Selon l’OMS, 80% des personnes en Afrique se soignent en premier lieu avec la médecine traditionnelle avant d’aller voir un médecin du système de santé occidental.
Les médecines traditionnelles sont donc encore bien vivantes. Cet article ainsi que les précédents que j’ai pu rédiger sur le sujet portent donc davantage sur la question du cadre dans lequel elles s’exercent aujourd’hui et leurs moyens de transmission plutôt que sur l’amplitude de leur usage.
Bien que les médecines traditionnelles s’appuient sur de véritables connaissances scientifiques, elles se sont toujours amalgamées à des théories sur le fonctionnement de l’univers et de l’être humain comme représentation microcosmique de celui-ci.
Ainsi, un savoir autrefois ésotérique, transmis de génération en génération à un petit échantillon d’individus s’est vu devenir progressivement, une pseudo-science dont toute personne pouvait se revendiquer.
Les transformations économiques et structurelles qu’ont subies les sociétés africaines lors de ce dernier siècle furent si importantes qu’il est essentiel de redéfinir la place qu’occupe ses anciennes médecines dans celle-ci et la manière dont la structure même de leur fonctionnement et de leur transmission a été bouleversée entraînant ainsi les nombreuses problématiques actuelles.
Les dérives qui sévissent encore aujourd’hui dans de nombreuses parties du continent ne peuvent que nous inviter à sérieusement soulever ces questions. Les gurus « guérisseurs » modernes soutiennent une véritable industrie médicale parallèle, promettant santé, virilité et guérisons miraculeuses à quiconque pourraient s’offrir leurs services. S’en suivent des complications médicales pour certains, voire même l’apparition de nouveaux problèmes de santé non observés chez les individus avant l’usage de ces remèdes « artisanaux ».
Conscientes de ces problématiques, les organisations gouvernementales et internationales agissent.
Depuis deux décennies, la Journée africaine de la médecine traditionnelle est célébrée le 31 août de chaque année, afin de reconnaître la contribution essentielle de la médecine traditionnelle à la santé et au bien-être de plusieurs générations d’Africains sur le continent.
Depuis son instauration en 2003, on a assisté à la mise en œuvre sur le continent des stratégies régionales de l’OMS pour la promotion et le renforcement du rôle de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé pour les périodes 2001-2010 et 2013-2023, ainsi qu’à la mise en œuvre des plans d’action établis dans le cadre des première et deuxième décennies de la médecine traditionnelle africaine 2001-2010 et 2011-2020 respectivement. Cette même période a également vu fleurir bon nombre d’associations de tradipracticiens à travers l’Afrique subsaharienne.
Les États aussi s’organisent, plus de 40 pays de la Région africaine ont élaboré des politiques nationales sur la médecine traditionnelle en 2022, contre huit pays seulement en 2000. Trente pays ont intégré la médecine traditionnelle dans leurs politiques nationales, soit une amélioration de 100 % par rapport à la situation en 2000. En outre, 39 pays ont établi des cadres réglementaires régissant l’activité des tradipraticiens, contre un seul pays en 2000, ce qui témoigne d’un véritable progrès exponentiel sur ces questions. L’un des signes positifs qui attestent de la collaboration des systèmes de santé traditionnels et conventionnels au profit des patients est le fait que les références de patients entre les deux secteurs sont désormais une pratique courante dans 17 pays.
Le Ghana, qui fait office de modèle sur le continent, a construit des cliniques de médecine traditionnelle dans 55 hôpitaux régionaux à ce jour.
En janvier 2016, le gouvernement ivoirien a adopté un décret qui interdit aux praticiens de la médecine traditionnelle de faire de la publicité et de s’attribuer des titres de la médecine conventionnelle tels que « docteur » ou « professeur ».
Ces deux dispositions font partie du nouveau « code d’éthique et de déontologie des praticiens de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle » prévu par la loi du 20 juillet 2015. Ce code organise l’ensemble des règles que doivent respecter les « tradipraticiens », comme celle de justifier d’un minimum de connaissance et de savoir-faire avant de diagnostiquer ou de soigner qui que ce soit. Il a aussi proscrit l’utilisation de parties du corps ou d’organes humains aux fins de soins thérapeutiques de médecine traditionnelle.
Ceci n’est qu’un exemple des nombreuses mesures prises à l’échelle des nations africaines pour structurer à nouveau l’usage des médecines et sensibiliser les populations.
Ainsi, 25 pays ont intégré la médecine traditionnelle dans leurs programmes de formation en sciences de la santé, tandis que 20 autres ont conçu des programmes de formation destinés aux tradipraticiens et aux étudiants en sciences de la santé, afin de renforcer les ressources humaines en médecine traditionnelle comme dans les soins de santé primaires.
Dix-neuf pays ont aussi mis en place des unités de fabrication locale de médicaments à base de plantes, et dans 14 pays le nombre de médicaments à base de plante enregistrés auprès des autorités nationales de réglementation est passé de 20 médicaments en 2000 à plus de 100 cette année d’après l’OMS.
À l’échelle mondiale, quelque 40 % des produits pharmaceutiques autorisés utilisés aujourd’hui sont issus de substances naturelles, ce qui souligne l’importance vitale des questions de durabilité et d’éco-responsabilité.
Aujourd’hui, avec 34 instituts de recherche consacrés à la recherche-développement en médecine traditionnelle dans 26 pays en Afrique, ce secteur recèle un potentiel économique important, à condition qu’il bénéficie d’une promotion appropriée à l’échelle internationale.
Les médecines traditionnelles constituent donc un véritable enjeu international et il est nécessaire, voire vital, que le continent africain trouve son compte dans cet échiquier économique.