Cela fait plus de 10 000 ans, que les Amazighs vivent en Afrique du Nord (contre seulement 1 500 ans pour les Arabes). Malgré le fait qu’ils soient reconnus comme étant le peuple premier, autochtone de la région, et que les Femmes amazighs aient occupé un rôle historique, les Femmes amazighes demeurent parmi les sujets les peu étudiés et les peu débattus publiquement aux pays d’Afrique du Nord. Leur rôle dans l’Histoire est presque totalement ignoré des manuels pédagogiques et des livres scolaires, même au Maroc et en Algérie, où la langue tamazight est enseignée et connaît une certaine reconnaissance. Contrairement, en Tunisie, la société civile amazigh peine à se faire entendre par l'État tunisien.

Pourtant gardiennes d’un patrimoine civilisationnel inestimable, les femmes amazighes sont connues pour leur force, leur bravoure et leur attachement à leur liberté. Elles ont dû faire face aux invasions des arabes venus d’orient pour conquérir l’Afrique du nord.

Une de ces femmes de caractère qui les a profondément marqués à leur arrivée en Ifriqya actuelle Tunisie est Dihya ⴷⵉⵀⵢⴰ, la Kahena, comme l’ont appelé les Arabes. Elle avait réussi à réunir les tribus “berbères”, amazighes qui avaient refusé de se soumettre aux Arabes. C’était une guerrière stratège, une meneuse d’hommes à la bataille qui, du haut de ses 22 ans, avait réussi à faire échouer leurs multiples tentatives d’avancées. Une leader comme on l’aurait appelée aujourd’hui, fait choquant pour les Arabes trempés dans le patriarcat musulman qui l’ont considérée comme sorcière, ennemie de l’Islam. Car comment aurait-elle pu freiner l’avancée des guerriers d’Allah si ce n’est en usant de pouvoirs magiques ? Parmi ses victoires, la bataille des chameaux a permis d'expulser les Omeyyades de l'Ifriqiya. Pendant quelques années, elle gouverne un État berbère indépendant des montagnes de l'Aurès en Algérie, traversant la Tunisie, aux oasis de Gadamès en Libye (695-700/703). Les sources varient sur sa mort : elle serait soit morte au combat, l'épée en main, soit par suicide en avalant du poison plutôt que d'être prise par l'ennemi.

A travers leurs multiples périodes d’invasions, les Arabes, devenus suffisamment nombreux, instaurent au Maghreb leur modèle de société patriarcale pour effacer l’identité amazighe. Toutefois, la société amazighe que les musulmans découvrent est matriarcale et la polygamie autorisée par la charia de ces conquérants musulmans fut majoritairement refusée par les femmes amazighes. Elles imposèrent aux nouveaux venus que l’épouse amazighe ait le droit de refuser que le mari musulman prenne une deuxième femme.

Souvent citées comme étant à l'avant-garde des droits des femmes dans le MENA, en raison du statut unique depuis l’adoption en 1956 du Code du statut personnel, les Tunisiennes se sont engagées plus largement dans le développement du pays. Plus récemment, elles ont joué un rôle central durant la transition démocratique qui a suivi la révolution. Toutefois, le classement de la Tunisie en matière d’égalité de genre a chuté, entre 2006 et 2020, du 90ème au 124ème rang, sur un total de 153 pays, selon le Global Gender Gap report 2020, la publication du Forum économique mondial sur l'inégalité hommes-femmes. Si les femmes représentent 67 % des diplômés du supérieur, le chômage les touche de plein fouet deux fois plus (22,5 % ) que les hommes (12,4 %) et cette disparité est encore plus exacerbée dans les régions de l’intérieur du pays (Gabès, Kasserine, Jendouba, Kébili, Gafsa et Tataouine) où le taux de chômage féminin atteint une moyenne de 35 %. Par ailleurs, seulement 23,3 % des nouveaux crédits au logement sont accordés aux femmes, et elles continuent d’être victimes de violence globale, c’est-à-dire, d’au moins une forme de violence (physique, sexuelle, psychologique ou économique). Ces inégalités freinent le développement économique et social du pays en le privant d’une partie de ses forces vives. Sans oublier les actes d’intimidation envers des femmes entrepreneures qui s’occupent de transformer des ressources naturelles en produits à haute valeur ajoutée. Ces femmes offrent ainsi une opportunité d’inclusion et d’autonomie financière à d’autres femmes rurales.

La condition de la femme amazighe tunisienne reste donc liée aux contextes: politique, économique, social, et cuturel actuels. Le manque d’égalité en termes de droits économiques pénalise les femmes qui sont fortement désavantagées pour l’accès au crédit, à la propriété foncière et aux produits financiers. Cette inégalité entrave leurs initiatives entrepreneuriales ou commerciales et leur autonomie financière s’en trouve affectée. Selon le rapport 2020 du Forum économique mondial sur l'inégalité hommes-femmes, seulement 2,9 % des entreprises tunisiennes ont un capital à majorité féminine. Ainsi, l’importance des garanties dans les décisions d’octroi de crédits, associée au code successoral qui prévoit que la femme n'hérite que de la moitié de la part de l'homme, du même degré de parenté, constituent des blocages majeurs aux droits économiques des femmes. La Tunisie a vraiment connu un recul dans ses acquis depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir, malgré les apparences à cause d’une lecture de l’histoire faite exclusivement par les hommes, et imprégnée exclusivement des thèses patriarcales et de l’idéologie importée du Proche Orient arabo-islamo-salafiste. Ceci réduit le rôle des femmes, les marginalise et les exclut de l’histoire officielle des différents pays d’Afrique du Nord. La femme Amazighe aujourd’hui est doublement agressée, dans sa féminité et dans son identité linguistique et culturelle. Non seulement il lui faut lutter pour préserver ses droits légitimes en tant que Tunisienne, puisque malgré son apparente de bonne performance par rapport aux autres pays de la région MENA, la tendance en Tunisie est alarmante. Les acquis des femmes sont fragilisés après la prise de pouvoir par les islamistes, et leur confirmation après l’élection de l’actuel président qui revendique le renforcement du modèle patriarcal, et qui considère l’égalité homme-femme comme non-conforme à la religion. Le chemin vers l’égalité reste donc long et semé d’embûches.

La Femme amazighe tunisienne, autrefois considérée dans la culture amazighe comme l’égale de l’homme, et principale gardienne de la langue amazighe, doit aujourd’hui lutter contre la culture dominante arabo-musulmane. L’énergie, le courage et le dynamisme de la femme tunisienne d’aujourd’hui restent les éléments uniques dans une région où subsiste l’inégalité entre les genres.

Pourtant dans la tradition amazighe, les femmes ont toujours inspiré le plus grand respect de la part de leurs collectivités. Elles participaient aux décisions touchant la famille, les droits du patrimoine, et l’éducation. C’est à elles que revient le droit de préserver les traditions culturelles. Le travail des hommes et des femmes était nettement distinct, mais toujours reconnu d’égale valeur. Des signes encore actuellement vivaces nous prouvent que leur statut est nettement meilleur que celui proposé par une idéologie obscurantiste rétrograde, qui se propagent de plus en plus de nos jours. Des signes comme le droit coutumier amazigh «izrf» tels que «Tamazzalt», un droit au partage égal des biens entre l’époux et l’épouse qui divorcent (finalement adopté par le code de la famille), des sanctions de mise contre celui qui abuse d’une femme, qui la violente ou qui se montre incorrect à son encontre, des danses collectives mixtes (ahidous, ahwach) moyens d’expression communautaire, un lexique matrilinéaire (ultma/gma, amghar/tamghart, …). Dans l’histoire ancienne, les femmes Amazighes (Dihya, Tinhinan, Zineb Tanfzaouit…) ont occupé une place importante et ont été quelquefois à la tête de royaumes ou à leur source en Afrique du Nord, “au Maghreb”.

Les traces de l’ancien ordre matriarcal de la société amazighe persistent donc encore de nos jours dans la terminologie de certains mots. Ainsi l’origine étymologique des mots « uma » et « ultma » qui désignent respectivement frère et sœur dérive des mots « mis n yemma » et « yellis n yemma », qui voudrait dire « fils et fille de ma mère », toujours en référence à la mère ! Les femmes amazighes ont donc eu le mérite de transmettre, à travers les âges, le patrimoine culturel amazigh, dépassant «les trois mille ans d’histoire d’après Emna Ben Miled, avec la langue amazighe qui persiste tout de même de l’époque néolithique jusqu’à nos jours, En plus de gérer leur foyer et d’élever leurs enfants, les femmes jouent un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine artistique et culturel amazigh grâce à leur travail dans des domaines tels que le textile, la musique, la poésie et la danse. Ainsi, à travers cette histoire plurielle anté-islamique (punique, carthaginoise, romaine, etc.) et malgré l’homogénéisation, la culture amazighe tunisienne, même si amoindrie, fut brandie comme un signe de « tunisianité », d’ancrage local et spécifique de la Tunisie. Dans cette veine s’instaure l’idée d’une appartenance à la « Méditerranée » comme aire culturelle alternative au monde arabe et comme moyen de se départir théoriquement du nationalisme arabe1.

Mais il ne faut pas que la culture amazigh soit utilisée comme une marque d’authenticité, ni comme un cachet attestant du caractère local, ancestral, révolu, destiné au touriste et à l’intention de l’histoire nationale comme une des facettes locale de l’héritage qui configure la « mosaïque » de la Tunisie méditerranéenne et tolérante. Il ne faut surtout pas que l’identité amazighe soit utilisée comme un « label ». Bien loin de l’époque où une femme, Dihya, assumait la défense de tout un peuple, les femmes amazighs tisserandes, brodeuses et potières sont enchaînées à leur métier à tisser. Chenini est connue par son art ancestral du tissage, l’un des rares bastions de l’identité amazighe en Tunisie. Son emplacement à cheval sur les flancs d’une montagne qui lui offrait, jadis une position défensive idéale, lorsque les tribus arabes ont déferlé sur le Maghreb. Il en est de même à Sejnane, où les femmes avec leur glaise et argile façonnent depuis des millénaires, et maintiennent l’art ancestral des poupées et des différents objets utilitaires et décoratifs pour vivre.

À part certaines femmes rassemblées en associations et maîtresses d’elles-mêmes, comme à Sejnenia, beaucoup sont malheureusement dominées par un homme, le mari, le fils ou le frère, invoquant que les femmes amazighes d’aujourd’hui sont timides et ne savent pas défendre leurs produits. Certains pays d’Afrique du Nord, en l’occurrence le Maroc et l’Algérie, malgré le fait qu’ils aient reconnus officiellement leur langue et identité autochtones amazighes dans leur constitution, n’ont pas encore réformé les manuels scolaires pour revoir leur mémoire collective et pour que les nouvelles générations se réconcilient avec leur histoire authentique, avec ses pages lumineuses et ses pages sombres.

Une nouvelle relecture de l’histoire d’Afrique du Nord, attendue et revendiquée, ne pourrait se réécrire sans les femmes amazighes. La majeure partie des militants-es des associations amazighes ont conscience que tant que la femme amazighe est marginalisée, la communauté et surtout la culture amazigh dans son ensemble sera marginalisée et en danger.

Notes

1 D. Abbassi, « Le discours historique scolaire des années 90 en Tunisie : l’invention d’une identité méditerranéenne », Annuaire de l’Afrique du Nord, 39, 2003, p. 49-64.