Bien que cette interaction entre émotions et vision soit intéressante, la biologie se limite à expliquer les mécanismes physiques de la vision et ne traite pas de l'idée de l'âme. Néanmoins, le fait que nos émotions influencent directement l'apparence et la fonction de nos yeux ajoute une dimension psychophysiologique à cette idée de « portes de l’âme ».

Sous un autre prisme, la médecine traditionnelle chinoise (MTC), avance que les yeux sont intimement liés à l’énergie du foie, un organe qui joue un rôle crucial dans la régulation du Qi (énergie vitale). Selon la MTC, le foie nourrit les yeux en régulant le flux sanguin et énergétique. Un déséquilibre du foie, souvent causé par des émotions comme la colère, peut entraîner des troubles oculaires. En ce sens, les yeux sont non seulement des organes de vision, mais aussi des indicateurs de l'état énergétique et émotionnel de la personne. Une personne ayant un foie affaibli pourrait, par exemple, souffrir de fatigue oculaire, d’une vision trouble, ou encore d'irritation des yeux. La médecine chinoise met donc en évidence la connexion entre santé émotionnelle, énergie corporelle et qualité de la vision.

Et cette idée est courante dans les traditions mystiques et religieuses. Car l'âme est vue comme le siège des émotions et de la conscience. Ainsi, les yeux deviennent une interface entre l'intérieur (l'âme) et l'extérieur (le monde). Un regard ne permet-il pas de révéler les états de calme, de sagesse, ou au contraire de trouble intérieur ? Mais s’agit-il véritablement de cette même conscience mystique ?

Après ce qui se perçoit de l’extérieur, faisons une « focale » sur l’intérieur. Dans la philosophie bouddhiste, la manière dont une personne perçoit le monde est influencée par ses pensées, ses émotions et son état d’esprit. Le bouddhisme enseigne que nos perceptions sont altérées par les kleshas, c'est-à-dire les émotions perturbatrices comme la colère, la jalousie, l'attachement ou l'ignorance. Ces véritables « poisons mentaux » brouillent non seulement notre esprit, mais aussi notre perception de la réalité. Selon cette approche, nos yeux ne voient pas seulement des images physiques ; ils sont également affectés par notre état d’être intérieur. Une personne remplie de colère ou de peur pourrait percevoir le monde de manière plus négative ou déformée. À l’inverse, une personne emplie de compassion, verra le mode comme une opportunité de laissé un amour inconditionnel s’exprimer. Ainsi, la vue ne se limite pas à la vision physique, mais englobe aussi la « vision mentale » : la manière dont nous interprétons le monde à travers nos pensées et nos émotions.

L'importance des yeux dans la tradition bouddhiste est par ailleurs reliée à la vacuité et au non-égo. Dans la tradition bouddhiste, les yeux jouent un rôle symbolique important dans la compréhension de la vacuité et de la nature de la réalité. La vacuité, concept central, enseigne que toutes les choses, y compris le "moi" ou l'ego, sont dénuées d’existence propre. Les yeux, en tant qu’organes de perception, sont souvent utilisés pour illustrer cette idée. Ce que nous voyons n’est qu’une projection de notre esprit « ordinaire », influencée par nos pensées et émotions et ne possède pas de nature fixe ou permanente.

L’expérience visuelle, dans ce contexte, est un exemple de l'illusion de la permanence. Le bouddhisme enseigne que ce que nous percevons à travers nos yeux n'est pas la réalité ultime, mais un reflet subjectif, modifié par les kleshas (les émotions perturbatrices). Cette perception déformée renforce donc l’idée que l’ego, ou le soi individuel, composent la réalité d’un monde illusoire.

Résumons : D’un côté, nous avons un organe qui perçoit le monde extérieur. De l’autre, nous avons un récepteur (nous), qui, grâce ou à cause de notre karma et de nos expériences, mais aussi de nos émotions, altère cette perception. Mais alors où se trouve l’âme ? Où est cet esprit d’éveil ou encore cette conscience pure ?

Elle a toujours été là ! Mais le codage sociétal, tout le package familial et notre karma l’ont relégué au rang de conscience secondaire, voire en dormeur profond !

Dans certaines branches du bouddhisme, l'idée du « troisième œil » représente une vision spirituelle au-delà de la perception physique. Ce troisième œil est vu comme un symbole de la sagesse et de l'éveil spirituel, permettant de percevoir la réalité ultime au-delà des illusions du monde matériel et de l'égo. Il est associé à une conscience plus profonde qui mène à la compréhension de la vacuité et à la libération des attachements terrestres. Le troisième œil symbolise ainsi la capacité à « voir » au-delà des apparences, vers la vérité de l’interconnexion et de la vacuité universelle.

Cette présentation du troisième œil met en évidence la nécessité de purifier nos perturbations mentales et notre karma pour que notre véritable présence, notre âme, puisse être débarrassée de nos pensées, nos émotions et nos mauvaises habitudes. Tels des verres de lunettes sales que l’on nettoierait, une vue plus claire, plus directe pourrait alors apparaitre. Pour cela, le bouddhisme propose des pratiques méditatives pour apaiser ces émotions et purifier l’esprit. En cultivant des états mentaux de clarté, de bienveillance, et de non-attachement, on peut littéralement « voir » le monde avec des nouveaux yeux, c’est-à-dire avec plus de clarté, de lucidité et de compassion. La méditation et la pleine conscience aident à calmer les fluctuations émotionnelles qui obscurcissent la perception et permettent ainsi de restaurer une vision claire, tant sur le plan psychique que spirituel.

La métaphore présentant les yeux comme étant les « portes de l'âme » s'avère, en fait, riche et multidimensionnelle, reliant différents aspects de l’être humain : biologiques, émotionnels, énergétiques et spirituels. D’une manière superficielle, la façon dont nous voyons le monde, au sens littéral et figuré, est en fin de compte un reflet de notre état intérieur, qu’il soit influencé par des facteurs physiques, émotionnels ou spirituels. Notre âme peut, selon plusieurs philosophies, s’exprimer en utilisant cette porte vers l’extérieur que sont nos yeux. Mais on comprend assez facilement, que cette faculté est proportionnelle à notre niveau de présences et de conscience. Et si les yeux peuvent être les portes de l’âme, cette conscience mystique, pure et même angélique, peut également s’exprimer à travers des actions bénéfiques, des paroles bienfaisantes ou réconfortantes. Tout comme les énergies telluriques, cosmiques ou encore l’aura, l’invisible est bien présent. Pour autant que l’on tourne toutes nos capacités de perceptions dans la bonne direction, une nouvelle dimension voit le jour. Cette réalité aujourd’hui encore considérée comme une théorie ésotérique sera, j’en suis sûr et dans un avenir proche, au centre de l’attention d’une approche quantique, où l’infini petit rejoindra l’infiniment grand : l’univers...

Si tout est énergie, alors nous ne pouvons pas être séparés de ce Tout.