Laissée pour compte, pendant de très longues années, méprisée, traitée de paganisme et de charlatanisme durant l’ère coloniale, la médecine traditionnelle africaine est aujourd’hui de nouveau revalorisée. Ce regain d’intérêt incontestable a été en partie suscité par les échecs de la médecine occidentale, et surtout par le fait que 60 ans après les indépendances, la situation sanitaire de l’Afrique, loin d’être satisfaisante est particulièrement préoccupante.
Il aura donc fallu plus d’un siècle pour que la médecine traditionnelle africaine retrouve sa place.
Il ne saurait exister qu’une seule façon de soigner. Après la crise sanitaire que nous avons vécu ces dernières années, cette affirmation semble résonner de plus en plus comme une vérité dans les esprits.
Nous assistons à une crise de confiance, en la thérapeutique. Les malades et les médecins se retournent vers d’autres médecines moins agressives, plus douces, vers des thérapeutiques naturelles, vers une médecine globale, qui considère l’individu, dans son intégrité.
Les médecines asiatiques, déjà populaires dans le monde entier depuis le XXème siècle, connaissent une véritable renaissance ces dernières années et atteignent ainsi de nouvelles populations. Mais alors que l’Afrique accuse un certain retard, souvent par manque de documentation ou de transmission de l’information, je souhaite profiter de cet article comme d’un bref moyen de transmission des différentes richesses que celle-ci a à nous offrir.
Parler de médecine traditionnelle c’est soulever un sujet complexe. Les arts médicaux doivent, chacun, se comprendre dans leurs contextes singuliers, et non être vus sous le prisme d’une médecine dite « Conventionnelle » ou « Moderne » selon laquelle toutes choses a tendance à être séparée, quantifiée, catégorisée. En Afrique, bien souvent, elle est le fruit d’une vision holistique des éléments de l’univers, conceptualisé d’abord par une croyance endogène selon laquelle chaque élément du corps, physique ou énergétique, est le maillon d’un écosystème influençable dans son ensemble par la manipulation d’un ou plusieurs éléments.
Ainsi, il faut voir la médecine traditionnelle comme l’ensemble des connaissances et pratiques explicables ou non, pour diagnostiquer, prévenir ou éliminer un déséquilibre physique, mental ou social. En effet, l’art médical africain ne peut se concevoir en dehors du contexte, magico-religieux, mystique, où les notions de magie et de sorcellerie sont intimement liées et s’interpénètrent. Il s’appuie ainsi, bien souvent, exclusivement sur l’expérience vécue et le savoir transmis de génération en génération. Pour comprendre cette manière particulière de percevoir la santé chez l’être humain, il faut sonder l’esprit de la communauté dont elle est le fruit, car si les plantes ont bien des vertus curatives connues de tous, il n’en demeure pas moins que nombres d’entre elles sont également utilisées dans des pratiques superstitieuses. Superstitions qui, bien sûr, n’en sont pas pour les usagers de celles-ci car elles font partie intégrante de leurs réalités.
Comme pour beaucoup d’autres domaines de savoirs tels que les artisanats ou encore l’architecture, la médecine est vu comme un moyen de communication avec le monde invisible. Dans le culte de Ryangombe au Rwanda et au Burundi par exemple, comme dans beaucoup d’autres, la santé, tout comme la cohésion sociale, reposent sur une circulation régulée des forces invisibles. Contre ces obstacles, qu’il faut neutraliser pour restaurer la circulation des forces entre les vivants et les morts, les humains et la nature, les Rwandais accomplissaient des rituels notamment l’apaisement des ancêtres et la pratique du kubandwa.
La médecine, dans sa vision endogène, se présente dès lors comme un art curatif mais aussi et surtout préventif. Le rapport de causalité entre un trouble et son origine se situe sur le terrain de la métonymie et pourrait se résumer en une croyance à l’effet papillon.
Un seul élément présentant un déséquilibre peut sur le long terme, engranger des dégâts inimaginables. Le diagnostic d’un trouble peut souvent sembler divinatoire, mais s’appuie sur ces croyances fermes du lien entre le monde tangible et sa contrepartie immatérielle « l’au-delà », pour établir un rituel qui cherchera à résoudre le problème observé.
J’aimerais cependant souligner que la médecine traditionnelle n’est en aucun cas le fruit unique de « superstitions » et que, bien souvent, elle se base sur des savoirs fondamentaux qui ne pourraient être répudiés que difficilement, même aux vues des savoirs médicinaux modernes.
En 1884, le missionnaire médical Robert William Felkin a donné une conférence à la Société obstétricale d'Édimbourg, intitulée "Notes on Labour in Central Africa" (Notes sur l’accouchement en Afrique centrale). Il y disait ceci :
Pour autant que je sache, l'Ouganda est le seul pays d'Afrique centrale où la section abdominale est pratiquée dans l'espoir de sauver la mère et l'enfant. L'opération est pratiquée par des hommes et réussit parfois ; en tout cas, j'ai observé un cas où les deux ont survécu. L'opération a été pratiquée en 1879 à Kahura. La patiente était une jeune femme d'environ vingt ans, en bonne santé. C'était sa première grossesse.
Mr. Felkin a ensuite poursuivi en décrivant en détail, toutes les étapes de l’opération chirurgicale.
Il est intéressant de noter que la césarienne est pratiquée depuis l’Antiquité (ou avant), mais seulement sur des femmes déjà décédées. Il s’agissait donc de la première instance documentée, selon laquelle, l’opération a permis de sauver et la mère et l’enfant. La précision des actions des Bunyoro, chez qui a été observé cette prouesse médicale, soutient l’hypothèse qu’il s’agissait d’une longue tradition médicale et non d’une découverte récente.
La trépanation est également une découverte endogène. Il s’agit d’une intervention chirurgicale qui consiste à percer ou à gratter le crâne humain afin de traiter des problèmes de santé liés à des maladies intracrâniennes ou de libérer du sang accumulé dans la boîte crânienne.
Selon une revue : Traditional Craniotomies of the Kisii Tribe of Kenya, publiée en 1985 par une équipe de chercheurs médicaux des États-Unis et du Kenya qui ont étudié ce qui restait de l'ancienne pratique de la craniotomie traditionnelle de la tribu Kisii du Kenya, l'opération chirurgicale était pratiquée par le peuple Kisii principalement pour deux conditions : un traumatisme crânien aigu et des maux de tête post-traumatiques. Le chercheur a conclu que le rationnel de leur procédure est anatomique, que le taux de mortalité est faible et que le taux de satisfaction est élevé.
Les exemples sont nombreux. La médecine traditionnelle ne saurait donc résulter uniquement de ce que l’on pourrait résumer par un prisme cartésien moderne comme « surnaturel », et même lorsque cela semble être le cas, il s’agit souvent de la résultante d’une réalité observable. Les traitements ne sont pas pratiqués parce qu’ils sont explicables mais parce qu’ils fonctionnent.
Ainsi donc s’exprimait l’ethnographe et chercheur Dominique Traoré dans son livre Médecines et magies africaines :
Nous avons assisté, dans des localités forts éloignées de toute formation sanitaire, à de miraculeuses guérisons par les plantes. Nous avons vu des personnes guérir de la lèpre, de l’éléphantiasis, de la tuberculose pulmonaire, d’affections cardiaques, de l’asthme, de cirrhose du foie etc… Nous- mêmes, nous avons, en utilisant uniquement des plantes, sauvé plusieurs vies humaines a cours de nos voyages de prospections dans des villages de brousses.
Dominique Traoré a donc sillonné l’Afrique occidentale au début de la seconde moitié du siècle dernier, pour répertorier dans cet ouvrage, l’ensemble des connaissances et pratiques médicales des populations chez lesquelles il a récolté ces savoirs.
Dominique poursuit dans cet ouvrage en disant :
Ces plantes, on ne les cherche pas. Il y’en a partout. Aussi quel est notre étonnement toutes les fois que nous entendons dire tel médicament manque, alors que la plupart du temps, le remède, dont l’absence est déplorée, est là dans la cour du dispensaire ou de l’hôpital.
Ces connaissances ont donc dorénavant un double intérêt. Permettant de venir en aide aux praticiens qui, dans des zones isolées, n’ont pas toujours accès aux produits pharmaceutiques manufacturés, elles ont aussi la seconde fonction de nous faire profiter de l’abondance des produits sous leurs formes naturelles; abondance qui permet bien souvent de remédier à une problématique d’ordre économique pour des populations parfois défavorisées.
Ainsi, remettre les contributions des savoirs africains à leur juste position dans l’échiquier des découvertes médicinales mondiales, ne pourrait qu’être bénéfique pour l’avancement de la médecine dans son ensemble. Dans le prochain article dédié à ce sujet, je me tenterais à plongerais plus en détail dans les réalités de certaines pratiques médicinales endogènes.